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L’ours à miel : menace sur un symbole

Le beruang madu est partout à Balikpapan. Sur les bâtiments publics, à l’arrière des angkot, sur les affiches en tissu célébrant le cent-onzième anniversaire de la ville. A certains carrefours, représenté en statue de ciment, il semble réguler le flot ahurissant des mobylettes. Le beruang est un petit ours noir. Appelé sunbear par ceux qui parlent la langue de Shakespeare ou ours à miel ou des cocotiers par les francophones, il est devenu la mascotte de la ville en 2003, une sorte de peluche adorable. C’est pourtant un animal sauvage. Menacé comme le sont aujourd’hui beaucoup d’espèces tropicales, il fait l’objet d’une attention toute particulière sur l’île de Bornéo où il vit encore. A Balikpapan, sur la route de Samarinda, un centre d’éducation environnemental cache derrière ce nom un peu pompeux un projet visant à informer sur le beruang et à éduquer sur l’environnement en général.
Le centre est situé près de la forêt de Sungai Wain et ses 10 000 hectares. « Il est rare qu’une forêt primaire d’une telle superficie jouxte une grande ville industrielle comme Balikpapan et ses 500 000 habitants », explique Pak Satria Iman Pirbadi, directeur du Kawasan Wisata Pendikikan Lingkungan Hidup, centre d’éducation environ-nemental et de loisirs. Pendant la décentralisation de certains pouvoirs en 1998, la ville a décidé de gérer elle-même cet espace naturel. Aujourd’hui, l’homme n’a pas le droit d’y pénétrer. Cachés dans cette forêt vivent dans la plus grande discrétion une trentaine de sunbears
« Notre programme visant à les isoler dans leur habitat est devenu une référence en terme de protection de l’environnement », poursuit-il.

Transformés en animaux de compagnie
En 1997, Gabriella Fredriksson, primatologue, débute un travail de recherche sur cet animal dans la forêt de Sungai Wain. Elle est à l’origine de la construction de ce centre pouvant accueillir les ours dans un projet éducatif. « Elle est la fondatrice passionnée », raconte Ali Redman, elle même primatologue ancienne « zookeeper » à Seattle aux Etats-Unis et aujourd’hui « animal manager volontaire très impliquée ». Tout commence en 2003 quand le beruang devient le symbole de la ville. Tout ce précipite ensuite et il faudra à peine deux ans pour tout mettre en oeuvre. En février 2005, la construction du site débute avec la mise en place d’un immense enclos électrifié autour d’une forêt secondaire de 1,3 hectares. Cinq ours y vivent depuis 2006. Le beruang, animal timide, a été très peu étudié. Pensez que Gabriella les a observés pendant dix ans et n’en a croisés dans leur milieu naturel que trois fois ! Ces ours ont besoin d’espace pour se développer. C’est un animal solitaire qui ne vit pas en communauté et qui a besoin de beaucoup de place : 500 hectares pour une femelle et 1500 hectares pour un mâle ! »
Il est 15 heures et nous dominons justement cet enclos depuis une longue passerelle en bois. Deux ours montrent timidement leur museau et leur collerette dorée. Cette tâche en forme de croissant de couleur jaune orangé imprimé sur le poitrail est leur marque de fabrique. C’est le plus petit des ours. Il pèse environ 65 kg et mesure entre 110 et 140 cm de long et 70 cm au garrot. « Cinq ours vivent ici, ajoute Ali. Ils ont tous un passé très douloureux. Ils sont arrivés après avoir été capturés et utilisés comme animaux domestiques. Idot, par exemple, a grandi avec un câble d’acier autour de la poitrine qui lui a atrophié une partie du corps. Batik, une femelle, a vécu dans une cage si petite qu’elle ne pouvait pas s’y dresser sur les pattes. Le calvaire a duré deux années. Bennie n’a plus ni crocs, ni griffes. Le comble pour cet animal. Les récits des deux autres ours ne sont guère plus joyeux ». Un processus long a été nécessaire pour les réhabituer à leur milieu naturel. Aucun de ces cinq individus ne sera jamais capable de retrouver une vie sauvage normale.

La perte de leur habitat
Tout comme les orangs-outans, les sunbears font l’objet d’un vrai trafic animalier. « La moindre partie de leur corps vaut une fortune, révèle la jeune américaine. Les mains par exemple sont vendues comme une friandise. Elle se monnaye autour de 100 $ la pièce. Les ours pèsent autour de 400 grammes à la naissance. Ils sont attendrissants. Quand la bête grandit, les problèmes débutent pour les heureux propriétaires. Et la maltraitance commence ». Autre problème : la disparition de leur habitat. Là aussi, un point commun avec les orangs-outans. « Ces animaux ne peuvent vivre que dans une forêt primaire, explique Ali. Et ce type d’environnement tend à disparaître. Il suffit de jeter un œil sur les cartes de Bornéo et du Kalimantan pour voir à quel point leur espace de vie s’est réduit en moins d’une dizaine d’années. C’est incroyable ! Les animaux se retrouvent sur des îlots de verdure dont ils ne peuvent s’échapper. Déboisement rapide et souvent illégal oblige, leur univers se réduit comme une peau de chagrin »

Depuis l’ouverture officielle du centre, il y a foule. Surtout le week-end. Ici, tout est rédigé en bahasa indonesia. Les élèves des écoles de Balikpapan débarquent régulièrement. Le centre fait également un gros travail d’information et de prévention sur l’abandon des animaux de compagnie. Cet après-midi, un paysan du coin vient de trouver un python dans l’un de ses champs. Il veut le vendre. Ali explique une énième fois que, même s’il y a des chats et des chiens abandonnés, ils n’accueillent pas les bêtes sauvages et surtout ne les achètent pas. Finalement, le serpent sera récupéré avant d’être relâché dans la forêt voisine pour deux paquets de kretek. Ali rigole : « Je suis là depuis trois ans et ce genre de situation arrive tout le temps. Mais en observant les groupes qui se succèdent ici et le comportement des uns et des autres, je peux dire que les choses avancent. Les visiteurs sont moins bruyants quand ils aperçoivent les ours, plus respectueux. La prise de conscience a déjà commencé ».

Texte et Photos

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