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Zohra Boukhari sait planter le décor

Petite dernière d’une famille de sept
enfants venue de Tanger dans les années
soixante, la Bruxelloise Zohra Boukhari a le
profil type de ces femmes arabes issues de
l’immigration qui n’ont pas laissé passer leur
chance d’émancipation. « A Bali aussi, j’ai dû
lutter pour trouver ma place. Je ne conduisais
pas de mobylette, ne parlais ni indonésien,
ni anglais », rappelle cette décoratrice
désormais incontournable en Asie. Après
des études modestes de sténodactylo,
voulues par sa mère analphabète, et un
premier boulot de femme de ménage, on
mesure avec attention le chemin parcouru.
Si l’installation à Bali avec son mari, au
milieu des années 90, a définitivement
permis l’éclosion de sa carrière de
décoratrice aujourd’hui reconnue de tous,
les premières heures de cette passion ont
revêtu des atours moins glamours. « Je
faisais les brocantes bruxelloises au petit
matin et le soir je bricolais dans ma cave »,
se souvient-elle.

Décoratrice de nombreux lieus célébrant
l’art de vivre, des villas, des spas ou
des restaurants comme The Shaba, Villa
Balquisse, Asam Garam ou Khaïma pour
ne citer que ceux-là, Zohra Boukhari
possède aussi les boutiques Haveli et
Balquisse Living où elle distribue ses
collections. Le public peut ainsi retrouver
à travers les nombreux objets qu’elle
propose le style qui a fait sa réputation
et cette atmosphère « comme chez elle
» qu’elle revendique. Zohra Boukhari a
donc réalisé aussi de nombreux projets
privés à Bali, mais également à Surabaya,
Jakarta, Bangkok et jusqu’en France. La
portée de son travail résonne aujourd’hui
dans le monde entier et elle a été
honorée dans des magazines comme Elle
Déco, Cipria, Biba ou
Le Figaro Madame. Son
premier ouvrage, Villa
Balquisse, à Jimbaran,
qui fut sa première
demeure ici et qui
est depuis devenu un
hôtel réputé pour son
atmosphère unique, a
reçu une récompense
du magazine japonais
M o o k p o u r s a
décoration.

Zohra Boukhari a
cependant gardé la tête
froide. Elle analyse sa
réussite avec modestie
et pragmatisme. « Bali,
c ’est l’endroit qu’ il
me fallait. Bali et les
Balinais m’ont permis
de m’épanouir. Leur
raffinement, leur sens
inné de tout ce qui va
ensemble. Et puis le mélange des cultures, ça
me plait. On peut faire des mélanges avec les
tissus comme on peut en faire avec les gens »,
rappelle cette femme de caractère qui a su
s’opposer à sa famille quand elle a épousé
son mari belge. A cette époque, elle vendait
des crêpes dans une camionnette. Avec
quelques économies, le couple a décidé de
partir s’installer à Bali, sur un coup de tête,
sans vraiment connaître. Le projet était
d’ouvrir une… crêperie. Mais en louant
ce qui allait devenir Villa Balquisse pour
se loger, le pactole est épuisé d’un coup.
Il leur faudra alors louer des chambres à
des étudiants et se mettre à « faire des
containers » pour remonter la pente. Par
ce travail de sourcing pour leurs clients,
Zohra a l’opportunité de se reconnecter
avec sa passion de toujours : la déco.

« On a tous notre destin », affirme
aujourd’hui cette travailleuse forcenée qui
estime ne pas être encore arrivée au bout.
« Dans la culture arabe, les femmes n’ont pas
de reconnaissance », ajoute-t-elle comme
pour justifier sa remarquable ambition.
Elle travaille actuellement sur trois projets
privés et souhaite revendre Bouquet, sa
dernière boutique qui allie salon de thé
et bouquets de fleurs, faute de partenariat
adéquat. Elle note avec satisfaction que
ses clients indonésiens sont de plus en
plus nombreux et, bien qu’elle refuse en
général les projets lointains qui pourraient
la séparer longtemps de son mari et de ses
deux filles, elle vient de démarrer au Liban
les boutiques Shahinaz. « Je dois en ouvrir
dans tous les pays arabes », assure Zohra
Boukhari pour qui l’avenir repassera par le
Maroc. « La prochaine étape sera le retour au
pays », affirme celle qui se voit bien ouvrir
une maison d’hôtes à Tanger. Histoire de
planter le décor encore une fois et de
boucler la boucle d’une vie commencée
entre Afrique du Nord et Wallonie, il y a
un peu plus de 43 ans, alors dans le ventre
de sa mère.

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