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Y a-t-il encore des tigres à Bali ?

Imaginez un instant… Vous vous levez le matin, regardez par la fenêtre et il y a un tigre qui rôde dans votre jardin. Que faites-vous ? En août 2010, des habitants du village de Lumbung Kauh, près de Tabanan (Bali-Ouest), ont affirmé avoir vu un tigre. Il y a eu des témoignages de blessures atroces sur des chiens et des chèvres et un villageois a même affirmé qu’il avait vu le fauve attaquer son chien. Il a décrit un félin mesurant 1 mètre de long et pesant 70 kg, avec une fourrure à poil ras d’une ardente couleur orange rayée de noir. Cela convient parfaitement aux caractéristiques du tigre balinais et ne ressemble aucunement à la description d’un léopard, un autre animal qui vivait aussi sur l’île et qui est peut-être encore présent.

Les tigres de Bali, ou « samong » en balinais ancien, sont supposés éteints. La rapide croissance de la population, la disparition des forêts et la chasse ont contribué à sa mauvaise fortune. Si l’on en croit les rapports, le dernier tigre balinais fut abattu à Sumber Kima (Bali-Ouest) le 27 septembre 1937. Ce spécimen (panthera tigris balica) était le plus petit des huit sous-espèces de tigres présentes dans le monde, pesant de 90 à 100 kg et long de 2 mètres approximativement.

Le tigre de Java (panthera tigris sumatrae) est le dernier représentant encore vivant de ces bêtes charismatiques. Avec seulement quelques centaines de spécimens encore sauvages, ce tigre aura probablement disparu avant nous. Etant donné le peu d’individus encore vivants, il est fascinant qu’on les rencontre encore avec une telle fréquence. En effet, il ne se passe pas une semaine sans que l’on apprenne un incident avec un tigre à Sumatra par exemple. En règle générale, la bête sort de son territoire et se retrouve attrapée par les autorités et transférée dans un zoo, quand ce n’est pas abattue, piégée ou empoisonnée par les villageois. Une preuve que l’accroissement démographique humain réduit comme peau de chagrin l’espace vital du fauve. Sans parler des exploitations forestières, des plantations de palmiers à huile et des champs cultivés qui ont fait disparaître inéluctablement les forêts de basse altitude. Les tigres ont besoin d’immenses espaces de jungle dans lesquels ils peuvent chasser leurs proies favorites, cerfs et sangliers. Avec la disparition de leur habitat, les fauves sont obligés de se rendre dans les villages pour trouver à manger.

Pendant ce temps, dans le sinistre zoo de Surabaya, un autre tigre est mort de « cause inconnue »…Ces animaux sont depuis longtemps des attractions de cirque. Ils se reproduisent facilement en captivité et il se raconte qu’il y a aujourd’hui plus de tigres en captivité dans les zoos américains qu’il n’y en a en liberté dans le monde entier.

Qu’est-il donc arrivé à tous ces tigres ? La médecine traditionnelle chinoise semble avoir un appétit féroce pour les os, les pénis et aussi d’autres parties du tigre. Les fermes chinoises d’élevage de tigres, très controversées, ont déjà produit des centaines de félins pour le seul usage de cette pharmacopée traditionnelle. Ironiquement, ceux qui sont vraiment amateurs de potions viriles à base de tigre, refusent d’acheter des produits fabriqués avec des tigres d’élevage affirmant qu’elles ne font pas le même effet que celles concoctées avec des tigres sauvages. Les consommateurs de ces produits n’aiment pas les ersatz et seuls les os et la viande de tigres sauvages peuvent les satisfaire. On se demande cependant comment, à notre époque où l’on trouve tout un tas de médicaments synthétiques pour remédier à toutes sorte de dysfonctionnement, certains ont encore recours à des potions faites à partir d’animaux menacés d’extinction… Le Viagra par exemple est une alternative satisfaisante et durable aux concoctions de pénis de tigre ! Ces remèdes traditionnels remontent à des temps où l’on pouvait encore ne pas se soucier de la pérennité des ressources naturelles qui semblaient infinies. Mais aujourd’hui ! Il y a même des chasseurs qui donneraient cher pour avoir la chance de traquer un tigre de Sumatra. Imaginez un peu épater la galerie en racontant comment vous avez abattu un des derniers félins sauvages de la planète !

Depuis des années, le WWF et d’autres spécialistes des grands fauves ont lutté sans relâche pour protéger cet animal et son habitat. Le mois dernier, à Saint-Petersbourg s’est d’ailleurs tenu un sommet international du tigre en présence des 13 pays d’Asie qui en abritent encore (Russie, Bangladesh, Bhoutan, Cambodge, Chine, Inde, Indonésie, Laos, Malaisie, Birmanie, Népal, Thaïlande et Vietnam). En théorie, si on arrive à protéger les larges espaces forestiers dont le tigre a besoin comme territoires, des millions d’autres espèces, certes moins emblématiques, seront également sauvées. Cependant, malgré les millions de dollars dépensés pour préserver ces grands fauves dans le monde entier, le besoin de les exploiter comme un produit commercial pharmaceutique aura finalement été plus fort. Je crois sincèrement que la bataille pour sauver les tigres sauvages est perdue. Quand je voyageais dans la région de Kerinci Seblat, à Sumatra, j’entendais souvent des histoires de tigres se nourrissant sur les camions de transport de pêche, de tigres ayant emporté des enfants sur le chemin de l’école, ou encore de tigres se faisant écraser sur la route. Ces histoires sont bien réelles et ont inspiré depuis toujours des peurs paniques parmi la population. Pour le pauvre paysan qui voit un tigre dans son enclos à chèvres et qui craint également pour la vie des siens, le convaincre de l’intérêt de préserver cet animal n’a donc pas beaucoup de sens.

Et malgré cela, des histoires de tigres sauvages persistent à Java et maintenant même à Bali. Comme le mystérieux « orang pendek » de Sumatra, la légende du tigre refuse de disparaître et pourrait même durer bien des années après l’extinction totale du félin. Le dossier devient même encore plus compliqué maintenant avec ses histoires de gens se transformant en tigre, ou « harimau jadi-jadian », des légendes similaires à nos loups-garous d’Europe. Récemment, deux animaux qui étaient censés avoir déjà disparu, le chat doré d’Asie et le lapin de Kerinci, ont été redécouverts par des scientifiques à Sumatra. Pas aussi gros que des tigres certes, mais l’Indonésie est immense et il est encore possible d’y trouver toutes sortes d’animaux. Qui sait ce qui nous observe là-bas dans le noir ?

Et donc, y a-t-il encore des tigres à Bali ? Personnellement, je ne crois pas. Il ne reste pas assez de place pour que l’humain et le tigre puissent se côtoyer pacifiquement. Cela dit, il est possible qu’un jeune tigre domestique soit devenu trop encombrant pour son propriétaire et que ce dernier ait décidé de le relâcher dans une poche de forêt restante. Ou que la bête ait pris la poudre d’escampette. Alors, restons ouverts à toutes possibilités et soyons préparés à toutes éventualités lorsque nous nous baladons en forêt !

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