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Walhi : Un David écolo contre les Goliath du développement

Cette fameuse autoroute au dessus de la mangrove, qui desservira également l’aéroport et qui fera ressembler Bali à un coin de la Floride, est une question de fierté nationale. Le sommet 2013 de l’APEC (Asia Pacific Economic Cooperation) doit en effet avoir lieu ici, l’occasion de montrer au monde que l’Indonésie fait des progrès en matière d’infrastructures. L’archipel, qui affiche des taux de croissance spectaculaire depuis des années, souffre malgré cela d’un sérieux problème d’équipements qui handicape son développement et freine les investissements étrangers, un reproche que ses partenaires lui font régulièrement. Par conséquent, difficile d’imaginer que les autorités vont accepter la demande d’arrêt des travaux que viennent de lancer les associations écologistes de Bali que chapeaute Walhi. « La construction de cette route se fait au détriment de l’environnement et n’est pas conforme au cahier des charges (AMDAL) initial au sujet des dommages infligés à la mangrove », explique Gendo Suardana, 37 ans, leader de cette ONG implantée à Bali depuis 1996.

Au cœur de la dispute, le remblayage d’une surface importance de la mangrove avec la fameuse pierre calcaire de Bukit afin d’amener le matériel nécessaire à la construction. Autrement dit, pour construire une route sur pilotis qui n’ endommage pas l a mangrove, on endommage la mangrove en construisant une route provisoire à côté… Certains ont cité le retard pris sur le calendrier, qui aurait ainsi légitimé ces méthodes peu orthodoxes en matière de respect de l’environnement des nombreuses sociétés publiques mais aussi privées impliquées dans ce projet chiffré à 274 millions de dollars. Récemment, le porte-parole d’une des entreprises, Drajad H. Suseno, a déclaré dans Radar Bali que cette route provisoire ne représentait que 23% des 12 km de l’autoroute, qu’elle était conforme au cahier des charges et nécessaire uniquement dans les portions où il était impossible d’installer des pontons flottants. Une affirmation que réfute Walhi.

Hermanto Dardak, un officiel représentant le département des Travaux publics du gouvernement local, a pour sa part affirmé récemment : « Il y a 35 000 piliers de béton à installer le long de la côte. Cer tai nes méthodes de constructi on ont peut-être affecté la zone mais elle se rétablira rapidement dès que le projet sera terminé. » Selon lui, la route provisoire sera ensuite déblayée et la mangrove pourra repousser. « Il sera trop tard, s’insurge Gendo Suardana, la pollution est faite et après cette destruction, la mangrove ne repoussera pas. Il s’agit d’une conspiration d’investisseurs immobiliers. Une fois qu’ils auront constaté que la mangrove est morte, ils laisseront la route provisoire, remblaieront les alentours et construiront dessus. J’ai entendu dire qu’il y avait déjà un projet d’appartements qui se préparait. »

La petite structure de Walhi est composée de bénévoles qui doivent travailler à côté et ne survit que grâce aux donations. Heureusement, de plus en plus d’Indonésiens s’éveillent aux questions d’environnement et Walhi est plus fort aujourd’hui qu’il y a quelques années. Les artistes se mobilisent aussi souvent pour les causes soutenues par Walhi, rendant populaire ses actions. Mais les problèmes sont aussi plus nombreux aujourd’hui. Gendo Suardana, originaire d’Ubud, est avocat d’affaires, ce qui est un atout indéniable pour lutter contre les géants qu’il affronte régulièrement. « Dans le dossier de l’autoroute Benoa-Nusa Dua, le consortium a voulu nous associer au départ, en nous proposant un poste de supervision et en nous rémunérant. Nous avons bien sûr refusé, poursuit-il. Nos activités sont risquées, si on ne tente pas de nous corrompre en nous offrant des postes ou des parts dans les projets, on nous menace, on nous envoie des gros bras. Tel est notre quotidien. »

Du côté des politiques, l’écoute fait aussi défaut. « Ils ne nous calculent pas, même s’ils ont toujours peur qu’on dise du mal d’eux. Surtout quand ça vient de l’étranger. A Bali, ils ont peur des médias étrangers. Souvenezvous de cette article du Times sur la plage de Kuta, le lendemain, elle était toute propre », explique-t-il encore en souriant. Sur le combat de Walhi et l’avenir de l’île, ce Balinais au punch inhabituel reste toutefois très pessimiste et affirme que s’il n’y a pas de tentatives sérieuses et rapides de remédier aux problèmes d’environnement, Bali court à la catastrophe. Et les dossiers sont nombreux. « Notre mission la plus impor tante en ce moment, c’est d’éveiller l’attention sur la crise de l’eau qui se profile. Les premiers effets devraient se faire sentir dès 2015 et bien que nous soyons conscients de ce problème depuis les années 90, rien n’a encore été fait », poursuit Gendo Suardana.

Pillage de la nappe phréati que par l’industrie du tourisme et les particuliers, intrusion de l’eau de mer jusqu’à plusieurs centaines de mètres à l’intérieur des terres dans un effet de vase communicant, eau publique qui n’est en fait que du pompage pur et simple des réserves souterraines naturelles, le dossier de l’eau est alarmant. La saison sèche 2012 qui s’annonce longue ne va rien arranger. A l’eau s’ajoute la crise de l’énergie. Bali est en demande constante et grandissante d’énergie et après le refus du géothermal par la population, c’est une centrale au charbon classique qui devrait palier cette carence. Et au besoin d’énergie se combine la disparition des terres cultivables. « Le dénominateur commun à tous ces problèmes , c’est l’industrie du tourisme et c’est pourquoi nous demandons un moratoire de deux ans sur la construction des hôtels et villas. Deux ans minimum car arrêter deux ans pour repartir de plus belle, ça ne sert à rien. Il faudra faire un vaste état des lieux et réagir ensuite en fonctions des résultats », affirme Gendo Suardana.

Il n’y a pas encore eu d’ enquêt e environnementale exhaustive réalisée à Bali. Néanmoins, les différentes administrations concernées ont déjà des chiffres en mains. Et ils ne sont pas bons. 13 plages du sud de Bali sont déjà sérieusement polluées à cause des rejets urbains, 200 rivières sur les 400 que compte l’île le sont également. « Dans les ONG, nous sommes conscients mais pas les gens. Et que dire des officiels ? Font-ils appliquer la loi ? Où est la responsabilité des hôtels ? Comment managent-ils leurs eaux usées ? Leur coefficient d’occupation des sols est-il correct ? Le tourisme de masse va tuer Bali rapidement », déplore-t-il. Et de regretter ce « tout tourisme » qui prévaut depuis toujours, cette course aux chiffres – plus de visiteurs, plus de revenus – qui semble être la seule motivation des élus qui peuvent ainsi exhiber leurs résultats positifs comme seule raison d’être. « Quant à la population ordinaire, elle est pareille, elle aime ce développement, ce tourisme qui crée des emplois, des opportunités », poursuit cet activiste qui s’enorgueillit d’avoir réussi à stopper le projet mégalo du Bali International Park à Bukit, lui aussi lié au forum de l’APEC, qu’il appelle d’ailleurs à boycotter.

Il nous vient soudain l’idée de demander à Gendo Suardana de nous livrer son senti ment sur l ’ i mpact du premi er attentat à Bali, dont on commémore ce mois-ci les dix ans. Elle servira de conclusion à cette rencontre : « La bombe a créé des préjudices extraordinaire et les Balinais ont pris conscience qu’ils devaient s’occuper des questions liées à la sécurité. Les dommages ont donc été provisoires, mai s avec l a bombe à retardement du désastre écologique, les dommages eux seront permanents. »

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