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VISITE A JEPARA, DU BOIS, DE LA SCIURE ET DES MEUBLES

Depuis les débuts de la Gazette, nous explorons les communautés étrangères fixées un peu partout dans l’Archipel, que ce soit bien sûr à Ubud ou sur Bukit mais aussi aux Gili ou encore à Sumba. Les raisons qui prévalent au choix de ces installations sont toujours différentes, les choix de vie se mêlent à la nécessité pour la plupart d’entre elles d’assurer leur subsistance. Ce mois-ci, nous vous emmenons à Jepara, dans cette petite cité perdue au nord de Java-Centre et réputée pour la qualité de ses sculpteurs où quelques dizaines d’étrangers sont installés et travaillent tous dans le bois, soit pour exporter des meubles ou encore pour des projets à résonance plus sociale et écolo…

La clientèle de Good Wood Interiors s’élargit à l’Asie. Jamy Tafinine-van der Post.
« Mon mari Joost van der Post était yach broker, spécialisé dans les voiliers et bateaux en bois. Il travaillait aux Pays-Bas sur son propre yacht en bois de 1939, une jauge internationale classe 8, et participait à tous les championnats de cette classe, il a même écrit plusieurs livres sur le sujet. C’est en raison de sa connaissance du bois, et en particulier du teck, qu’un jour nous avons débarqué à Jepara pour assurer le contrôle qualité de meubles pour des clients hollandais pendant 4 mois. Mon mari s’est tout de suite rendu compte de l’extraordinaire talent des artisans sculpteurs de cette petite ville de Java qui transmettent d’ailleurs leur savoir-faire à leurs enfants. Ensuite, nous sommes restés dans ce petit coin de Java pour monter notre propre entreprise, Good Wood Interiors, c’était il y a 22 ans. Comme mon mari avait bonne réputation et un grand carnet d’adresses aux Pays-Bas, les commandes ont afflué directement sans même vraiment qu’on ait besoin de faire de promotion hormis quelques salons. C’était une époque faste, sans trop de concurrence ni de contraintes réglementaires.

La grande majorité des étrangers installés ici ne fabriquent pas à proprement parler leurs meubles, nous les commandons à des artisans sur place mais c’est nous qui leur fournissons les designs . Cela prend du temps de mettre un meuble au point. Mon mari connaissait bien la construction navale et il avait le sens de la construction en bois, c’est pourquoi il s’est mis aussi facilement au design du meuble. Nous en assurons le contrôle qualité et surtout nous faisons les finitions : charnières, glissières, ponçage et vernissage, ou tout type de finishing, c’est ce qu’on appelle en anglais du « cottage industry ». Je travaille à peu près avec une vingtaine d’artisans, certains sont spécialisés dans les chaises, d’autres dans les armoires ou encore les tables. On se rend tous les jours dans leurs ateliers pour vérifier la progression du travail et surtout la qualité du bois, il faut qu’il soit bien sec, moins de 14% d’humidité. C’est souvent problématique pendant la saison des pluies parce que le bois a du mal à sécher.

Nous nous sommes fait un nom en ne proposant que des meubles en bois plein, en teck et plus tard en mindi, surtout des armoires, nous n’utilisons aucun contreplaqué, ni laquage, ni placage. Au début, nous avons surtout travaillé pour le marché européen, belge en particulier, mais les goûts changent et la clientèle s’est élargie à présent à l’Asie. Les clients veulent des meubles de moins en moins chers. On a beaucoup fourni les hôtels à Dubaï et à présent, je reçois de plus en plus de commandes de Malaisie, de Batam et d’Inde, j’ai même visité pour la première fois un salon à Shanghai. Nous nous sommes diversifiés dernièrement en proposant des panneaux de bois muraux, c’est un marché en pleine expansion. Même si les affaires sont plus dures qu’avant, nous réussissons encore à exporter en moyenne un container par semaine.

Les premiers expats sont arrivés ici il y a une trentaine d’années, nous ne sommes que quelques dizaines. Nous avons une vie très simple et très différente de ce que les gens connaissent dans le sud de Bali. Nous n’avons à l’heure actuelle que 7 restaurants à Jepara et pour acheter des produits alimentaires d’import, il faut se rendre à Semarang, à 2h30 en voiture d’ici. Le week-end se passe sur nos très belles plages ou dans les îles environnantes, on mène ici une vie saine et tranquille. »
www.goodwoodinteriors.com

Murianto, des meubles de perfectionniste. Niels Evens
« J’ai 29 ans, je suis flamand du nord-est de la Belgique et j’ai une formation initiale de design graphique. Après mes études, j’ai entrepris un grand voyage et mis les pieds pour la première fois en Indonésie en 2009. J’ai ensuite travaillé à Shell en Europe où je gagnais bien ma vie, et dès que j’avais quelques jours de vacances, je les passais en Indonésie. Finalement, avec les 10 000 euros que j’ai réussi à économiser, je suis venu m’installer en Indonésie plutôt qu’en Afrique comme je l’avais initialement prévu. En fait, je m’intéressais au bois depuis toujours parce que mon père est menuisier et on m’a conseillé un jour d’aller visiter Jepara. Et là, j’ai une vraie révélation sur ce que je voulais faire de ma vie. Mon idée, c’était de trouver un bon menuisier indonésien pour apprendre le métier à l’ancienne.

Mais en premier lieu, j’étais inquiet de voir tous ces tas de bois partout à Jepara, je me demandais vraiment ce qu’il en était en terme de traçabilité, si le bois provenait de la contrebande. Alors, j’ai prétendu que j’étais journaliste et armé d’une caméra pendant deux mois, on m’a ouvert toutes les portes et j’ai pu me rendre compte que le gouvernement indonésien avait vraiment mis le paquet pour assurer la traçabilité du bois. En menant cette enquête, j’ai rencontré Hendrik qui venait de perdre son père, toute sa famille était un peu traumatisée. Ils m’ont pris sous leur aile, c’est devenu ma famille d’adoption. Je vis en plein kampung, c’est parfait pour moi, c’est ce que je cherchais. Au bout de 6 mois de formation, je leur ai fait une proposition. Je leur ai loué leur atelier et je donne un salaire à Hendrik. Et ça fait 4 ans maintenant que je développe calmement mes propres designs dans le plus pur amour de l’art, en respectant le savoir-faire local et les extraordinaires matières premières dont nous disposons en Indonésie.

Je ne suis vraiment pas là pour exploiter une main d’œuvre bon marché, je tiens à le préciser, mais plutôt pour conjuguer nos talents en appliquant aussi des méthodes de design européen et des standards de qualité élevés. Tous les éléments qui composent mes meubles sont soigneusement choisis pour leur grain et leur couleur, je ne tiens pas du tout à rentrer dans une logique de production de masse. Je n’ai expédié mon premier container qu’au bout de 4 ans de travail consciencieux en juin dernier, une vraie victoire pour moi. Je n’ai pour l’instant que 20 modèles de meubles que je ne tiens pas non plus à exposer sur Internet mais je suis convaincu d’avoir fait le bon choix. »
[email protected]

Le réchaud Mimi Moto pour lutter contre la déforestation. Steven Eyskens
« Ca fait pour ma part 17 ans que je vis à Java. J’étais d’abord basé à Yogyakarta, j’exportais des antiquités. Après le grand tremblement de terre de 2006, j’ai déménagé à Jepara où j’ai continué d’abord mon business d’export avant de m’intéresser au montage d’une petite usine pour fabriquer des granulés de bois qu’on appelle « pellet » en anglais, ce sont des résidus de scierie et des copeaux qu’on compacte principalement pour le chauffage, la matière première pour les fabriquer est abondante à Jepara avec les dizaines de scieries et d’ateliers de fabrication de meubles qu’on y trouve. Avant que le prix du pétrole ne s’effondre, c’était une alternative intéressante pour faire tourner une chaudière, à la fois en terme économique et surtout environnemental. Mais depuis que le prix du granulé s’est effondré consécutivement à la baisse du prix du pétrole, il nous a fallu trouver d’autres débouchés.

Grâce à l’invention d’un jeune compatriote hollandais, nous sommes en passe d’élargir l’usage des granulés à l’alimentation d’un petit réchaud à bois destiné à la cuisine pour les populations pauvres. Ce réchaud que nous avons baptisé Mimi Moto fonctionne avec un ventilateur intégré qui fait circuler l’air chaud dans le conduit central et permet d’atteindre des hautes températures à l’instar d’un réchaud à gaz ou à pétrole. C’est le premier réchaud à biomasse qui atteint ce niveau d’efficacité énergétique et de faible émission polluante, l’équivalent d’un réchaud à gaz ! L’avantage d’utiliser des granulés de bois, c’est que ça ne produit pas de CO2, ni de fumées noires. Ce réchaud est déjà beaucoup utilisé en Afrique et en particulier au Rwanda. En Indonésie, il intéresse beaucoup le gouvernement qui compte bientôt, a priori en 2018, supprimer les subventions sur le gaz. A l’heure actuelle, porter un litre d’eau à ébullition avec notre réchaud Mimi Moto coûte 30% moins cher qu’avec du gaz subventionné. Mais lorsque le gaz ne sera plus subventionné, il en coûtera 1200rp, alors qu’avec notre système, ça ne coute que 300 roupies.

D’ores et déjà, quelques bupati se sont intéressés à notre réchaud et pas seulement en raison de la suppression des subventions, mais aussi pour des raisons environnementales. En effet, il faut 11kg de bois en moyenne pour faire cuire l’équivalent de trois repas par jour pour une famille tandis que le Mimi Moto n’utilise qu’un seul kilo de granulés. L’intérêt est donc bien entendu de réduire la déforestation dont est responsable le mode de cuisson traditionnelle au bois. Nous sommes en train de travailler à des systèmes de troc pour ces populations afin qu’elles apportent du bois à notre unité de fabrication en échange de l’obtention de granulés. Ce réchaud soulève beaucoup d’espoir parce qu’il va contribuer à rendre des communautés autonomes un peu partout en Indonésie d’autant que le ventilateur est rechargé par un panneau solaire qui permet aussi d’alimenter trois lampes et recharger un téléphone portable. Pour toutes les populations qui n’ont pas accès à l’électricité, c’est une aubaine ! Et pour moi et mon équipe, c’est le moyen de rendre à la Terre ce qu’elle nous a donné pendant tant d’années. »
www.thenaturalenergy.com

Socrate Georgiades

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