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Une vague de livres dans un stade

Le stade de badminton est trop étroit pour 80 exposants, un dixième seulement des adhérents de l’Association des Editeurs (Ikapi), organisatrice de l’événement. Une partie des rencontres avec les auteurs se tient donc sous tente, dans un coin de parking cerné de bruyants haut-parleurs. Beaucoup de sérieux pour Gajah Mada, monumentale fresque historique qui fait revivre le royaume de Majapahit, dont l’auteur s’est adjoint deux universitaires pour répondre aux questions parfois pointues. Ambiance légèrement plus festive autour d’Abdul Chaer, et de son recueil d’histoires drôles betawi (Jakartanais de souche) : les spectateurs sont invités à jouer les sketches du livre. Abdul Chaer est un monsieur respectable – et respecté -, un candidat gouverneur. Sac de livres à la main, il fait une courte apparition pour la remise des prix, mais l’animation est assurée par un « titi » betawi.

Un dynamisme évident
A l’intérieur, c’est la foule du samedi. Des jeunes se pressent autour des publications sur l’informatique et des familles entières piétinent dans les allées périphériques. « Et encore, ce n’est rien », m’assure le représentant de Pustaka Al Kautsar, éditeur de livres religieux et politiques. « A la fête du livre islamique, ne venez pas avec vos enfants, il y a bien trop de monde ! » Il y a aussi, en fin d’année, la fête du livre indonésien, au Jakarta Convention Center, « et alors là, c’est autre chose », explique une vieille routière des foires-expositions : « l’épouse du président se déplace, il y a des éditeurs de partout, de Malaisie, de Singapour… ». Même s’il est un peu tôt pour le bilan, les participants regrettent l’afflux d’éditeurs (et la part du lion que se taillent les grands groupes, comme Gramedia) qui a réduit le nombre de stands disponibles. A l’Ikapi, on plaide coupable : pas assez d’animations. « Surtout, m’expliquent plusieurs éditeurs, les vacances scolaires n’ont pas commencé ». Scolaires et étudiants sont en effet la cible principale d’un gros quart des stands. Malgré une offensive de Spiderman, « pour que ça marche, il faut que ça ressemble aux mangas », soupire le représentant de Gramedia, fataliste. Romans à l’eau de rose pour adolescents, pédagogie ludique pour les petits, qui doivent apprendre à lire, compter, et même chanter les comptines indonésiennes… en anglais.

Marketing et traduction : les mots magiques
Côté adultes aussi, les USA, c’est le must, toutes catégories confondues. Pas question de cocorico, en dépit de la série Astérix, de La main coupée de Maupassant dans une collection horreur et fantastique et des cassettes de la communauté de Taizé chez l’éditeur religieux Kanisius. Difficile en revanche d’accéder au stand de Serambi, où la majorité des livres proposés sont des traductions, comme au moins 60% de l’ensemble des parutions, selon l’Ikapi. Outre Barak Obama et Donald Trump, des milliers de volumes sont dédiés au « management » et aux recettes pour devenir plus riche, plus performant… « De la littérature fast-food. Tout le monde ne peut pas être philosophe », plaisante-t-on chez Al Kautsar. A l’Ikapi, on est un tantinet plus paternaliste : « les Indonésiens manquent de confiance en eux », et « la qualité des publications indonésiennes n’est pas suffisante ».
Depuis la Reformasi, il n’y a plus de livres interdits, et le milieu de l’édition a connu un boum impressionnant. La crise économique n’y a pas changé grand chose : « on a réduit l’activité, mais on a tenu » me dit Madame Magdalena, « éditeur de la deuxième génération ». Chez Serambi, on a même réagi… en embauchant au marketing. Même réponse partout : il y a de plus en plus d’éditeurs, de plus en plus de livres. Tandis que le groupe Media Press cherche désespérement des auteurs, les éditeurs font leur marché dans les listes de best-sellers, de préférence aux USA. Ces listes ne voulant pas dire grand chose, on traduit un peu tout et n’importe quoi. Chez Narasi, où j’émets quelques questions interloquées à propos des piles de Mein Kampf, (belle reliure noire portant svastika, préface d’époque), et des T-shirts assortis offerts aux bons acheteurs, on me regarde avec surprise : best-seller oblige ! Apparemment, un tirage de 10 000 exemplaires fait un best-seller. Or le livre caracole loin devant Saddam Hussein ou Fidel Castro, autres « célébrités » en rayon. Et puisque j’ai l’air doué en histoire, on en profite pour me demander ce qui s’est vraiment passé à Stalingrad…

Du rêve à la réalité : un marché à restructurer
Depuis deux ans, la hausse des prix du pétrole fait que « les éditeurs se montrent plus sélectifs », selon l’Ikapi. Ils commencent à intervenir sur le fond, et à se montrer plus éditeurs qu’imprimeurs. Car le public indonésien n’est pas riche et, me dit-on, les acheteurs actuels ne représentent que la moitié du marché potentiel. La bête noire des éditeurs est donc la fiscalité, qui selon eux entrave leur « mission culturelle ». Davantage que le plagiat (7 cas l’an dernier, dont 3 réglés à l’amiable par l’Ikapi) ou le « photocopillage », qui les dérange surtout dans sa version industrielle, et encore : « plus il y a de livres copiés, plus cela forme de lecteurs », dit-on chez Al Kautsar.
Les grandes victimes sont plutôt les libraires. Est-ce à cause de la crise économique, de la faiblesse du marché en zone rurale ou du contentieux sur les livres scolaires, que les éditeurs vendent directement aux écoles ? Les 3000 libraires « officiels » d’il y a dix ans ne seraient plus que 400, y compris les géants Gramedia ou Gunung Agung. Alors, les 1000 nouveaux titres mensuels doivent être vite vendus, faute de quoi ils reviennent à l’éditeur, qui n’a pour alternative que les foires- expositions afin de vider son grenier…

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