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Une Française dans les égouts

Qui n’a jamais été incommodé par les ordures et l’odeur nauséabonde persistante lors d’une baignade à Bali ? A tel point que beaucoup d’entre nous y regardent à deux fois avant de se mettre à l’eau à Seminyak, Kuta, Sanur ou Nusa Dua. Hélène Delhaye n’avait quasiment jamais entendu parler de Bali avant d’y mettre les pieds et ne s’imaginait pas que le « paradis » vendu par les agences de voyages était aussi sale. L’Agence Japonaise de Coopération Internationale (JICA), à l’origine du projet de tout-à-l’égout, avait depuis longtemps conscience du problème. Un état des lieux avec une étude de faisabilité avait été lancé dès 1993.

Le premier prêt de la Banque Japonaise pour la Coopération Internationale (JBIC), principal financement du projet avec le gouvernement indonésien et le gouvernement régional, a été versé en 1994, mais c’est seulement en 2002 qu’il a été complété et fin 2004 que les premières tranchées ont été percées. Le projet, établi en deux phases et sur deux secteurs, Denpasar d’un côté et Sanur/Kuta de l’autre, devra être conduit à terme avant octobre 2008, date butoir couverte par le prêt. Pas moins de 130 Km de canalisations seront déployées, menant à une station d’épuration d’une capacité de traitement de 51.000 m3 d’eaux usées par jour, acheminées par la pression de deux stations de pompage.

Le projet a de l’allure et rassure. « C’était urgent », fait remarquer prosaïquement la jeune femme née à Poitiers, et qui repartira à Lyon terminer des études qui la mènent vers un diplôme d’ingénieur. Ce stage professionnel dans un pays en voie de développement, elle le voulait depuis longtemps et elle est absolument ravie de l’avoir obtenu. L’Indonésie a été une découverte pour elle et elle pense déjà y revenir après ses études « peut-être pour faire du volontariat international pour un ou deux ans ». Hélène Delhaye s’est prise d’intérêt pour Denpasar où elle aime se promener, mais supporte plus difficilement Sanur, où on la prend pour «une touriste ». Il est vrai que découvrir Bali pour ses égouts ne fait pas d’elle une visiteuse ordinaire…

Depuis le début, le projet bute sans cesse sur des questions d’intérêts et de personnes. Les fonctionnaires du Dinas P.U, l’équivalent indonésien du ministère de l’Equipement français, et les divers représentants des ONG impliquées n’ont pourtant pas lésiné sur la concertation avec les autorités locales, banjar et kelurahan. Si tout s’est à peu près bien déroulé à Denpasar et Sanur, c’est à Kuta que le bât blesse et le projet, sauf revirement de situation, est tout simplement abandonné sur cette zone. Il est vrai que les habitants de Kuta ont quelque peu été échaudés par l’éventrement à répétition de leur chaussée pour installer un réseau de drainage des eaux de pluie notoirement sous-dimensionné.

Outre le manque à gagner occasionné par les travaux, les gens de Kuta invoquent également les perturbations que cela entraîne dans le calendrier des cérémonies religieuses. Autre raison de refuser le tout-à-l’égout, la défiance à l’égard de ces fonctionnaires à la réputation calamiteuse. Les conflits de personnes entre chefs coutumiers et les fonctionnaires du P.U ou les représentants du Pemda, le gouvernement local, n’ont fait qu’aggraver la situation jusqu’au point de non-retour actuel. Pourtant, des sondages successifs ont montré que les gens de la rue comme les professionnels du tourisme de Kuta accueillaient favorablement le projet. Mis en marche par souci de préserver la manne touristique dans une région qui souffre de déjections urbaines incontrôlées, le tout-à-l’égout balinais ne desservira probablement pas la ville emblématique du tourisme à Bali…

Aujourd’hui, à peu près 40% des travaux de la première phase ont été réalisés, Denpasar est dans les temps et Sanur est même un peu en avance. A cause des problèmes rencontrés à Kuta, la courbe de progression du projet dans sa globalité est toutefois bien inférieure au planning et les ingénieurs japonais s’inquiètent. Seminyak, qui ne faisait pas partie du projet initial a demandé à être raccordé au réseau d’assainissement. Malheureusement, Legian pourrait bien suivre l’exemple de Kuta et se retirer du projet pour des raisons similaires, ce qui oblitérerait complètement les chances de Seminyak d’être connecté à la station de pompage.

Si la pollution du sud de Bali est liée incontestablement au tourisme, elle est également due à l’urbanisation sauvage de la zone et aux mauvaises habitudes des Indonésiens eux-mêmes. Hélène se dit choquée de voir « ce gaspillage de l’eau, de l’électricité et l’état lamentable des cours d’eau » et se demande aussi pourquoi le budget qui ne sera pas attribué à Kuta n’aiderait pas « à agrandir le réseau de Denpasar qui est la zone qui a le plus besoin d’un assainissement des eaux ». En attendant, le bureau d’études fait comme si de rien n’était et continue de dimensionner un système qui inclut Legian et Seminyak.

Il est vrai également que le secteur Sanur/Kuta est aux mains d’un entrepreneur différent de celui de Denpasar et que l’attribution des chantiers remonte à octobre 2004, avant le blocage de la situation. Un des deux se trouve bien évidemment lésé aujourd’hui. Autre écueil rencontré en cours de route, le site de la station d’épuration de Benoa était maladroitement prévu à l’emplacement exact d’une source sacrée. Ce qui en dit long sur les approximations de la préparation d’un projet vieux pourtant de douze ans. Enfin, de mauvais raccordements dans le secteur de Sanur auraient déjà occasionné des problèmes d’étanchéité et la station d’épuration recevrait pour l’instant des eaux propres en provenance des nappes phréatiques !

Pour la jeune étudiante française, « les habitants de Kuta voient à trop court terme » en refusant les égouts pour l’impact négatif sur l’économie le temps des travaux. Car s’il n’y a pas d’assainissement, « il n’y aura simplement plus de touristes » et « à continuer de rejeter les eaux usées dans la mer, il sera dur plus tard d’inverser la tendance ». En attendant, les localités de Denpasar, Sanur et Seminyak font le pari de l’assainissement et rejoignent ainsi le groupe encore très restreint des villes indonésiennes qui tentent de gérer leurs eaux usées.

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