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Une femme arabe se découvre en Indonésie

Qu’on se le dise tout de suite, Mona Darvich ne ressemble pas à l’image qu’on se fait habituellement des femmes du Moyen-Orient. La trentaine sportive et décontractée et un CV professionnel qui mentionne pêle-mêle le Conseil de l’Europe, les Nations Unies, la Banque Mondiale, l’OMC et l’ASEAN, font de cette Libanaise célibataire une anticonformiste parfaitement assumée. Issue d’une famille aisée et cultivée, elle doit à ses parents une passion dévorante pour les arts et la littérature et à son arbre généalogique un intérêt indéfectible pour la spiritualité. On y compte en effet de nombreux muftis, cheikhs et autres leaders religieux au Liban, en Syrie et en Jordanie, et même un ministre des Affaires religieuses. Diplômée des Universités de Lyon, Strasbourg et Paris, Mona Darvich, qui parle cinq langues et a visité de nombreux pays à travers le monde, n’avait jamais mis les pieds en Indonésie avant de travailler pour la Banque Mondiale et le gouvernement indonésien en 2000.

« Je ne m’étais jamais intéressée au sud-est asiatique. Au Moyen-Orient, la perception ordinaire de l’Indonésie est assez négative, c’est surtout un pays qui fournit de la main d’œuvre bon marché et c’est tout », affirme Mona. De quoi décevoir une population indonésienne toujours très admirative du monde arabe… Aujourd’hui, Mona Darwich a rejoint le Gerakan Integrasi Nasional, un mouvement de citoyens qui réfléchissent ensemble sur les moyens de préserver et renforcer cette identité indonésienne de plus en plus déchirée entre arabisation et occidentalisation. Soutenu par des personnalités comme l’ancien président Gus Dur, le gouverneur de Jakarta Sutiyoso, le ministre Juwono Sudarsono ou encore l’intellectuel d’origine allemande Franz-Magnis Suseno, ce mouvement organise de nombreux séminaires de réflexion. Paradoxalement plus connu sous son appellation anglophone de National Integration Movement, ce nouvel acteur de la société civile milite pour la Pancasila (les principes fondamentaux de la Constitution), le refus du sectarisme religieux ou ethnique et organise des pétitions pour l’amélioration de l’éducation nationale ou l’abrogation de l’annotation religieuse sur les cartes d’identité.

« L’Indonésie regarde toujours vers les pays arabes pour se définir, mais il n’y a que l’Arabie saoudite qui applique cette mention religieuse sur les cartes d’identité », explique Mona. Aujourd’hui intégrée à l’organigramme du NIM, Mona Darwich a cosigné un ouvrage collectif intitulé « Si les Femmes avaient la Parole », publié en indonésien. Ce livre est basé en partie sur un dialogue entre une femme libanaise, Mona Darwich, et une femme indonésienne, Maya Safira Muchtar, par ailleurs présidente du NIM, sur la perception qu’elles ont de leurs univers respectifs. L’occasion pour Mona Darwich de démonter certains mythes indonésiens sur la femme arabe et de rappeler qu’au Liban, elle a été élevée dans une atmosphère libérale. « Ma mère, qui était pour l’émancipation de la femme, disait toujours : Ce n’est pas le voile qui fera de toi une meilleure musulmane, mais ton comportement », rappelle Mona aujourd’hui aux Indonésiennes qu’elle croise dans les séminaires du NIM. « Ma mère ne m’a jamais forcé à faire les prières et me préparait même le petit déjeuner pendant le ramadan quand je ne suivais pas le jeûne», se souvient-elle amusée.

Avec Saif Al-Murayati, un peintre irakien basé à Sydney, Mona Darwich a organisé à Jakarta, fin 2005, une exposition de poèmes, surates et hadiths rédigés en calligraphie arabe et illustrés. « Tout est partie de la rencontre avec le peintre Salim Fakhruddine, de la galerie Salim, jl Oberoi à Bali. C’est lui qui a eu l’idée de cette exposition à Jakarta », affirme Mona. Assez provocatrice, les toiles mélangent images et messages religieux, l’exposition a été bien accueillie dans la capitale. « Parce que nous sommes Arabes, les gens n’ont rien dit. Le paradoxe, c’est qu’une telle exposition n’aurait pas été possible au Moyen-Orient », affirme Mona. Et de revenir sur cette identité indonésienne faite de tolérance : « Quand la journaliste de Kompas m’a demandé ce que l’Indonésie pouvait apprendre du Moyen-Orient, j’ai répondu : absolument rien », poursuit Mona Darwich. La guerre du Liban lui a bien sûr laissé des traces indéfectibles. « Les conflits là-bas sont sans fin, malheureusement, aujourd’hui, nous les exportons jusqu’ici», affirme-t-elle en référence aux attentats de Bali. « La société du Moyen-Orient est malade », ajoute Mona.

Diplômée en Civilisation et Littérature arabes, elle connaît les écrits saints sur le bout des doigts. Sa participation aux activités du NIM est donc très appréciée et permet un autre dialogue sur l’islam que celui orchestré par les écoles coraniques financées par l’Arabie saoudite. « Ici, il y a des femmes ministres, il y a eu une présidente, d’autres sont de redoutables businesswomen reconnues dans toute l’Asie, au Moyen-Orient, ce n’est pas le cas », poursuit Mona. « En fait, c’est plutôt le monde arabe qui devrait apprendre de l’Indonésie », ajoute-t-elle. De cette constatation simple est né un nouveau projet de livre avec Maya Safira Muchtar. Les deux femmes vont une nouvelle fois traverser les frontières et les tabous pour un livre dialogue sur les représentations de la femme dans leurs cultures respectives. Elles promettent d’aborder tous les sujets, des relations homme-femme aux rôles des femmes dans la société civile ou sur la scène politique. « Nous sommes très soucieuses toutes les deux de l’impact qu’ont certains imams, influencés par les fondamentalistes, de limiter les libertés de la femme en Indonésie», conclut Mona Darwich. Dossier à suivre donc.

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