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UNE ETRANGE VISITE

Décembre est une période que je trouve particulièrement angoissante. La fin du dernier chapitre de l’année approche, quel terrible moment d’attente ! Où sont passés tous ces mois, toutes ces semaines et tous ces jours ? Il semble que le temps se soit envolé depuis janvier dernier. C’est sans doute pour lutter contre cette peur du changement, que nous sommes amenés dans le monde entier à célébrer ce passage entouré de nos proches. En effet, quoi de mieux pour oublier cette fin qui approche, que de s’enivrer de paroles bruyantes, de mets riches, de couleurs chatoyantes, comme si nous vivions nos derniers jours, et qu’il fallait les calfeutrer d’amour ? Je ne m’étais jamais interrogé sur la raison des excès de fin d’année avant de passer cette période de fête au calme, loin de tout mais à mon aise, dans mon habituel état de frugalité, induit par la vie balinaise.

Un soir de décembre, j’étais chez moi à Ubud, plongée dans la contemplation des rizières si charmantes, avec une bonne tasse de thé, lorsqu’à ma porte l’on vint frapper. « Qui est là ? », dis-je étonnée. « C’est moi. » répondit une voix glaçante. « Où êtes-vous donc ? » La voix se durcit : « Nul ne peut me voir, car je suis le visage même de l’incertitude. » Je me sentis hésitante : « De porte ne vous seriez-vous pas trompé ? » dis-je avec diplomatie, ce à quoi l’on répondit : « Non. On me nomme Solitude et je suis venue te hanter, jusqu’à la fin de l’année ! »

À ces mots, une fumée étrange se glissa sous mon palier, et je ne pus rien faire pour l’en chasser. Ma vision se brouilla : ma maison balinaise aux détails pittoresques se changea en un taudis grotesque. Soudain, les fenêtres devinrent étroites comme mes idées, les murs furent grillagés comme mon coeur. Saleté, puanteur, mes sens furent aveuglés par un voile de mauvaise humeur. Où suis-je ? Que fais-je dans ce pays qui n’est pas le mien ? Je suis si triste, si loin ! Je devrais être parmi les miens, à célébrer Noël en famille, et non toute seule dans mon coin ! Hélas, les rizières si charmantes se transformèrent en d’horribles marécages, et je me sentis comme un animal que l’on vient de mettre en cage. Je fus saisie d’un frisson d’épouvante en prenant la mesure de cette vie errante. Je veux partir, je veux rentrer, j’en ai assez d’être toujours un étranger !

J’ouvre la porte. Je décide d’acheter du pain, du vin, du fromage, peu importe, car j’ai avant tout besoin de m’enivrer d’images fortes. Hélas, rien ne peut combler ce creux au coin du ventre, lorsque votre pays vous manque. Ah, Solitude, pourquoi t’es-tu invitée chez moi, alors que je m’étais si bien préparée, pour mon Noël balinais ? Mal du pays, pourquoi te fais-tu toujours ressentir, est-ce une façon de me punir ? Je me mure dans le silence, alors que je rêve de neige et d’abondance. Que faire dans un tel moment d’aphasie ? Rien. Il faut juste attendre que Solitude se décide à nous quitter pour visiter un autre logis. Elle poursuivra son chemin, parcourant les maisons une par une, avec du Mal du pays plein les poches : car c’est un fait, en décembre, nous souffrons tous d’être loin de nos proches. Inutile de précipiter votre départ, car vous seriez confronté à une autre vision : celle de ne plus être chez vous nulle part. Recevoir Solitude demande à prendre toutes ces précautions, car elle revient chaque année à votre porte frapper. Or on ne peut rien contre cet être impalpable : autant lutter contre du sable !

Il convient donc de prendre votre mal en patience, réveillonnez de riz et de coco, cultivez vos passions, entraînez-vous à la pleine conscience. Après tout, ces moustiques si gros ne sont-ils pas plus sympathiques que vos voisins parisiens ? N’écoutez pas la voix de Solitude, ne vous laissez pas intimider par ses propos sévères, ni par son dédain austère. Laissez donc entrer cette odieuse invité qu’il convient hélas de croiser une fois dans l’année. Ne battez pas retraite. Offrez-lui votre meilleur siège, mais ne lui prêtez qu’une oreille distraite. Peu importe que lui déplaise votre vie balinaise, car c’est ici que vous êtes maintenant, et il convient de vivre dans l’instant présent. Solitude repartira aussi vite qu’elle est arrivée, une fois le premier janvier célébré.

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