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Un Remaniement ministériel pour sauver la face

L’actualité politique indonésienne a très largement été dominée par les spéculations sur un éventuel remaniement ces dernières semaines. Deux ans après le début de son second mandat, le président Yudhoyono a finalement répondu aux attentes. Mais il apparait clair que la notion de compétence n’est pas centrale dans la constitution de ce nouveau cabinet.

Pendant ces deux dernières années, de nombreux ministres ont été liés à des scandales de corruption, des violations éthiques, ont accumulé les gaffes, les mauvaises décisions, ont fait preuve d’incompétence ou de manque de travail. Aucun n’a été débarqué. Seule Sri Mulyani, icône de compétence et de lutte anti-corruption, a du être poussée vers la porte. Ses torts : être entrée dans un conflit presque frontal avec Aburizal Bakrie, grand patron du Golkar, magnat de l’économie indonésienne et apparemment
chef de l’Etat officieux.

Le cas de Sri Mulyani a ceci d’intéressant qu’il éclaire et explique à lui seul le fonctionnement du gouvernement indonésien et le choix des ministres qui le composent. Malgré un soutien international pour son rôle dans le bon maintien de l’économie indonésienne dans la tempête financière mondiale de 2008, son combat ouvert contre la corruption et une compétence reconnue de tous, la meilleure représentante du gouvernement a été gentiment remerciée en 2010. Preuve s’il en était besoin que la compétence technique n’est pas un critère suffisant pour être ministre.

Sri Mulyani avait le défaut de ne pas être suffisamment politiquement connectée. Face à la machine politique indonésienne conduite par le Golkar et Bakrie, elle fut écrasée. La politique est l’art de rendre les choses possibles. Les politiciens indonésiens l’ont bien compris, surtout en ce qui concerne leur intérêt propre. Sri Mulyani fut sacrifiée politiquement et le nouveau gouvernement présenté fin octobre répond lui aussi à des intérêts purement politiques. Deux exemples : Mari Pangestu était une ministre du Commerce compétente et respectée, mais n’a pas d’affiliation politique. Elle a été déplacée au Tourisme, un domaine dans lequel elle n’a pas d’expertise. Elle a été remplacée au Commerce par un homme certes lui aussi compétent, Gita Wirjawan, mais qui présente aussi (et surtout ?) l’intérêt d’être beaucoup plus lié au président.

Jero Wacik était ministre de la Culture et du Tourisme depuis 2004. Son bilan y est plus que contestable quand on connait le potentiel inexploité que représente l’archipel. Il a néanmoins réussi à conserver un poste au gouvernement et a même été promu à un portefeuille clé, celui de l’Energie et des Ressources minérales. Sans expérience notable dans les domaines des industries minière et pétrolière, que va-t-il être en mesure d’apporter à des secteurs majeurs de ce pays faisant face à de nombreux défis ? Nul ne le sait, mais Jero Wacik est un membre important du parti démocrate de Yudhoyono, où il officie au Conseil d’éthique. Il a largement aidé le parti à gagner en popularité à Bali, une terre traditionnellement ralliée au PDI-P de Megawati. C’est sans conteste la raison majeure de sa nomination, à trois ans d’élections législatives et présidentielles qui vont nécessiter des ressources financières importantes pour les différents partis. Le Golkar est l’autre gagnant de ce remaniement, récupérant un portefeuille supplémentaire. Yudhoyono espère ainsi s’acheter sa tranquillité au parlement jusqu’à la fin de son mandat. Rien n’est moins sûr.

Le président indonésien n’a donc pas viré les ministres dont les compétences étaient remises en cause ou les erreurs flagrantes. A l’exception notoire du ministre de la Pêche et des Affaires maritimes Fadel Muhammad, débarqué toutefois sans raisons claires. Ce dernier a affirmé ne pas avoir reçu de notification officielle de son remplacement et a organisé ensuite conférence de presse sur conférence de presse pour restaurer sa dignité. Seul le secrétaire d’Etat Sudi Silalahi s’est exprimé sur son remplacement, provoqué selon lui par « des problèmes ». Difficile d’être moins clair. Sauver la face est une obligation dictée par des raisons culturelles, un phénomène asiatique auquel l’Indonésie n’échappe pas, surtout pour ses notables. On se demande donc quelle est la faute de Fadel ? Ce ne fut pas le cas de Sri Mulyani, certes sacrifiée par le président sur ordres du marionnettiste Bakrie, elle n’avait néanmoins pas été virée. Elle a quitté le gouvernement pour un poste de vice-présidente de la Banque mondiale.

Si le président ne pouvait pas éjecter ses mauvais ministres pour qu’ils ne perdent pas la face, en ne faisant que les déplacer, il aurait lui-même pris le risque de perdre la face devant la colère populaire. Dans un savant numéro d’équilibriste, il a donc répondu aux critiques lui reprochant le manque de techniciens compétents par la création de treize postes de vice-ministres. Tous ces postes sont effectivement occupés par des spécialistes intègres et non politisés. Mais quid des relations entre ces vice-ministres et leur ministre de tutelle ? Que va-t-il se passer aux plus hauts niveaux de décision quand la compétence technique va se heurter aux intérêts politiques et personnels ? Là n’était pas le problème majeur du président Yudhoyono. Assurer ce changement en fonction des agendas et en évitant tout séisme politique sont donc les seuls critères qui ont prévalu. Le gouvernement remanié a dès lors peu de chances de provoquer une avancée considérable. Mais le président n’avait d’autre choix, à mi-mandat, que de donner l’impression de répondre à certaines attentes légitimes. Ce nouveau
gouvernement a cependant été pensé politiquement. Il répond aussi à des
impératifs culturels forts et n’a pas été mis en place pour répondre aux besoins de l’Indonésie et des Indonésiens. Il est la juste et directe conséquence de la méthode Yudhoyono, une méthode qui a placé un président faible à la merci du jeu politique.

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