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Un petit tour au Pasar Malam avec Johanna Lederer

La Gazette de Bali : Racontez-nous quand et pourquoi est née l’association Pasar Malam ? Johanna Lederer : Elle a été déclarée officiellement en juin 2002 à la Préfecture de police de Paris. Mais elle est née un soir de juin 2001, au cours d’un dîner dans le Marais. Avec Wilma Margono et Yita Dharma, nous étions trois à nous lamenter que l’Indonésie c’était vraiment très loin. Qu’elle était bien absente dans le paysage parisien pourtant si pittoresque et bariolé des couleurs de tous les pays. Que l’Indonésie était extrêmement peu connue et donc peu appréciée en France (seule la mention de « Bali » provoquait alors une lueur d’intelligence dans les yeux, autrement mornes quand on parlait de l’Archipel). Que c’était dommage qu’il n’y eût pas de centre culturel indonésien. Que dans ce choix fantastique de films à Paris il n’y eût jamais de films indonésiens…

Après quelques verres de vin nous étions arrivées à la conclusion qu’il ne restait plus qu’une chose à faire : créer nous-mêmes une association qui offrirait tout ça : des danses, des conférences, des films, de la cuisine indonésienne ! Folie ! C’est en effet, comme nous ne tarderions pas à le découvrir très vite, un très gros travail pour un résultat bien modeste. Même si aujourd’hui, l’Indonésie, grâce largement à la démocratisation qui s’est durablement installée depuis douze ans, est mieux connue et discutée dans des journaux français. On peut toujours regretter qu’elle reste très peu « trouvable » ici : livres, films, disques qui pourraient refléter la vie culturelle et intellectuelle contemporaine de l’Indonésie font grand défaut dans les magasins de l’hexagone.

LGdB : Et quelle est l’essence de son activité ?
J L :
Faire connaître l’Indonésie, sa culture unique et diverse, ancienne et contemporaine d’une grande richesse et d’une grande vivacité, mais aussi développer l’amitié entre les deux peuples. La diffusion de la culture française en Indonésie nous intéresse ; nous aimerions pouvoir co-éditer avec une maison d’édition indonésienne des romans ou recueils de poésie français traduits en indonésien. Nous proposons en France des soirées autour d’un thème (littérature, arts, sciences, tourisme, etc.) et des débats, films, spectacles de danse, rencontres avec des artistes et des intellectuels indonésiens et français (par exemple la journée des dix heures pour la littérature indonésienne qui a lieu tous les deux ans) et, bien sûr, à chaque fois, un buffet indonésien.

Nous publions une revue semestrielle Le Banian, le prochain numéro, le n° 9 est consacré à Bali justement. Nous venons de créer un programme éditorial en janvier 2010, la Collection du Banian, qui a déjà sorti Le chant à quatre mains. Pantouns et autres poèmes d’amour, un recueil bilingue, composé, commenté et traduit par Georges Voisset. Un second livre sera publié en septembre prochain, Recueillement (Ziarah) de Iwan Simatupang, traduit par Monique Zaini-Lajoubert.

LGdB : Quel est le profil des membres de votre association et des collaborateurs du Banian ? J L : 99% des membres de l’association et des collaborateurs de notre revue semestrielle Le Banian sont allés, ou même, ont vécu plus ou moins longtemps en Indonésie. A part ça, ce sont des personnes, en majorité françaises, curieuses, cultivées, des chercheurs ou cadres, quelques étudiants. Les collaborateurs du Banian, une revue que j’ai créée en 2005 (n° 0) pour faire connaître la culture indonésienne de façon distrayante mais avec rigueur et sans la prétention d’être une revue spécialisée, ou savante, sont Jacqueline Camus, Dominique Maison, Etienne Naveau, Hélène Poitevin-Blanchard, Josef Prijotomo, Georges Voisset et Monique Zaini-Lajoubert, des profs, chercheurs, ingénieurs pour certains, des connaisseurs et amateurs d’Indonésie pour tous. J’en profite pour leur rendre un hommage appuyé pour leur compétence et abnégation, depuis La Gazette de Bali, tiens !

LGdB : Parlez-nous de la diaspora indonésienne en France ?
J L :
Peut-on parler de diaspora indonésienne en France ? S’il y a eu effectivement dispersion de communauté, c’était la communauté communiste ou proche des communistes, durement réprimée par un régime autoritaire. Je vois une diaspora aux Pays- Bas. Mais en France, ce sont plutôt des individus qui ont terminé leur pérégrination à Paris. Des personnalités comme Pak Umar (Umar Saïd), ou Ibarurri Sudharsono qui ont été pendant longtemps interdits de patrie du temps de Suharto et qui, après de multiples séjours forcés dans différents pays, ont adopté la France. Aujourd’hui ils peuvent retourner en Indonésie sans problème.

LGdB : Les restaurants à Paris ?
J L : Il n’y a malheureusement que deux restaurants indonésiens à Paris, tous deux étant des lieux très agréables : Indonesia (près du Jardin du Luxembourg, fondé en 1982 comme une coopérative ouvrière pour aider les réfugiés politiques indonésiens en créant des emplois) et Djakarta-Bali (dans le quartier des Halles, créé en 1985 par un diplomate indonésien proche de Soekarno). Il existe aussi le Kedai Kopi, sur le terrain de l’ambassade d’Indonésie, une échoppe modeste et chaleureuse, aux plats goûteux. Ce manque de restaurants fait aussi que nous tenons beaucoup à offrir un buffet à chacune des « soirées Pasar Malam », où nous tentons de nourrir l’esprit et le corps.


LGdB : Pourquoi un consulat indonésien à Marseille ?

J L : Alors là, je n’en sais rien ! Il y a bien quelques étudiants indonésiens là-bas, mais est- ce que cela justifie l’ouverture d’un consulat ? J’ai appelé à la rescousse Anda Djoehana Wiradikarta, un de nos deux vice-présidents (l’autre étant Igor Rochette). Et j’ai bien fait de consulter Anda: il rappelle qu’il existe un jumelage entre l’ITB de Bandung et l’Université de Montpellier. Par ailleurs, comme il l’a fait remarquer, il est bon d’avoir l’Indonésie représentée dans le nord (Paris) et dans le sud (Marseille).

LGdB : Quel est l’historique des relations entre la France et l’Indonésie ? Le drapeau français qui a flotté sur Batavia sous Napoléon…
J L :
Eh oui, même Java a connu sa période napoléonienne ! Mais si certains parlaient en 1808 d’une « Java française », pour moi la réalité est un peu différente. Les Pays-Bas ayant été annexés à la France par Napoléon de 1806-1810, il allait de soi que les Indes néerlandaises ou Indisch Nederland, tombent également sous l’autorité impériale française. C’était par ailleurs un Hollandais, gouverneur général des Indes néerlandaises, Herman Willem Daendels* qui représentait à la fois l’empereur français, le roi de Hollande (frère de Napoléon) et la loi dans les Indes. Il y a bien eu une occupation française avec drapeau tricolore à Java dans la mesure où il y fut mené une guerre colonialiste, une guerre opportuniste de la part des Français : les Pays-Bas faisant partie de la France, ses colonies faisaient de facto partie de l’Empire. Napoléon qui livrait bataille contre son ennemi de toujours, l’Angleterre, continuait celle-ci dans la lutte pour les colonies, y compris la colonie de son vassal, la Hollande. Mais Java, en temps normal, l’aurait-elle intéressé ?

Si aux Pays-Bas l’interrègne français est connu, en Indonésie cela n’a fait trembler personne et ce fait est passé largement inaperçu en France, le début du 19e siècle occupait davantage les pensées : d’autres guerres d’expansion se préparaient en Europe sous Napoléon… Ce petit intermède, au regard de l’Histoire, n’a rien changé fondamentalement au sort des Indonésiens. Sauf que Daendels, coléreux et méprisant, détesté par la population, ne serait-ce que pour la grande route postale qu’il fit construire à Java et qui a fait plusieurs milliers de morts (on peut lire à ce propos Jalan Raya Pos, Jalan Raya Daendels, de Pramoedya), avait aussi tenté des changements, valables et visibles aujourd’hui encore : on peut mentionner la création d’hôpitaux ou de préfectures à Java, la lutte contre la corruption, la recherche de limitation des pouvoirs féodaux, la réglementation de l’esclavage.

La vision qu’avaient les Français de l’Indonésie passait quand même essentiellement à travers celle des Hollandais. Aujourd’hui les relations entre la France et l’Indonésie, à part le tourisme à Bali, restent en grande partie des relations diplomatiques. Les échanges culturels ou universitaires gagneraient à être développés, les exigences bureaucratiques à être allégées. Tout cela combiné ferait peut-être la raison pour laquelle l’Indonésie est si peu connue en France ?

LGdB : La visite de Mitterrand sous Suharto…
J L :
Que dire ? Qu’en 1986, il ne savait pas que voyager dans des Concorde était faire preuve de gaspillage ? Mais n’était-il pas aussi allé en visite officielle au Maroc du temps de Mohammed V, qui n’était pas non plus un très grand démocrate ? Plus
sérieusement, les alliances stratégiques de la France sous Mitterrand, allié fidèle des USA, le rendaient myope devant les violations des droits de l’Homme dans un autre pays gouverné par un ami des USA…

LGdB : Pourquoi consacrer un numéro spécial à Bali ?
J L :
« Oh, regarde ce drapeau blanc et rouge, c’est la première fois que je vois le drapeau balinais ! L’Indonésie ! Ah, oui, c’est l’île proche de Bali, n’est-ce pas ? Je voudrais partir pour Bali et l’Indonésie. » Des remarques que nous avons tous déjà entendues, n’est-ce pas ? Si l’Indonésie est quasiment « terra incognita » en France, Bali est tout ce qu’on voit d’elle d’ici. Mais il n’est pas sûr qu’on rende à Bali ce qui est à Bali…

SOMMAIRE

Le Banian n° 9 Pourquoi Bali ?

Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, qui vous défait.
Nicolas Bouvier, L’usage du Monde, Petite bibliothèque Payot voyageurs
Editorial, Johanna Lederer Malam Cahaya Lampion, poème de Tan Lioe Ie
Jared Collins, les noces de l’histoire et de la tradition, Agnes Gun
La religion de l’eau, Jean Couteau
Š Ou la naissance d’un mythe, Marie- Claude Gavard
Le Subak Museum à Sanggulan : quel musée pour la civilisation du riz ? Marc- Antonio Barblan
Au delà des apparences. Morphologie des esthétiques et cosmologie à Bali, Catherine Basset
Peinture balinaise moderne et contemporaine : le rôle du groupe Sanggar Dewata, Helena Spanjaard
Peinture sous verre à Bali, entre pratique populaire et réemploi identitaire, Jérôme Samuel
Danses balinaises, Ilse Peralta
Voyage à Bali ou l’harmonie d’un déséquilibre, Martine Estrade
I Gusti Ayu Kadek Murniasih, la Grande Dame balinaise de l’art contemporain, Carla Bianpoen
Paradis perdu, paradis fabriqué, paradis artificiels et paradis retrouvé, Socrate Georgiades Rubrique Français langue exotique ? Par Sandie et Nyoman Bujana
Rubrique Compte rendu de lecture. Par Laetitia Chanéac sur le livre « Ma vie à Bali » Rubrique Pages retrouvées : De Lamartine au gusti Jilantik. Bref parcours romanesque de 1860, Georges. Voisset
Rubrique Les bonnes feuilles du Banian : « Tu sais, j’ai un petit peu aidé le dieu », nouvelle de Oka Rusmini

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