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Un oiseau à ma fenêtre

« Tap, tap tap ! » Il y a un certain temps, alors que je vivais à Sanur,quelque chose m’a réveillé en cognant sur la fenêtre de machambre tôt le matin. Je me demandais bien qui cela pouvait être. Je me suis levé pour aller voir. Il n’y avait personne. Puis,après une minute à peu près,« tap, tap, tap » à nouveau. Je jetai un œil avec précaution entre les rideaux et vis une ombre fugace monter et descendre. C’était un petit oiseau, un bulbul goiavier,qui disparut à l’instant où il mevit bouger, son chuchètementen forme de staccato strident le suivant à la trace dans les bambous. « Tuii, tuii, tuii, tuiit,tuiit ! », à nouveau, il était revenuet je me tenais sans bouger,l’observant d’un endroit caché.Il ne faisait pas que taper et faire crisser son bec sur la vitre,il volait aussi de haut en bas, la griffant avec colère de ses pattes.Je compris qu’il ne voyait pas sapropre image mais celle d’unrival male sur son territoire,qu’il essayait d’attaquer et de faire fuir.

A partir de ce jour, il revint tous les matins pour répéter sa performance, à la même heure et à la même fenêtre. Quand nous nous regardons dans un miroir, nous nous reconnaissons, nous savons que la personne que nous voyons en réflexion est nous-mêmes. Mais qu’est-ce qui nous permet de le savoir ? J’ai décidé d’en savoir plus. Je me suis informé au sujet du « test du miroir » mis au point pas Gordon Gallup en 1970, basé en partie sur les observations de Charles Darwin au 19ème siècle. Ce test détermine si un animal est capable de se reconnaître dans un miroir ou non. Cela nous informe sur la capacité du cerveau et la conscience de soi. Certaines bêtes peuvent « comprendre » que l’image mouvante du miroir fait exactement ce qu’ils font et ils « réalisent » que cette bête est une réflexion d’eux-mêmes. Et la liste de ces animaux n’est pas bien longue.

Ceux qui sont capables de se reconnaître dans une glace sont : tous les grands singes (humains, bonobos, chimpanzés, orangs-outans et gorilles). Les bébés humains ont tendance à faillir au test du miroir jusqu’à l’âge de 15-18 mois. Les autres primates échouent, à l’exception peut-être des babouins, des macaques et de certains gibbons. Les autres animaux qui passent le test sont les grands dauphins, les orques, les éléphants d’Asie (pas ceux d’Afrique) et les pies bavardes.

Cela veut-il dire que ces animaux sont « très intelligents » ou « extrêmement intelligents », un peu comme nous ? C’est certainement une donnée à considérer. Tout aussi certainement, la plupart des animaux qui se retrouvent devant une glace ne se reconnaissent pas, ont tendance à s’ignorer (peut-être n’en ont-ils rien à faire ?) ou deviennent hostiles comme s’ils faisaient face à un rival ou se mettent à parader comme en face d’un partenaire amoureux. Certains animaux comme les pigeons peuvent aussi être entraînés à reconnaître leur image dans un miroir. Les autres ne réagissent au miroir que lorsqu’ils
sont encore jeunes. Et qu’en est-il de la pieuvre qui,selon certains scientifiques, réagirait quelquefois devant un miroir ? Ignore-t-elle sa réflexion ou la considère-telle comme un autre ? Il faut noter que les animaux ne rencontrent pas de miroirs ou de surfaces réfléchissantes performantes dans la nature. L’eau dormante est une exception, puisque lorsqu’une bête se désaltère dans une mare, elle est en mesure de percevoir parfaitement la menace d’un prédateur, comme un aigle qui passe au dessus. Par conséquent, un carreau qui renvoie son image est une nouveauté pour le passereau de mon jardin.

Le dossier est compliqué, un peu confus mais passionnant. La plupart des gens sont d’accord pour dire que les chats ne reconnaissent pas leur image mais qu’en est-il des chiens ? Certains propriétaires de chiens sont sûrs que leur animal est capable de s’identifier dans la glace, d’autres n’en sont pas si sûrs. Cela dépendrait-il du chien ? Chats et chiens voient certainement un autre animal dans la glace mais il n’est pas sûr qu’il reconnaissent cet animal comme eux-mêmes. Peut-être ne voient-ils qu’un autre rival ? N’oublions pas que ces animaux utilisent l’odeur plutôt que la vue pour s’identifier les uns les autres. Une image dans la glace n’a pas d’odeur !

La perruche ondulée regarde son image dans la glace, elle doit penser qu’elle a la compagnie d’une autre perruche dans sa cage. Les oiseaux ont une bonne vision et les plumes de toutes les couleurs de la plupart d’entre eux prouvent qu’ils sont conscients des différentes apparences de leurs congénères.

Je me souviens d’un autre exemple des limites de cette perception et des frontières de la compréhension chez les animaux. J’ai eu une chatte appelée Jinjee. Dans mon salon, je possédais un grand aquarium peuplé non pas de poissons mais de souris épineuses. Ces intéressants petits rongeurs ne dormaient pas beaucoup et passaient leur temps à courir et sauter dans l’aquarium, faisant des sauts périlleux arrière – tellement plus passionnants à observer que les habituels rats, hamsters et autres gerbilles que je collectionnais à cette époque ! Jinjee montait donc sur une chaise à quelque distance de l’aquarium et regardait les acrobaties des petites souris avec cette intensité propre aux prédateurs. Puis, une des souris s’approchait finalement dans l’aquarium du point le plus près de la chatte assise à l’extérieur. Remuant du bout de la queue, Jinjee sautait soudainement la tête la première dans la vitre de l’aquarium avant de se ramasser sur le sol, sonnée et hagarde. Elle remuait alors la tête avant de s’éclipser penaude dans une autre partie de la maison. En moins d’une heure, elle était revenue à son poste, surveillant à nouveau chaque mouvement des rongeurs en rêvant à un bon repas. Et puis, saut, crash et chute ! Ce cycle s’est répété pendant des mois jusqu’à un déménagement au cours duquel je me suis débarrassé des souris épineuses. Peu importe combien de fois elle s’était fracassée la tête contre la vitre, la chatte n’était pas capable de rationaliser l’existence de la vitre entre elle et la souris. La vitre était bien évidemment invisible à son œil donc, dans la pratique, il n’y avait rien pour elle qu’il fallait éviter. Les attaques se sont donc poursuivies et la pauvre Jinjee a dû en avoir la tête toute cabossée. La chatte ne pouvait éviter ce qu’elle ne comprenait pas.

Les animaux à la limite de leur programmation génétique et des capacités de leur cerveau font donc face à des défis difficiles dans un environnement nouveau auquel ils sont peu adaptés et pour lequel ils n’ont pas été créés.

Cela m’amène à me demander où sont nos limites ànous, humains. Parce que nous sommes des animaux aussi, quelles sont donc les barrières invisibles dansnos existences que nous essayons laborieusementd’appréhender ? Notre science est constamment en trainde repousser les frontières de la connaissance, à tel pointque des événements surnaturels, peut-être anciennementexpliqués comme les travaux d’anges ou de démons, sontdésormais expliqués de façon rationnelle. Pourtant, je me demande si – à l’image de l’oiseau n’identifiant passa propre image et de la chatte incapable d’appréhender le concept de la barrière vitrée – nous ne serions pasnous aussi constamment confrontés à des événements que nous pensons comprendre alors qu’en fait la réalité demeure bien hors de notre portée. Et ce sans doute pour toujours…

Et qu’est-il arrivé à mon petit oiseau ? Après quelques mois, il a disparu et n’est jamais revenu. A-t-il décidé que le « rival » dans la fenêtre était trop fort et qu’il devait abandonner ce territoire ? Ou a-t-il réalisé qu’il ne voyait que lui-même et qu’il n’était donc pas nécessaire de se battre ? Je me pose encore la question… Et je me dis que je devrais placer un miroir dans mon jardin pour voir ce que les macaques, hiboux, martins-pêcheurs et autres hérissons pourront bien en faire !

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