La loi numéro 7 de 1978 prévoit la prise en charge par l’Etat des frais de santé des présidents et vice-présidents (en exercice ou retraités) ainsi que de leurs proches. Voilà donc la famille de l’ex-président Suharto libérée de quelques angoisses financières. Pour les autres, et en particulier les plus pauvres, la vie est un tantinet plus compliquée. A l’hôpital, c’est bien connu, on paie avant de consommer : 40 000 Rp l’inscription et la première consultation de l’interniste, puis on repasse à la caisse pour chaque acte : radio de thorax (Rp 75 000), prélèvements sanguins, et bien entendu les médicaments. Si vous devez vous faire hospitaliser, vous devrez d’abord vérifier qu’un lit est disponible dans la classe de votre choix. L’employé vous incite d’ailleurs à visiter au préalable, sans doute pour éviter les réclamations ultérieures, puis vous revenez, sur un brancard s’il le faut, déposer à la caisse une caution équivalant à plus ou moins dix jours d’hospitalisation, dont vos frais réels (chirurgien, anesthésiste etc.) seront déduits.
L’hôtellerie en dortoir de 3e classe coûtant environ 85 000 Rp la nuitée dans le public, l’aspirant malade paie d’emblée un mois du salaire minimum légal, dont on connaît par ailleurs l’aspect théorique. Tout ceci à condition bien sûr que la surpopulation ne le contraigne pas à passer en classe supérieure, voire à changer d’hôpital. Au MMC, clinique des stars, le prix des chambres peut atteindre 2,75 millions en catégorie VIP Supérieur…. Depuis 1998, l’Indonésie a mis en place un système d’exemption pour les personnes pauvres. D’abord appelé Réseau de Sécurité Sociale (Jaringan Pengaman Sosial ou JPS), il a été réformé en 2004 et la gestion transférée à une compagnie d’assurances. La carte Askeskin (Assurance Santé pour les personnes pauvres), dont l’initiative revient au ministère mais dont l’attribution est du ressort des autorités provinciales, garantit en principe la gratuité d’un large éventail des services de santé à ses titulaires : 76.4 millions de personnes en 2007, selon les données du Bureau National des Statistiques, dont un peu plus de 675 000 chefs de familles à Jakarta, grande couronne non incluse.
Le complexe hospitalo-universitaire Cipto Mangunkusumo est la référence nationale pour tout un tas de spécialités. C’est une ville, avec une haute densité de blouses blanches, des warung dans les arrière-cours, des kilomètres de couloirs encombrés de marchands à la sauvette et des brancardiers qui circulent dans tous les sens Le guichet Askeskin n’y est ouvert que de 8h à 11h30 les jours ouvrables. Le reste du temps, un gardien renseigne obligeamment. On se dit alors que pour être malade, quand on est pauvre, il faut avoir des jambes – et une espérance de vie supérieure à plusieurs semaines. L’établissement du dossier vous enverra en effet chez votre RT (cf. la Gazette n°23 – avril 2007°) et votre RW, puis au Kelurahan et au Kecamatan, afin d’obtenir des lettres de recommandations fondées sur votre niveau de vie. Le dispensaire du coin vous fera une lettre pour les services sociaux. Préalablement, vous aurez vérifié que votre carte d’identité et votre livret de famille sont à jour et à la bonne adresse. Moyennant quoi… l’hôpital vous demandera quand même de participer aux frais, potentiellement à hauteur de 50%. La carte acceptée pour les résidents de Jakarta-ville, validée par le gouverneur, porte en effet un autre nom (Gakin) et, pour des raisons mystérieuses, n’est pas aussi miraculeuse que celle des banlieues avoisinantes.
Comme souvent à Jakarta, c’est dans le service public que les initiatives associatives trouvent leurs origines. C’est ainsi, grâce à un groupe de médecins issus de Cipto, qu’est née la Rumah Sehat (« plus positif que rumah sakit », sourit le docteur Mohammad, le médecin à plein-temps de garde) Masjid Agung Sunda Kelapa, ou RS MASK, réservée aux personnes sans ressources. Elle vient d’être construite à Menteng, derrière la mosquée Agung, propriétaire du terrain et des bâtiments. Toute blanche, toute propre, salles minuscules, ambiance feutrée : un petit bijou, ouvert en septembre dernier. Entreprises et simples particuliers participent au financement de ce qui n’est encore qu’un dispensaire amélioré : il y a encore des sacs de ciment devant l’ascenseur et les radios sont à faire à l’extérieur. Mais avec une moyenne de 30 consultations par jour, l’équipe est optimiste. L’essentiel est là : un personnel souriant et qualifié, certains salariés, d’autres volontaires, en particulier les spécialistes. La maison de santé est ouverte tous les jours, 24h sur 24. Elle dispose d’une dizaine de lits d’observation et d’ambulances pour aller chercher les patients à domicile ou les référer… le plus souvent à l’hôpital Cipto. « Ici, il n’y a pas d’argent », déclare fièrement le Dr Mohammad. « Nous n’accueillons les malades payants qu’en urgence, et nous les réorientons dès que possible ». Le monde à l’envers… « Le contact humain est ce qui nous motive », explique le docteur. « On ne doit pas négliger ni rudoyer les patients pauvres. Ici, ils sont traités avec respect et dans les règles de l’art ». Puis une équipe sociale se rend à domicile avec un questionnaire détaillé, afin de valider l’attribution officielle de la carte Gakin. Les « cas extrêmes », une dizaine en quatre mois, sont financés par l’association. Mais les médicaments sont autant que possible génériques, et l’association veille à la transparence des comptes : question de viabilité et d’exemplarité. « Nous avons l’ambition de montrer au monde que soigner gratuitement et correctement les plus pauvres, c’est possible ». De quoi rêve encore le docteur Mohammad ? « D’étendre le réseau », bien sûr.