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Un chef de tribu musicien et gardien de la coutume dayak

Sur les étagères, des masques en bois inquiétants disputent la place aux statues de la Vierge Marie. Au mur, une cape en peau de chèvre côtoie une tapisserie ultra « kitch » du Christ Rédempteur. Dehors, assise en tailleur sur un banc, une vieille dame concentrée confectionne un ouvrage multicolore. Ses mains tatouées cueillent une à une de minuscules perles dans une boite en plastique. Elle sourit. Elle réalise que vous venez de découvrir ses « longues oreilles. » Unyang Kulé est une femme dayak, originaire d’une tribu installée sur les rives du Mahakam. Son beau-fils, Pak Stanislas Bayo Liah accueille ses hôtes sur le pas de la porte. Bel homme, la quarantaine, un regard noir qui vous transperce. Personnalité de Balikpapan, il est professeur d’histoire, musicien hors pair et… chef dayak.
Mais qui sont les Dayaks ? Nom générique donné à tous les habitants de l’île de Bornéo, il regroupe des dizaines de tribus. « Traités de pemakan orang (cannibales) et pemotong kepala (coupeurs de tête) par les Malais-Javanais, les Sahawong (ou Dayak) sont malheureusement peu connus. Leur culture, leurs problèmes, leurs luttes, leur espoir et leur histoire sont ignorés, y compris en Indonésie » explique Kusni Sulang, poète et écrivain dayak dans un article paru dans l’ouvrage : « Bornéo : des chasseurs de têtes aux écologistes ». (Collection Autrement. Mars 1991). Pak Stanislas appartient à la tribu des Bahau implantée sur le Mahakam. « Je suis né à Long Lunuk que j’ai quitté en 1968 pour m’installer à Balikpapan, dit-il. Aujourd’hui, j’enseigne l’histoire dans un collège. Je suis très lié à mes origines. Je suis kepala adat, chef traditionnel des Bahau installés comme moi dans cette grande ville. Nous sommes soixante-quinze familles à vivre ici. Nos coutumes sont très présentes dans notre vie. En ce qui me concerne, c’est surtout la musique. Je suis musicien et joue du sampe, sorte de guitare longiligne à trois cordes. Avec notre groupe, nous nous produisons régulièrement. Hier, nous étions à la fête de la mer de Manggar, une bourgade à quelques kilomètres de Balikpapan ».

Interdiction de couper les têtes
Pak Stanislas veut maintenir et défendre ses traditions. « Dans notre culture, explique-t-il, la musique est omniprésente dans la vie du village. Depuis la petite enfance, en regardant les autres, on nous l’enseigne. La transmission se fait naturellement d’une génération à l’autre. Quand j’étais enfant, après avoir terminé nos devoirs, nous nous retrouvions pour la veillée et nous écoutions les anciens jouer de la musique. Mon apprentissage musical s’est surtout fait à l’oreille. De la même façon, nos contes et légendes ne se transmettent qu’oralement. Dans ces récits anciens, des géants coupent la montagne pour empêcher les animaux de dévorer la lune. Toute cette mythologie servait surtout à léguer aux plus jeunes les méthodes de chasse, de pêche ou du travail dans les champs. Aujourd’hui, c’est de moins en moins le cas. La vie dans les rumah panjang, les longues maisons, tend à disparaître. Les familles ne sont plus tenues de vivre dans la communauté. La transmission est remise en question ».
Pak Stanislas parle le bahasa busang avec ses proches, la langue des Dayaks. Lors des concerts, les six membres de son groupe portent leurs habits traditionnels. Il y a tout un cérémonial autour du port de ces vêtements. Large jupe et gilet décorés de perles dont les motifs symboliques ont chacun leur signification propre. Les chapeaux sont souvent majestueux. Ceux des hommes présentent de longues plumes.
« Beaucoup de tribus se sont converties au catholicisme et notre foi s’est glissée sans problème au cœur de nos traditions, poursuit-il. Tout est lié : la musique, les masques, les vêtements brodés. Chaque événement important s’accompagne de chants traditionnels : les funérailles, la récolte du riz, les mariages… Depuis l’époque de mon père, le mystique a été séparé du culturel. Dans les années trente, il était déjà interdit de couper les têtes, comme cela se pratiquait depuis toujours. Aujourd’hui, malgré tout, les cultes animistes sont encore présents. Beaucoup de Dayaks continuent, par exemple, à donner à manger aux arbres ou aux statues ».

Menace sur la tradition
En cette fin d’après-midi, dans la maison de Pak Stanislas, le mystique semble bien loin. Ses enfants viennent de rentrer. Evivania, 20 ans, sac en bandoulière, s’installe dehors et continue, imperturbable, une conversation téléphonique, son Nokia dernière génération vissé sur l’oreille. Son petit frère, Leonardus, imposant garçonnet de 11 ans en costume d’écolier se dirige vers la télévision. Pak Stanislas est issu d’une famille de haut rang car il est kepala adat, chef coutumier comme l’était le grand-père de son père. « C’est vrai que cela dépend de la famille mais aussi des aptitudes que l’on a montrées, explique-t-il. Mon rôle est de gérer les problèmes dans la communauté pour que nous vivions en paix. C’est moi qui vais décider en dernière instance. Avant même les autorités indonésiennes. Nos instances supérieures passent avant. C’est ainsi. Malgré cela, je ressens un peu d’inquiétude quant à la manière dont on détourne parfois notre culture. Ce ne sont pas forcément les étrangers mais nous-mêmes. Certains jeunes ignorent l’origine de notre artisanat. C’est ainsi que je m’étonne parfois de voir des masques funéraires utilisés comme objet de décoration dans le salon… Ce sont des signes un peu inquiétants. Notre culture peut être mal utilisée ».
Dehors, Unyang Kulé continue son ouvrage. A côté d’elle, Evivania envoie des SMS à la chaîne. Pour la photo, Pak Stanislas leur demande de passer leur costume. Pas une once d’hésitation. Elles s’élancent dans la pièce voisine et en ressortent parées comme des princesses. Soudain fières et hautaines. Si la menace plane sur les traditions dayaks, certaines familles en conservent précieusement les secrets.

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