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Tsunami d’Aceh: dix ans après, souvenirs et initiatives

Il y a dix ans, le 26 décembre 2004, un tremblement de terre de magnitude 9,1 au large de Sumatra a provoqué un gigantesque tsunami dans l’océan Indien, qualifié de plus grave tsunami de l’histoire. Le bilan humain fut très lourd puisqu’on a recensé 227 000 victimes dont 170 000 sur l’île de Sumatra, principalement dans la province de Banda Aceh. Retour sur cet événement tragique avec trois personnes qui ont participé aux secours ou à la mise en place de structures pour réduire les conséquences de telles catastrophes à l’avenir.

Dr Marie-Laure Bry-Garrigue, médecin généraliste addictologue, clinique SOS International, Ho Chi Minh Ville – Vietnam 
 
« Arrivée depuis peu à Jakarta, ce dimanche 26 décembre 2004 s’annonçait comme un lendemain de Noël en famille. Médecin généraliste, je devais travailler à compter de début 2005 comme coordinatrice médicale pour un nouveau programme de Médecins du Monde (MDM). Mais l’appel ce jour-là du responsable de mission de MDM a précipité les choses : une catastrophe majeure venait d’arriver à Aceh, province encore sous contrôle de l’armée et d’accès limité. On me demandait si je pouvais y aller rapidement avec le futur coordinateur et préparer l’arrivée de l’équipe d’urgence qui partirait de France.

Tout est allé très vite, la mobilisation de la communauté internationale a été sans précédent et c’est ainsi que nous nous sommes retrouvés à Banda Aceh 3 jours après le tsunami, parmi l’une des premières équipes médicales sur place. Ma première impression fut celle de fin du monde. Rien n’avait résisté, la plupart des bâtiments étaient à terre, la boue avait recouvert toute la ville, tout était enchevêtré et des cadavres jonchaient encore les trottoirs, rendant l’odeur insoutenable dans certains endroits. La tâche était immense, et même en voyant une centaine de personnes par jour, j’avais l’impression que c’était bien peu. On voyait surtout des gens avec des fractures, des plaies et des infections cutanées ou pulmonaires. Ils étaient sidérés et parlaient peu. 

J’ai pu revenir 1 mois après et c’était alors bien différent : la phase de sidération passée, les survivants avaient besoin de raconter ce qu’ils avaient vécu et partager leur histoire personnelle. Que de douleur dans les propos transmis par les traducteurs ! Lors de cette deuxième mission, je me suis rendue sur la côte ouest, qu’on n’atteignait que par hélicoptère. Ce fut encore un autre choc : des villages côtiers totalement rayés de la carte, où ne restaient même pas les fondations des bâtiments. Seuls quelques vêtements, vaisselle, meubles cassés ou jouets d’enfants témoignaient d’une trace humaine. On voyait également la hauteur de la vague sur les arbres, qui atteignait plus de 10 m de haut et dont on imaginait la violence. Nous y avons établi un dispensaire et au fur et à mesure que les jours passaient, on voyait de moins en moins de gens blessés et/ou traumatisés mais des personnes de tous âges, qui avaient des pathologies chroniques et qui n’avaient pas eu l’opportunité de consulter un médecin. 

En 2008, j’ai pu revenir à Banda Aceh pour une évaluation avec une autre ONG médicale. Rien ne laissait présager que 4 ans plus tôt la ville avait été détruite à 80%, si ce n’est quelques bâtiments encore en construction. Un nouvel hôpital moderne, des hôtels touristiques et un musée commémoratif avaient émergé de terre. Il était paradoxal de constater que cette région, autrefois l’une des plus pauvres, fût devenue l’une des plus chères de l’Archipel et un site touristique. Il n’en demeure pas moins que chaque Acehnais a été affecté par cette terrible catastrophe qui aura marqué à jamais tous ceux et celles qui y auront été impliqués. »
 

Régis Requis, résident de longue date à Bali.

« C’est le consul de l’époque, Raphaël Devianne, qui avait envoyé un email à tous les résidents pour les prévenir que les ONG intervenant à Sumatra avaient besoin de traducteurs. J’y suis parti une semaine plus tard en tant que bénévole pour Médecins du Monde. L’escale à Medan m’a donné un avant-goût de ce qui nous attendait 300km plus loin à Aceh. Le bord des pistes, les pistes étaient encombrés de bulldozers, de bateaux, de palettes en attente de transfert vers Aceh, j’ai eu l’impression d’être en guerre. L’aérogare était bondée de journalistes de toutes les nationalités. Nous avons dû patienter 4h parce que le trafic aérien était trop important sur Aceh, en particulier des hélicos de toutes les armées du monde.

En survolant Aceh pendant assez longtemps, j’ai pensé à Hiroshima, tout était par terre, totalement dévasté. D’ailleurs, la terre continuait à trembler, il y avait jusqu’à 6 répliques par jour qui nous obligeaient à quitter les maisons. J’ai été affecté comme traducteur à un médecin avec qui je me levais tous les matins à 5h30 pour aller faire des consultations un peu partout. Nous étions dans un convoi de gros 4×4, l’Italien qui les avait acheminés depuis l’Arabie Saoudite se vantait de les avoir achetés 100 000 USD pièce et d’avoir payé autant par véhicule pour les acheminer. Manque de pot, le volant était du mauvais côté, mais qu’à cela ne tienne, j’ai compris que beaucoup étaient là pour s’enrichir ! Les équipes de Médecins du Monde m’ont surpris par leur professionnalisme et leur engagement total, on y allait vraiment à fond, sans compter notre temps. Toutes les ONG du monde voulaient être là mais les petites n’avaient aucun programme ni stratégie, j’en ai vu beaucoup errer, chercher à se rendre utile, tout le monde se rêvait en héros d’Aceh, à poser devant les caméras. Parce que je parlais indonésien, j’ai vraiment été confronté à la détresse de tous ces gens qui avaient parfois tout perdu, ils s’accrochaient à moi, comme à un sauveur, c’était hyper émouvant. Les survivants souffraient de blessures sur les membres supérieures, parfois il a fallu pratiquer des amputations. Les secours travaillaient beaucoup avec des éléphants pour ne pas abimer les corps des victimes, ils ont plus de sensibilité que la pelle du tractopelle ! Il y a beaucoup d’images qui me sont restées vissées dans la tête très longtemps, des transports de cadavres sur les camions, des corps flottants, j’avais refusé d’apporter un appareil photo. La seule chose que j’ai trouvée belle, c’est de voir pour la première fois toutes ces armées du monde travailler la main dans la main et ne pas se faire la guerre. »

Bruno Maestracci, colonel de sapeurs-pompiers, chef de projet pour l’Union Européenne

« Je n’étais pas sur place en 2004 au moment de la catastrophe mais plusieurs équipes de sapeurs-pompiers de France (sapeurs-pompiers territoriaux français, des formations militaires de la sécurité civile, sapeurs-pompiers de Paris et de Marseille) sont intervenues. J’étais en poste en Corse à l’époque, où les spécialités sont plutôt orientées dans les feux de forêts de grande ampleur et le secours aquatique. Quelques mois plus tard, j’ai répondu à un appel à candidature national afin de réaliser, dans le cadre d’un projet de coopération internationale franco-indonésien, le centre de crise national et des centres territoriaux (Padang, Banda Aceh, Jakarta DKI).

En 2004, l’organisation de la gestion de la crise par les autorités indonésiennes n’était pas adaptée à une crise d’une telle ampleur… qui l’était  d’ailleurs ? Le vice-président Jusuf Kalla était le coordinateur et est resté pendant 6 mois à Banda Aceh en améliorant la coordination des secours et les phases de reconstruction, mettant en place le B.R.R. (Bureau Réhabilitation Reconstruction). Mon premier travail a été de convaincre les autorités de faire porter l’écusson international de la protection civile (composé d’un triangle orange sur fond bleu) à toutes les équipes qui interviendraient dorénavant sur des catastrophes, ça permet une meilleure visibilité pour l’organisation des secours, surtout quand il faut coordonner avec de l’aide internationale. Ma seconde mission, afin de réorganiser les secours en Indonésie, a consisté à accompagner la loi de 2007 et les décrets présidentiels qui ont suivi. La France a financé à hauteur de 6 millions d’euros la création de 4 centres de crise, le premier a été installé dans les bâtiments du Badan Nasional Pengunangan Bencana (BNPB ou Institut national de la prévention des catastrophes) à Jakarta. Il s’agit d’une structure de 300m² avec une salle de veille 24/24 interconnectée à toutes les stations de capture d’information implantées en Indonésie (volcans, tsunamomètres…), deux salles de débordement au cas où il faudrait gérer deux autres catastrophes simultanément, une salle pour les médias et une grande salle de réunion.

Quand nous avons eu fini d’implanter les deux dernières à Padang et Banda Aceh, le ministre Aburizal Bakrie lors de l’inauguration, a exprimé le souhait que la France puisse continuer son aide institutionnelle. Il souhaitait réaliser l’implantation, dans les 30 autres provinces indonésiennes de salles de crises identiques. L’Indonésie a du mal à comprendre que l’organisation des secours demande un entrainement régulier, des structures spécialisées et une responsabilité dédiée, ce qui n’est pas le modèle actuel indonésien. La culture du secours à la personne reste également à développer et c’est un axe d’effort essentiel : actuellement l’organisation des communautés est uniquement considérée, il faut aller plus loin. Il est nécessaire de faire comprendre au plus haut niveau que sauver des gens, c’est aussi sauver du capital humain, de l’expérience, des compétences… rien ne vaut une vie ! Les conséquences économiques de telles pertes sont énormes et doivent être précisément évaluées. C’est d’une vraie prise de conscience dont il est question, espérons que le président Jokowi avec sa revolusi mental réussira ce défi. »

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