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Tsunami au japon, cynisme des uns, compassion des autres

Dans un pays comme l’Indonésie où les catastrophes naturelles s’enchaînent à longueur d’année et où le traitement journalistique de ces événements s’inscrit dans une certaine routine, avec ses codes et ses règles implicites bien rôdés, le terrible tsunami japonais a posé un défi aux télés de l’archipel. Cette fois, en effet, les victimes n’étaient pas indonésiennes – même si un certain nombre de WNI résident au Japon – et la tendance habituelle à l’auto-apitoiement avec moult musiques larmoyantes n’a donc pas été retenue. D’autant que le Japon, ce pays high tech par excellence, inventeur de l’handycam, a pu fournir des images en quantité phénoménale de la catastrophe en train de survenir, alimentant ainsi une info-spectacle saisissante sur toute la planète. L’occasion pour les chaînes d’ici de battre le tambour du direct-live, le meilleur spectacle télé qui soit, celui du malheur des autres devant nos yeux effarés, le spectacle télé par excellence. Musique martiale et montage vidéo-clip quasiment en boucle, « Catastrophe au pays Sakura » ou « Ténèbres au pays Sakura », comme titré sur TV One. Quel contraste avec le tsunami d’Aceh, son manque crucial d’images et le traitement affecté, voire déboussolé, qui avait prévalu alors, présentant le désastre presque comme une punition divine…
Si les télés sont tombées comme prévu dans le panneau de l’info-spectacle, les officiels indonésiens eux ont carrément fait preuve du plus grand cynisme, comme relevé sur le blog Indonesia Matters. Le Japon et l’Indonésie ont en effet des accords commerciaux de premier plan, le Japon est le client n°1 des exportations indonésiennes hors produits pétroliers par exemple. Ce qui a fait dire au lendemain du tsunami à Edy Putra Irawady, un des conseillers du ministre de l’Economie, que « les entreprises indonésiennes devaient d’ores et déjà regarder ailleurs. » Il s’est également inquiété de la possible diminution des investissements japonais colossaux dans l’archipel indonésien. Muhaimin Iskandar, le ministre du Travail, s’est lui tout de suite demandé si le désastre n’allait pas limiter les opportunités d’emploi pour la main d’œuvre indonésienne immigrée. « Les entreprises qui les emploient font sans doute faire faillite rapidement et ils vont perdre leur travail », a-t-il dit. Dans Tempo, l’Association des Hôtels et Restaurants indonésiens, par la voix de son secrétaire à Bali, Perry Markus, a fait état de l’annulation en masse de voyages déjà prévus, craignant un manque estimé à 1,7 milliard de roupies. Et le président de la branche balinaise de l’Association des Tours et Voyages indonésiens, Aloysius Purwa, a estimé pour sa part que le nombre de touristes japonais visitant Bali allait chuter de 30%, « occasionnant des pertes potentielles de 400 millions de dollars. » En contrepoint de ces comptes d’épicier plutôt attristants, le célèbre blog Indonesia Matters termine sur une note d’humour noir en rappelant que la Croix-Rouge indonésienne avait quand même envoyé 7 volontaires et 5 tonnes de matériel pour participer aux secours…
Conformisme des médias, froideur des officiels, c’est finalement des Indonésiens eux-mêmes qu’est venu un peu d’humanité et de compassion pour le peuple japonais si durement touché. Etudiants, écoliers, seuls ou à l’initiative de leurs établissements ont manifesté leur sympathie dans des cérémonies symboliques. Organisations religieuses et entreprises ont suivi, au programme, distribution d’origamis au consulat japonais à Makassar, organisations de spectacles de soutien avec des danses traditionnelles à Java, présentations de condoléances aux diplomates japonais de Jakarta, prières à Aceh, la société civile et le peuple indonésiens ont pris à contrepied leurs élites. Les journalistes ont ensuite changé d’angle éditorial et ont rendu hommage au courage et au sang froid des Japonais en organisant des débats autour du thème « Apprenons du Japon ». Puis, le gouvernement a fait une donation, deux millions de dollars. Bien moins que l’argent saisi sur le compte de Gayus Tambunan

Racisme ordinaire à la télé
Comme tous les ans, le magazine américain Forbes a publié sa liste des gens les plus riches de la planète, l’occasion de réfléchir sur sa propre fortune, dans tous les sens du terme, et de célébrer tous en chœur le monde capitaliste sans trop de questionnement. Après tout, pourquoi poser des questions, puisque tout va bien ? La preuve, il y a de plus en plus de milliardaires ! La chaîne d’info Metro TV a fait l’écho de ce classement dans son émission Suara Anda (cf. La Gazette de Bali N°49 – juin 2009 ), qui donne la parole aux téléspectateurs, en mettant l’accent bien entendu sur les magnats locaux. Les deux plus riches Indonésiens sont les frères Hartono, des cigarettes Djarum et de la banque BCA avec 5 milliards de dollars. Ils pointent cependant modestement à la 208ème place. Arrive ensuite Low Tuck Kwong (charbon) à la 304ème place. Le suivant est Martua Sitorus (402ème), producteur d’huile de palme. Viennent ensuite Peter Sondakh, Sri Prakash Lohia, Kiki Barki, Sukanto Tanoto, Edwin Soeryadjaya, Garibaldi Tohir, Theodore Rachmat, Chairul Tanjung, etc. On remarque, comme tout le monde, qu’Aburizal Bakrie est sorti du top ten avec seulement 2,1 milliards de dollars.
Puis, le téléspectateur appelé à commenter le petit sujet en images commence par complimenter la présentatrice Frida Lidwina sur le tailleur qu’elle porte et se lance : « Moi, ça me fait plaisir de savoir que nous autres Indonésiens, on est dans le classement Forbes. Je suis fier même si ça n’est malheureusement pas de moi dont il s’agit et que le premier n’arrive que 208ème. Et puis, de voir tous ces noms typiquement indonésiens dans la liste, c’est bien aussi, ça rend fier, seulement quand on voit leur tête, on découvre que ce ne sont que des têtes d’étrangers. » Frida reprend la parole, tout sourire, remercie le téléspectateur pour son compliment et salue, plutôt gênée, « l’acuité de ses talents de physionomiste. » Oui, la majorité des Indonésiens les plus riches sont de descendance chinoise mais la journaliste se gardera bien de surenchérir et le mot « chinois » ne sera toutefois pas prononcé…

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