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TROIS JEUNES INDONESIENNES SE CONFIENT SUR LEUR CONDITION DE FEMME

Le 21 avril, comme chaque année depuis que Sukarno l’a instaurée en 1964, l’Indonésie célébrera la mémoire de Raden Ayu Kartini, une militante née à Java à la fin du 19ème siècle considérée ici comme une pionnière des droits de la femme. Trois jeunes Indonésiennes ont accepté de discuter avec nous de leur condition de femme. Venues de zones rurales de l’Indonésie mais fortes d’études solides et d’une importante dose de courage, elles ont décidé de construire leur vie à Bali…

Origine
Tri (31 ans) : Je suis née en 1986 à Kalimantan dans un village de la transmigration. Mon père a été le premier à venir s’y installer. Jusqu’à mes 9 ans, il n’y avait pas du tout d’électricité. En dehors du village, les gens ne parlaient pas indonésien. On était vraiment isolés. Avant mes 15 ans, je n’avais jamais quitté le village. Je n’avais aucune idée de ce qu’il y avait à l’extérieur.
Rissa (26 ans) : Je suis née dans un petit village de Lombok en 1990. Mon père travaillait pour le gouvernement. Quand j’étais enfant, je faisais partie de la nouvelle génération : on avait déjà MTV ! Nous étions assez isolés. La ville, nous n’y allions qu’une ou deux fois par an avant les fêtes musulmanes.
Maharani (36 ans) : J’étais très différente de mes frères et sœurs, j’avais un caractère très fort. Eux vivent toujours au village à Sumatra. Mes parents sont agriculteurs. Ils espéraient que leur descendance suive leurs traces. Ils considèrent que les études sont inutiles et que se marier est suffisant.

Religion
Tri : Dès mes 3 ans, je passais au moins deux heures par jour à la mosquée : j’apprenais à lire le coran. Ma famille ne m’a jamais imposé la religion. Elle était autour de nous de fait, il était plus important pour eux que je sois éduquée.
Rissa : J’ai grandi dans une famille musulmane assez ouverte moi aussi : j’avais le droit d’être amie avec des non-musulmans. Ce qui n’était pas souvent le cas là-bas ! J’ai porté le hijab pendant 2 ans quand j’étais à l’université. Mais la religion pour moi, c’est entre moi et dieu.
Maharani : Mes parents sont musulmans, j’ai appris le coran et porté le hijab. Mais je suis devenu protestante, c’est une religion plus simple et moins agressive. J’ai choisi d’éduquer ma fille avec un esprit ouvert et très peu de religion.

COVERSTORY-2Education
Tri : J’ai commencé l’école à 6 ans. Les connaissances enseignées étaient complètement archaïques. J’ai seulement appris à compter et à lire. A 15 ans, j’ai quitté mon village pour la première fois pour aller au lycée. Après, j’ai dû trouver un travail pour payer l’université. J’ai travaillé dans un magasin comme vendeuse pendant 3 ans.
Rissa : A 12 ans, moi aussi j’ai dû quitter la maison familiale pour mes études. Après, j’ai toujours vécue seule. Ensuite, je suis allée à Jogja pour l’université. J’ai étudié la littérature anglaise. Mes parents m’ont soutenue tout le long de mes études.
Maharani : Aujourd’hui, les filles et les garçons ont le même accès à l’éducation. Ce qui bloque, c’est souvent le soutien financier que la famille peut procurer. Quand j’ai eu 14 ans, j’ai déménagé à Java. Je travaillais à Surabaya pour financer mes études. Ma famille ne m’a jamais soutenue.

Vie professionnelle
Rissa : En Indonésie, c’est très confortable d’être une femme, nous avons les mêmes salaires, les mêmes opportunités. Les femmes sont même souvent considérées comme plus intelligentes ! Le fait que nous puissions avoir des enfants est très bien intégré. Il est presque toujours possible d’avoir un congé maternité payé à 50%. Mais une fois rentrée à la maison, c’est fini, la voix de la femme passe toujours en second.
Maharani : Je suis d’accord. Au travail, j’ai toujours eu la confiance des hommes. D’ailleurs, il y a de nombreuses femmes en politique en Indonésie. Nous avons même eu une femme présidente !
Sexualité
Tri : Avant mes 17 ans, je n’avais aucune idée de comment les gens faisaient l’amour. Je pensais qu’ils se frottaient les fesses pour faire des enfants ! Quand je suis arrivée en ville, j’ai pu voir des films pornographiques. C’est comme ça que j’ai su que je voulais faire l’amour.
Rissa : Je n’ai jamais parlé de sexualité avec mes parents. A part pour les règles, lorsque ma mère m’a appris à mettre une serviette. J’ai fait l’amour pour la première fois à 15 ans. Je n’ai pas du tout apprécié. Mais je ne savais pas que c’était supposé faire du bien. J’ai découvert le principe du plaisir plus tard, mais la plupart de mes amies ne savent toujours pas ce qu’est un orgasme.

COVERSTORY-3Contraception
Tri : Il n’y avait aucune contraception disponible au village, les femmes avaient beaucoup d’enfants ! Il n’y avait aucun docteur. Très souvent des femmes mouraient en accouchant ou alors c’était le bébé. Le gouvernement a envoyé quelqu’un pour expliquer comment prendre la pilule. J’ai découvert la contraception à Bali.
Rissa : A l’école, on nous disait de ne pas avoir de relations sexuelles en dehors du mariage. Rien sur la contraception. Les hommes indonésiens se retirent, c’est tout… J’ai de nombreuses amies qui sont tombées enceintes très jeunes. Moi, c’était pendant l’université. J’ai décidé d’avorter mais c’est illégal. Mon copain m’a trouvé un liquide que j’ai bu sans savoir ce que c’était. La contraception pour une femme non mariée est illégale. A Bali, on peut acheter en pharmacie mais on ne sait pas trop ce que c’est. Ailleurs, on me demandera ma carte d’identité et on vérifiera que je suis bien mariée. Il est impossible de voir un médecin pour être conseillée, il vous demandera immédiatement si vous êtes mariée.
Maharani : Pour ma génération, il ne fallait pas faire l’amour avec quelqu’un qui n’était pas ton mari. J’étais vierge à mon mariage. Je n’ai jamais pu parler de sexualité avec ma famille. Moi, je l’explique à ma fille, je lui dis comment mettre des préservatifs par exemple.

Situation familiale
Tri : J’ai 31 ans, je devrais être mariée et avoir des enfants. Ma famille n’est pas ravie mais je prends le temps de leur expliquer doucement. Grâce à mon éducation, ça a été facile pour moi de prendre mon indépendance. Mais il faut être forte. C’est plus simple de rester au village, tous mes amis y sont encore.
Rissa : J’ai toujours évité ma famille qui me disait comment m’habiller, me comporter. Avec eux, je dois prétendre être quelqu’un que je ne suis pas. J’ai de la famille à Bali mais je ne l’ai jamais rencontrée. Je sais qu’ils ne m’accepteraient pas. Les voisins à Lombok disent souvent à mon père qu’il n’a pas fait son travail. La femme indonésienne doit beaucoup à sa famille mais sa famille ne lui doit presque rien. La loi est majoritairement basée sur les lois musulmanes. Les femmes ne reçoivent que 25% de l’héritage familiale.
Maharani : Aujourd’hui, je rencontre de plus en plus de femmes qui ont choisi leur propre vie. Elles se battent pour elles-mêmes. Il faut être fort pour tout. Ici, ma fille étudie à l’école internationale de Canggu et a donc grandi entourée de gens qui viennent du monde entier. Elle parle très peu indonésien et s’exprime surtout en anglais. Elle n’est presque plus indonésienne…

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