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Tirta Gangga : Y a t-il une autre vie après Ubud ?

On ne s’ennuie jamais à Ubud. Sauf de temps en temps, quand le “trop” déclenche la saturation. Trop de yoga, de nouvel-âge, de chocolat sain, de muses, de musées et d’expos ; trop de construction, de plastique, de processions, de gros bus qui n’en font qu’à leur tête, trop chaud, trop-trop… L’appel d’un Ailleurs frappe les neurones. Partir, prendre l’air. Changer de paysage. Aller voir ailleurs si l’herbe est moins verte. Si le paradis a une porte de sortie.

Je suis allée au Palais Royal des Eaux de Tirta Gangga. Les eaux royales, réputées miraculeuses, attirent ceux en recherche de fraicheur et de sérénité. Mais savent-ils combien celles-ci ont été agitées dans le passé ? Inspiré par Versailles, fui par la famille royale au moment de l’éruption d’Agung, pillé par ses serviteurs, reçu en cadeau par le prince pour être ensuite perdu au jeu, le palais royal a survécu en dépit des innombrables péripéties.Un miracle en soi. Superbe bijou caché dans le repli des collines, le lieu ruisselle d’histoires.

Marcher sur l’eau est le concept chrétien de miracle et de fait Tirta Gangga n’est que cela : on marche sur l’eau dans un labyrinthe de pas de pierres qui semblent flotter à la surface. Le miracle est de passer entre toutes ces sculptures de l’épique MahaBharata, debout ici tels des comédiens sur la scène de la vie. L’autre miracle est d’y circuler sans être menacé par les effrayantes créatures du « monde-d’en-bas » sculptées selon les textes du lontar. Au beau milieu s’élèvent les onze étages d’une fontaine Shiva lingam ornée de toutes les déités de la cosmologie hindouiste. Elle jaillit, intarissable, et diffuse la fine brume d’une sagesse très ancienne.

L’eau. Partout. Pure et fraiche, née d’une source dans les entrailles de la colline, se déverse de bassin en bassin, court le long des canaux, vitale, essentielle. Un temple marque le lieu, ses portes pointent vers le ciel. C’est ici, assis sur son trône, que le Roi regardait sa cour se baigner dans ces larges bassins où se reflètent les nuages. « C’est ici que les princesses d’Ubud et le roi de Karangasem se baignaient à la pleine lune », explique Emerald Star, acteur dans la restauration du palais. La pleine lune est un moment clé pour les balinais et on dit que les eaux de Tirta Gangga ont ce jour-là un effet guérisseur et qui préserve la jeunesse. Miraculeux. La source est extraordinairement puissante : 40 000 litres par minute vers les divers bassins et la vaste piscine publique, et la ville d’Amlapura en reçoit autant chaque jour..

Après la guerre, en 1948, au moment de l’indépendance, le roi Anak Agung Agung Anglurah Ketut décide de créer ici son palais des plaisirs dans le plus pur style de Louis XIV, un lieu où se reposer et se détendre loin des préoccupations de la cour. Le 3ème fils du roi, AA Made Djelantik étudiait alors la médecine en Hollande, son père vint le visiter et ils rentrèrent à Bali en passant par Versailles. L’enchantement influença le design des jardins et des bassins. Tous les rois ont deux choses en commun : le sens de la beauté et les moyens de la matérialiser…

« Reçu en cadeau et perdu au jeu ! » s’exclame Emerald Star. Le roi avait offert à son premier fils cette jolie perle de la couronne. Néanmoins, dans les années 1970, le jeune prince, pris par la folie du jeu, se servit du Certificat de Propriété (évalué a 10 000 USD à l’époque) ; mais pas de chance, le perdit au jeu – Le jeune frère, Made Djelantik, alors en Europe, se précipita à Karangasem, parvint à racheter le certificat et faisant preuve d’intelligence et de sagesse, le mit sous la garde de la Fondation Amerta Jiwa (Vie Eternelle), un joli nom symbolique des propriétés guérisseuses de ses eaux. Cela a-t-il pour autant guéri les habitudes de flambeur du fils ainé ? L’histoire ne le dit pas.

« Nous avons trouvé la chambre de la reine sombre et étouffante avec ses portes massives, sans ouvertures. Quant au pavillon du Roi, il était complètement fermé sur trois côtés, avec des rangées de livres jusqu’au plafond et des dizaines de chaises alignées pour les visiteurs, raconte Star au sujet de la rénovation des quartiers privés. Les invités tournaient en fait le dos à la vue. » La restauration a tout ouvert sur cette perspective extraordinaire, les ponts gardés par des dragons, les bassins aux lotus, les innombrables fontaines, les arbres immenses le long du mur d’enceinte. Lumière, fraicheur et vaste point de vue pénétrèrent alors le lieu tels une bénédiction.

Aujourd’hui, le pavillon du Roi et la chambre de la Reine ont une piscine privée, alimentée par la même source. Sous le nom de Tirta Ayu – Belles Eaux, elle peut se louer pour y passer une nuit royale. J’en reviens. J’y retourne.

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