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Sur les nouvelles routes de la soie chinoises en Indonésie

Depuis sa mise en place en 2013, on a beaucoup entendu parler de la Belt and Road Initiative (BRI), des investissements chinois massifs dans les infrastructures de nombreux pays se situant sur les anciennes routes de la soie. L’Indonésie est un carrefour majeur sur cette route où les mœurs chinoises se heurtent à la culture de l’archipel et aux réticences face aux méthodes du géant régional.

Depuis le début de l’année 2019, la Chine a marqué des points en Europe. L’Italie a adhéré à la Belt and Road Initiative (BRI), suivie plus discrètement du Luxembourg et de la Suisse. Des bonnes nouvelles pour Pékin qui a organisé fin avril le second sommet de la BRI, car depuis le premier en 2017, les déconvenues se sont multipliées et la Chine a été accusée de surendetter les pays émergents.

Comme l’explique Jean-Raphaël Chaponnière, spécialiste français du continent asiatique, c’est en Asie que la grogne a commencé, où plusieurs pays ont observé avec attention les déboires du Sri Lanka. L’influence chinoise s’y est renforcée à la fin de la décennie 2000 et Eximbank a financé la construction d’un port à Hambantota, ville natale du président sri lankais d’alors. Ce port a ensuite été sauvé de la faillite par de nouveaux prêts chinois plus onéreux. L’argent de la Chine a également financé la construction d’un aéroport international, d’un stade de cricket et d’une autoroute. Le port et l’aéroport d’Hambantota ont été incapables de faire face aux échéances de remboursement. Aussi le gouvernement sri-lankais s’est-il résigné à céder le port et 6000 hectares de terrain pour la construction d’une zone industrielle à une société mixte détenue à 80 % par China Merchant pendant 99 ans.

Faire crédit à ses voisins, pour financer des infrastructures que ses entreprises construisent, permet à Pékin de se faire des amis, en obtenant des revenus supérieurs à ceux tirés de ses autres placements. Cependant, suite au précédent sri lankais, les autres pays de la région ont découvert la face cachée des crédits chinois. Des lors des réticences se sont exprimées au Myanmar, en Malaisie ou au Pakistan.

Pour autant, ces pays – y compris ceux qui ont dénoncé des projets chinois – ne se détournent pas de l’Empire du Milieu. Il n’existe pas vraiment d’alternative aux crédits chinois. La Banque Mondiale et les banques régionales de développement ont moins de moyens et leurs procédures sont longues. Les crédits chinois, souvent plus chers, sont décaissés rapidement par des banques qui posent moins de questions. La Chine est une alternative recherchée par les pays les plus pauvres : selon le FMI, dans 37 de ces pays, la part des bailleurs traditionnels a été divisée par trois et celle des banques chinoises a doublé.

L’Indonésie est au cœur de la stratégie chinoise de la BRI, et fut un participant enthousiaste à son second sommet il y a quelques semaines, où une vingtaine d’accords furent signés entre les deux parties. Fraichement réélu, le président Jokowi devrait continuer à solliciter les investissements chinois pour ses larges projets d’infrastructures.

Pour autant, malgré ce soutien du gouvernement, les investissements chinois dans la plus grande économie d’Asie du Sud-Est ne sont pas un long fleuve tranquille. Tout d’abord parce que l’Indonésie, très attachée à sa souveraineté économique et elle aussi observatrice de ce qui s’est passé au Sri Lanka et ailleurs, se montre réticente à l’idée de partenariats dont elle n’a pas le contrôle. Jokowi ne souhaite aussi aucun projet dans lequel l’Etat se porterait garant.

Un autre obstacle majeur réside dans le sentiment antichinois fortement développé dans le pays. Celui-ci est un héritage de la purge anticommuniste ayant suivi l’arrivée au pouvoir de Suharto en 1965. Ce sentiment est encore bien présent dans certaines parties de la société, notamment au sein de l’armée et des courants musulmans conservateurs, comme le révèlent les fausses informations relayées pendant la récente campagne présidentielle et faisant passer Jokowi pour un communiste en raison de sa proximité supposée avec Pékin.

Le choix de la part du gouvernement de faire des provinces de Sumatra-Nord, Kalimantan-Nord, Sulawesi-Nord et Bali les couloirs économiques du pivot maritime indonésien apparait ainsi sage. Non seulement ces régions sont multiethniques et multireligieuses, mais trois d’entre elles ont aussi largement voté pour Jokowi, et leur position géographique recoupe celle des intérêts de la BRI.

Les investisseurs chinois doivent aussi faire avec le choc culturel. Peu habitués aux changements permanents des régulations et des hommes en vertu des élections, ils doivent apprendre à communiquer avec les décideurs locaux. Ils doivent en outre apprendre aussi à naviguer dans les eaux de la diversité culturelle indonésienne (dont l’importance du mois de ramadan) et une culture d’entreprise qui n’est pas aussi hiérarchiquement rigide que la leur. S’ils veulent être implantés avec réussite en Indonésie pour le long terme, les Chinois ne pourront pas faire l’économie d’efforts pour apprendre la langue et comprendre la culture.

En attendant les dizaines de milliards de dollars d’investissements futurs de la BRI en Indonésie – qui privilégieraient la qualité à la quantité – un seul projet BRI est actuellement en phase de réalisation. Il s’agit de la ligne de chemin de fer à haute vitesse de 142 kilomètres entre Jakarta et Bandung. Un projet à six milliards de dollars dont la viabilité et la légitimité ont été discutées et qui a pris du retard en raison notamment de problèmes d’acquisition de terrains et d’obtention de permis, mais qui semble désormais bien lancé.

Le risque de voir l’Indonésie être victime de surendettement à cause de la BRI semble très faible. L’archipel privilégie les partenariats entre entreprises dans lesquels l’Etat n’est pas caution, et mise sur le développement de quatre couloirs spécifiques ou les investissements chinois sont nécessaires. De leur côté, les Chinois semblent aussi avoir compris qu’une deuxième phase de leurs Nouvelles Routes de la Soie s’ouvrait maintenant, dans laquelle la qualité des projets financés devrait primer sur leur quantité. Une évolution que leur guerre commerciale avec les Etats-Unis rend aussi inévitable.

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