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« Mes souvenirs de Bali » par Guy Chantepleur (1938)

Avec Guy Chantepleur débute la période du grand tourisme à Bali et la nostalgie d’un paradis fragile et menacé…

Deuxième partie.
« …La population balinaise actuelle est en grande majorité composée d’Hindo-Balinais, descendants des Madjapahit wong, hommes du Madjapahit – comme on dit encore aujourd’hui – et des aborigènes de Bali ou Bali-Aga. Avec le temps, la masse des envahisseurs et des habitants primitifs de l’île se sont confondus à ce point qu’on a l’impression de se trouver devant une race unique. Cependant, on prétend que les Bali-Aga sans alliage se rencontrent encore dans quelques villages des montagnes où leurs ancêtres du XVème siècle, s’étaient sans doute, enfuis, effrayés par l’irruption des étrangers.

Les premières apparitions des Hollandais à Bali, où les agents de la Compagnie des Indes orientales créèrent des comptoirs et traitèrent des affaires avec les princes indigènes, remontent à la fin du XVIème, et au commencement du XVIIème, mais la prise de possession de l’île ne s’effectua guère que trois siècles plus tard et alors que Java était depuis longtemps déjà colonisée. Elle ne se réalisa pas sans d’âpres et sanglantes luttes. La résistance suprême fut brisée en 1908. Avec les petits états provinciaux qui s’étaient soumis, des accords furent conclus. Puis ayant défendu vaillamment leur indépendance, les Balinais de mœurs douces et tranquilles, se résignèrent à leur destin, l’acceptèrent. En 1914, les troupes d’occupation purent être retirées et remplacées par une milice policière : la pacification de Bali, sous la souveraineté hollandaise était un fait accompli… »

Les premières impressions de Guy Chantepleur : les paysages
« Le 4 avril, comme finissait la saison des pluies, nous avons atteint Bali par le Nord au port de Boeleleng. Les paquebots ne peuvent aller à quai et même ils sont tenus de mouiller à une distance assez considérable du rivage. Aujourd’hui, la mer est calme, chose plutôt rare sur cette côte où il advient parfois que tout débarquement s’avère impossible. Des maisons claires en bordure de la mer, d’autres plus éloignées qui semblent émerger de la verdure ; au fond, la muraille imposante des montagnes que coiffent des nuées sombres et tourmentées, telle est notre première vision de l’île. Nous ne séjournons pas à Boeleleng, non plus qu’à Singaradja, capitale administrative de Bali et résidence du gouverneur hollandais. Aussitôt à terre, nous nous acheminons vers Den Pasar où nous élirons domicile et qui sera le point de départ de nos excursions.

A l’office du tourisme, on s’empresse :
-Votre auto est là, cette voiture blanche… Un indigène la conduit…
Les Balinais sont de parfaits chauffeurs. La route qui conduit à Den Pasar suit pendant quelque temps la côte, puis s’en écarte pour gagner les montagnes, les franchit par une série de cols et dévale sur les plaines méridionales de l’île… Une course d’une centaine de kilomètres qui déjà nous familiarisera avec Bali.
« …Je regarde, je regarde… Toutes les richesses de la flore tropicale m’apparaissent, une végétation merveilleuse par sa vigueur et sa densité, ses couleurs aussi, des plantations qui ont l’air de forêts, des forêts (je ne sais quel autre mot employer et voudrais dépouiller celui-ci de ce qu’il évoque de trop sauvage) qui ont l’air de parcs de contes de fées, puis dans les éclaircies, sur les pentes ou le sol plan, d’innombrables rizières. Dans la plaine, les rizières ont à peu près le même aspect que nos champs de blé ou d’avoine, quand ils sont en herbe ; sur les hauteurs, elles forment des plateaux qui se suivent et s’étagent, des terrasses de verdure d’une fraîcheur délicieuse ou de larges escaliers d’eau que le soleil magnifie.

« …La route vers Den Pasar est très accidentée. Nous montons et descendons et remontons tant de fois, que je me demande si nous atteindrons jamais le versant méridional de la chaîne. Un moment, comme nous longeons une vallée à flanc de montagne, la pente qui nous fait face de l’autre côté comme la vallée elle-même, nous offrent un grand, un admirable paysage dont la principale beauté est d’être vert, d’un vert à la fois si riche et si nuancé que les mots me manquent pour en rendre tout ensemble la finesse et la somptuosité. Je songe à la splendeur de ces tapisseries qu’on nomme « des verdures » mais il faudrait à celle-ci pour que le rapprochement soit juste, la fraîcheur de l’eau et l’éclat du soleil… Ce vert tout cru, ce vert absolu, ce vert violent à la vue qui nous éblouit comme une grande lueur, je ne l’avais jamais jusqu’à présent ni connu, ni même imaginé. Par place, il se module aussi, cependant, c’est la lumière qui en disjoint les tons… »

« … Les chiens sont nombreux à Bali et y vivent presque à l’état sauvage. Cependant chaque village en héberge, bon gré mal gré toute une tribu, les scrupules religieux interdisant aux Balinais de détruire les animaux dont le corps a pu donner asile à une âme humaine ! »

La religion balinaise…
« Le chef incontesté du Panthéon balinais est Civa, le plus puissant des dieux, celui de qui toutes les choses procèdent et dépendent. On l’identifie le plus souvent à Souria, le dieu du soleil. Et c’est sous cette forme qu’il a les adorateurs les plus nombreux et les plus fervents. Brahma et Souria, c’est probablement le dieu de l’île. Dans la plupart des temples, dans ceux mêmes des desa (villages), un siège de pierre superbement décoré, le padma sana ou « trône du lotus » lui est dédié, sur lequel on espère qu’il voudra bien descendre. Et nul dieu ne reçoit tant de prières et d’offrandes !

Mais son véritable trône, invisible aux hommes, s’érige sur les sommets nébuleux du Gounong Agoung, la plus haute montagne de l’île, séjour mystérieux et redoutable des dieux. Civa est connu encore sous beaucoup d’autres noms qui correspondent à des attributions différentes. C’est ainsi que, comme Kala ou Mahakala, il est le dieu destructeur, celui qui détruit pour féconder. Comme Bhatara Gourou, il possède la science suprême et l’enseigne. Les brahmanes, ses disciples, sont aux yeux des mortels, l’incarnation du dieu. Civa est le centre du « trimourti » de la trinité hindoue, telle qu’elle est vénérée à Bali. A sa droite se place Brahma, à sa gauche Vishnou.

Un peu négligé, me semble-t-il, Brahma est considéré principalement comme le dieu de la mort et préside aux crémations ; on le confond parfois avec Agni, le dieu du feu. Vichnou, le dieu bienfaisant des eaux souterraines et fertilisantes, le dieu de l’agriculture et de la prospérité rurale, se manifeste aussi comme un dieu sombre et terrible qui rappelle le Hadès des Grecs. Ce double aspect apparaît souvent chez les dieux hindous, tour à tour, miséricordieux et vindicatifs, propices et ennemis. L’épouse de Civa, Dourga, la grande déesse, la Mère de toute nature, est également, sous les traits d’une horrible sorcière, une divinité de la mort.

A Sri ou Cri, épouse de Vishnou, est dévolu le domaine paisible des champs, des produits de la terre et plus particulièrement du riz. Brahma a pour femme Saraswati, la déesse de la science et des arts. Au culte de Civa se rattache celui de Kumara, dieu de la guerre et protecteur des enfants, et surtout celui de Ganeca, fils spirituel du Maître, le dieu qui aide à résoudre les difficultés, le dieu des solutions heureuses. On lui prête assez souvent une tête d’éléphant…
Et je nommerai encore Brahma, dieu très populaire de la Mer à qui des sacrifices solennels sont offerts sur les grèves et Yama, le juge des morts. Mais comment citerais-je toutes les divinités ou « demi-divinités » sans compter les héros ! -dont la légende venue de l’Inde à travers l’archipel de la Sonde, a pris racine en terre balinaise et y a fleuri. Elles sont trop !.. »

Bernard Dorléans (1947 – 2011),
extrait de « Les Français et l’Indonésie », éd. Kailash

A suivre le mois prochain…

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