Accueil Histoire

« MES SOUVENIRS DE BALI » PAR GUY CHANTEPLEUR (1938)

Avec Guy Chantepleur débute la période du grand tourisme à Bali et la nostalgie d’un paradis fragile et menacé.

Si ce rang est élevé, la somme à dépenser par la famille est une véritable fortune ! Aussi bien, sans atteindre à ces prix extravagants, toute crémation est fort coûteuse. Il est fréquent que des Balinais de situation médiocre travaillent et économisent pendant de longues années, voire leur vie durant, pour constituer l’épargne qui leur permettra de faire incinérer leurs parents ou de s’assurer, dans l’avenir à eux-mêmes, les ineffables avantages de ce rite final.

Mais au moment d’un décès, quand les ressources manquent dans la famille du mort ? Chez les gens de peu, elles manquent presque toujours ou sont insuffisantes… Alors, le défunt est enterré dans un cimetière et y attend, quelquefois longtemps, le jour fortuné de la crémation. L’âme étant soumise, tant que le corps existe, à la nécessité de manger, les parents veillent scrupuleusement au ravitaillement de la tombe et y glissent des aliments par une ouverture ménagée à cet effet.

Le brahmane, le satryas, les aristocrates enfin, ne sont-ils jamais enterrés ? Jamais ! Jusqu’à la crémation, retardée d’ailleurs le plus souvent pour différents motifs, et qui exige en tout cas des préparatifs lents et minutieux, le corps embaumé d’un « triwanga » est confié au poura dalem, temple des morts, ou même continue de reposer dans la demeure qu’il occupait vivant.

Dubois analyse les clivages sociaux et le système des castes, sujet pas suffisamment spectaculaire pour retenir l’attention des touristes du 20ème siècle.

« A la religion néo-hindoue que pratiquent la presque totalité des Balinais, reste étroitement lié le système des castes. Venus de l’Inde, en passant par Java, ce régime, qui s’est instauré il y a plusieurs siècles à Bali, s’y maintient encore aujourd’hui. On compte à Bali trois castes qui constituent le « Triwanga ». Tout au sommet de l’échelle sociale se place la caste des Brahmanes.

La qualité de brahmane est due à la naissance et le destin de chaque brahmane n’est pas fatalement, comme on a tendance à le croire, de devenir prêtre. C’est toutefois, parmi les brahmanes que doivent être recrutés exclusivement les « padendas » les prêtres du rite hindou. De longues études, suivies d’une initiation particulière, préparent les élus à se sacerdoce de haut rang. Les titres d’« Ida » quand on s’adresse à un homme et d’« Ayou » quand on s’adresse à une femme, sont donnés aux brahmanes.

Un peu au-dessous des brahmanes sont les
« satryas », guerriers, seigneurs, chevaliers… A cette élite appartenaient jadis les princes qui régnaient sur l’île de Bali et leur entourage. Le titre donné à un Satrya est «Tjokarda».

Les « Weisas » ou « Goustis, gens de petite noblesse, propriétaires terriens, riches marchands, composent la troisième caste.

Chacune de ces castes comprend elle-même plusieurs divisions. Les Balinais qui ne font pas partie du « Triwanga », et qui forment tout naturellement la grande masse de la population, sont désignés par le terme général de « soudras »

Tout en respectant le régime des castes, le gouvernement néerlandais l’a sensiblement amendé et le sort des « soudras » s’en est trouvé fort amélioré ; beaucoup d’entre eux arrivent à la fortune ; certains affichent un luxe égal à celui des plus riches satryas. Les privilèges nobles n’autorisent plus les abus de pouvoir dont les « sans caste » avaient jadis à souffrir, cependant ces privilèges sont restés nombreux et incontestés.

Et c’est peut être devant la mort qu’en ce pays où, pour tous, la vie semble si facile et si joyeuse, contrastes créés par l’inégalité des conditions sociales, se montre encore avec le plus d’éclat.

…A une sensualité naïve qui leur est naturelle, s’allie curieusement chez les Balinais le mépris du corps, fruit plusieurs fois séculaire de l’enseignement des prêtres. Le corps humain est une enveloppe grossière et souillée. Même après la mort, même délivrée de cette matière corrompue et périssable qui l’asservissait, l’âme ne peut prétendre aux félicités célestes, tant que sa dépouille indigne n’a pas été détruite, purifiée par le feu. Si les restes de sa forme terrestre ne devaient pas être un jour ou l’autre consumés selon les rites, par la flamme rédemptrice, la pauvre âme risquerait d’errer devant les portes du paradis sans les franchir jamais ou, comble d’horreur, de passer dans le corps d’un animal… Voilà du moins ce que croit l’homme de Bali…

Et quand il entend la nuit, hurler les chiens sauvages, il frémit… Bien certain que, par leur voix lugubres, se lamentent des âmes en peine. C’est dire assez l’importance qu’il attache à l’incinération. Aussi de tous les rites sacrés observés à Bali, les rites crématoires sont-ils ceux qu’on célèbre avec le plus de faste et de solennité… Mais il y a des degrés dans cette solennité et ce faste, et un protocole rigoureux règle, conformément à chaque cas, l’ordonnance des cérémonies funèbres, attribuant au défunt les honneurs qui correspondent à son rang.

Seuls les vieux Balinais, descendants directs des autochtones, les « Bali aga » des montagnes, ne se soucient pas de brûler leurs morts. Ils les exposent en haut des rochers, aux pentes des ravins sauvages, comptant pour en détruire l’enveloppe terrestre, sur les bêtes fauves ou sur le grand soleil… »

« Et il nous faut quitter Bali ! Aujourd’hui, à midi, le petit bateau qui fait une fois ou deux par semaine, la navette entre Boeleleng et Sourabaya et qui, – le bétail et surtout les porcs constituant le principale commerce d’exportation de Bali – est désigné communément sous le surnom d’« express des cochons », nous emportera vers la grande île voisine… »
Bernard Dorléans (1947 – 2011),
extrait de « Les Français et l’Indonésie », éd. Kailash

LAISSER UNE RÉPONSE

Please enter your comment!
Please enter your name here