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Sans titre

La terre est un endroit minuscule parfois. Aujourd’hui, on est ici et demain on est là dans un ailleurs improbable, à peine imaginé, mais finalement juste à côté de son clocher. Bali n’est plus cette île lointaine et ignorée que j’ai découverte par hasard il y a une trentaine d’années. Elle a perdu son charme de paradis caché, elle a gagné ses touristes par millions et ces quelques étrangers qui n’ont pas pu repartir, qui ont décidé ou se sont laissés convaincre qu’il n’était nulle place ailleurs où la vie pouvait couler si doucement et si rapidement à la fois. Je fais partie de ceux-ci. Et pourtant qui aurait pu penser en 1974 quand mon pied a touché Gilimanuk, bousculant pour la première fois une offrande colorée déposée sur le sol, que j’y reviendrais encore et encore, jusqu’à ne plus la quitter ?
Je me souviens de ce bus jaune et poussif, tout klaxon dehors qui m’avait transportée de Yogya à Denpasar en une nuit et un jour. J’étais avec Thierry, nous nous aimions, nous avions 20 ans, et nous avions déjà suffisamment pris de moyens de transport locaux pour accepter les cahotements, la chaleur, la sueur, le bruit et les riz épicés jusqu’à l’écoeurement. Nous avions le temps, 1 an ou presque, et déjà une grappe de copains, Australiens pour la plupart. La route ! Comme nous y avions rêvée ! Et voilà que nous touchions cette île dont James nous avait vanté à la fois la beauté et le mystère. James, mon frère, oublié à présent, rencontré sur une plage de Thaïlande et qui le premier nous avait révélé l’existence de cette île, encore inconnue du grand tourisme et qu’il allait traverser sur son chemin de retour vers Brisbane où il rentrait après un voyage de plusieurs mois en Inde et en Asie. Nous avions voyagé ensemble, depuis Prachuab Kiri Kan, via Penang, Singapour, pour atterrir à Pulau Pinang où nous avions pris un bateau de « la compagnie Pelni », troisième classe sur le pont. C’est sur ce bateau surpeuplé que j’ai définitivement appris à supporter les odeurs, l’entassement, la faim. J’y ai pleuré de rage – pourquoi quitter la France et mon joli village pour aller croupir sur un bateau de la mort ? Mais finalement, le bateau était bien arrivé à Jakarta et le lever de soleil sur les rives de Java, majestueux et époustouflant de couleurs tropicales, avait effacé d’un coup la misère de notre traversée. Jakarta n’a pas été une étape inoubliable, et à part la gare centrale grouillante et le losmen propret, aucun souvenir ne me reste. Par contre, Yogya nous avait sauté à la figure, ville aérée et calme, toute en douceur, nous l’avons aimée de suite, et adoptée plus tard. Nous y vivrons ensuite 5 ans de 1978 à 1983. A Bali, pas de choc, mais une fusion. Le sentiment que l’endroit était juste là à m’attendre, que je l’avais trouvé comme on rencontre son amour. Ce n’est ni les belles rizières en terrasse, ni les couchers de soleil de Kuta, ni les vagues à surf ni même l’amabilité souriante de ses habitants qui ont marqué mon esprit. Comment décrire l’indescriptible ? Bali m’a prise au cœur, aimanté mes actions, attirée indiciblement et prise au piège. J’y habite depuis 22 ans maintenant. J’en ai fait le tour – au propre comme au figuré. Ce n’est pas le Paradis, c’est juste un endroit sur cette terre minuscule, que j’aime à la folie.

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