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Rock against the system avec Dede

« Dans les années 60, le groupe Koes Bersaudara a fait de la prison parce qu’ils jouaient les Beatles, cette musique impérialiste comme on disait à l’ère Sukarno », explique Dede, qui portait cheveux longs, pattes d’ef et talons hauts pendant cette période trouble. Pour cet enfant de Bandung, au sang mêlé indonésien, chinois et hollandais, adopté par une famille chrétienne originaire de Hong Kong, ces années de jeunesse ont été vécues dans l’adversité. « Avec de telles origines, je n’avais pas ma place dans l’Indonésie nationaliste de la première heure », se souvient-il aujourd’hui. L’arrivée de Suharto ne changera rien à ce sentiment d’insécurité. C’est en montant sur le toit de son école, qu’il échappera à la foule assoiffée de violence anti-chinoise lors des purges contre les communistes en 1967.

« Le rock, c’était de la musique “ ngak-ngik-ngok’’ pour les gens de cette époque, de la cacophonie », ajoute Dede. Il travaille alors chez un disquaire de Bandung et commence à collectionner les 33 tours : Ricky Nelson, les Shadows, les Beatles, les Stones et les fameux Koes Bersaudara qui existent encore aujourd’hui sous le nom de Koes Plus. « Nous avions peur des Chemises Jaunes, ce mouvement nationaliste étudiant, et lorsqu’ils passaient dans la rue, nous retirions vite fait les disques de rock des vitrines », se souvient-il. « Les rares disques de rock que nous trouvions rentraient dans le pays grâce à l’initiative privée de certains distributeurs», précise Dede. Coup de pouce de la technologie, la mise sur le marché de la cassette Philips, à la fin des années 60, va faciliter la propagation de cette musique subversive via le piratage…

Au début des années 70, Dede ouvre sa première boutique, muni seulement d’une cinquantaine de disques et d’un magnétocassette. Avec Emerson, Lake and Palmer, Led Zeppelin, King Crimson, ou encore Black Sabbath en vitrine, rock progressif ou hard rock, les clients affluent et la boutique baptisée Fly devient le point de rendez-vous des jeunes branchés de Bandung. Parmi eux, Guru Sukarnoputra, apparemment sourd aux recommandations de son proclamateur de père, il est vrai décédé depuis. S’ouvre alors une bulle de liberté. On vient à la boutique Fly, dont le logo reprend l’oiseau d’une pochette d’album d’ELP, pour découvrir les nouveautés mais aussi pour fumer des joints. Cela ne durera pas. A cause du nom de la boutique et de la faune qui y traîne, la police fait des descentes de plus en plus fréquentes, d’autant que les voisins se plaignent… « J’ai fini par jeter l’éponge, j’ai fermé Fly en 1973 », raconte-t-il.

Il ouvre ensuite Big Apple Recording Service, une nouvelle boutique avec des moyens d’enregistrement plus importants. Toutefois, les temps ont changé, Dede pense que les débouchés commerciaux que lui offre Bandung sont limités et commence à songer à déménager à Bali. Le racisme latent contre les Chinois, « nous sommes les juifs d’ici », dit-il, lui devient également difficile à supporter. Il se souvient qu’un accident de la route impliquant un conducteur chinois avait suffi à déclencher une vague de pogroms pendant lesquels il avait dû défendre « sabre à la main » sa femme et ses deux filles … « A Bali, le marché est plus gros et on peut aussi rencontrer des gens de tous horizons, et c’est le plus important pour moi », commente-t-il. Il s’installe finalement à Bali en 1980. Il y ouvre de nombreuses boutiques, Mahogany, Rose, Men at Work, Tower Records, s’associe à Golden Lion en 1985 et fonde Musician Cassettes, qui fut le plus gros magasin de tous les temps à Bali avec pas moins de 20 000 titres en rayons. Egalement fan de musique française, Gong a été baptisé en hommage au groupe de rock progressif franco-britannique des années 70, Dede cite Michel Polnareff, Françoise Hardy et Magma parmi ces artistes préférés. ELP, les Small Faces, King Crimson, les Kinks, Philip Glass, Laurie Anderson, Steve Hillage sont les noms qu’il mentionne le plus souvent.

Aujourd’hui, le rock est une musique du passé et l’avènement du numérique a changé la donne. Dede est conscient qu’il survit sur sa spécificité « car il y a trop de compétition avec les boutiques de CD et de DVD». Et puis, globalisation oblige, les problèmes avec les autorités sur ses activités de piratage se sont accrus, même si ça se règle habituellement avec des bakchichs. « J’ai passé ma vie entière dans des démêlées avec la police à cause de mon unique passion : le rock », affirme-t-il. « Si le piratage n’existait pas, les Indonésiens ne connaîtraient rien de la musique et du cinéma et ne sauraient pas se servir d’un ordinateur », se justifie-t-il, arguant que ces biens culturels ne sont pas à la portée des bourses des pays sous-développés. Le futur est cependant de plus en plus incertain et Dede pense à une reconversion douce pour ses vieux jours en ouvrant un café « style années 60 ». En attendant, fans de rock en manque, il n’est pas encore trop tard pour découvrir les merveilles de Dede. Les murs de Gong sont tapissés de pochettes de vieux vinyles, de photos des Beatles, d’affiches du Velvet Underground ou d’Elvis et de collectors rarissimes. « Je ne mets dans cette vitrine que des disques auxquels je ne tiens pas trop, ceux qui ont vraiment de la valeur sont cachés », relativise Dede. « Bien que ce soit le propos de leurs descentes, les policiers sont incapables de faire la différence entre un original et une copie et ils seraient bien fichus de m’embarquer mes trésors », conclut celui qui, après avoir été le premier à vendre du rock en Indonésie est désormais le dernier.

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