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RETOUR VERS LE FUTUR POUR LA MALAISIE

Contre toute attente, la coalition au pouvoir depuis l’indépendance du pays il y a plus de 60 ans a été renversée aux élections générales du 8 mai dernier. La corruption et l’augmentation du coût de la vie ont eu raison de Najib Razak. La Malaisie s’offre ainsi un sursaut démocratique rafraichissant et indécis dans une Asie du Sud-Est qui tend actuellement davantage vers l’autoritarisme.

« Au cours d’une élection historique, le Premier ministre de Malaisie, soupçonné de corruption, perd face à son ancien mentor de 92 ans qui se présentait au nom d’un homme qu’il a envoyé en prison ». En une phrase, le magazine américain Business Insider a résumé l’improbabilité de la situation politique malaisienne à la suite des récentes élections générales.

Najib Razak dirigeait le pays depuis 2009 au sein de la coalition du Barisan Nasional (BN), elle-même au pouvoir sans discontinuer depuis l’indépendance de la Malaisie en 1957. Si la formidable croissance économique du pays ces dernières décennies n’a pas cessé sous la direction de M. Najib, faisant de ce pays de 32 millions d’habitants une économie proche des pays développés, c’est la manière qui a provoqué ce résultat.

En muselant d’une main de fer toute opposition politique, en contrôlant les médias et la justice, en favorisant le clientélisme et en faisant adopter des lois contraignantes pour la liberté d’expression, M. Najib s’est cru devenir intouchable. Mais il est depuis 2015 empêtré dans l’affaire 1MDB, du nom de ce fonds d’investissement d’état qu’il supervisait et duquel auraient été détournés 7,5 milliards de dollars, dont 700 millions sont passés sur le compte personnel du désormais ex-Premier ministre. Ces fonds auraient entre autres permis à Najib Razak et à sa femme Rosmah Mansor des dépenses somptuaires en sacs, bijoux et vêtements de grands couturiers qui ont choqué les Malaisiens.

C’est à la suite de ce scandale que Mahathir Mohamad, lui-même ancien Premier ministre entre 1981 et 2003, a quitté le parti majoritaire de l’United Malay National Organisation (UMNO) et rejoint l’opposition en s’associant avec son ancien dauphin Anwar Ibrahim, qu’il avait pourtant jeté en prison en 1998 au moment de la crise monétaire et financière asiatique.

Mahathir est aujourd’hui à 92 ans le plus vieux leader élu au monde, et d’après l’accord qui les lie, devrait céder le pouvoir dans les deux années qui viennent à Anwar Ibrahim, tout juste sorti de prison après une grâce royale. En attendant, la femme de ce dernier occupe le poste de vice-Premier ministre. Leur coalition du Pakatan Harapan (Pacte de l’Espoir) a littéralement balayé le Barisan Nasional en remportant 45 % des suffrages, 113 sièges sur 222 à l’Assemblée nationale et le gouvernement de la moitié des États fédérés de Malaisie.

Une fois la surprise et l’engouement de la victoire démocratique passés, que va-t-il advenir de la Malaisie ? Le moment historique et jubilatoire ressenti par les Malaisiens rappelle la situation du Myanmar il y a un peu plus de deux ans quand la junte militaire avait finalement autorisé son peuple à élire Aung San Suu Kyi à sa tête. Ce qui s’est passé au Myanmar depuis nous rappelle que l’euphorie ne dure pas. Une campagne à succès ne veut pas dire un gouvernement à succès. Et si les challenges auxquels les deux pays sont confrontés ne sont pas les mêmes, ceux de Mahathir et normalement de Anwar Ibrahim à sa suite ne sont pas moins difficiles.

Il semble que cette élection marque la fin du mode de gouvernement dont la Malaisie a fait l’expérience ces 50 dernières années : un pouvoir avant tout basé sur la division raciale, les contrôles autoritaires et le conservatisme social, ainsi qu’un libéralisme économique et le flottement des salaires pour attirer les investissements étrangers.

Ce qui va le remplacer reste à définir. Le nouveau gouvernement est une coalition hétéroclite de suprémacistes malais, de Chinois qui y sont opposés, de réformateurs modernes occidentalisés, de conservateurs musulmans et de représentants tribaux de Bornéo. Tous ont des intérêts différents mais l’agenda global devrait tourner autour d’une réforme démocratique et sociale (liberté de la presse, justice indépendante (qui déjà travaille activement à faire la lumière sur l’affaire 1MDB), augmentation des salaires, baisse des impôts (dont la suppression de la TVA mise en place par Najib Razak en 2015), hausse des dépenses publiques) sans remise en cause de la suprématie malaise. Le paradoxe réside dans le fait que leur leader est un homme dont les 22 ans à la tête du pays ont incarné les abus autoritaires qu’il promet aujourd’hui de faire disparaitre. Mais Mahathir est aussi un homme compétent. Le développement économique formidable du pays est à son crédit. Et si la corruption existait, elle était mineure en comparaison de ce qui a suivi son départ (en 2003, « Transparency International » plaçait la Malaisie au 37e rang des pays les plus propres, contre 62e en 2017).

De manière générale, la politique en Asie du Sud-Est est une politique de la croissance économique. L’arène politique demeure relativement stable tant que les gouvernements parviennent à assurer une amélioration de la qualité de vie. A ce titre, la hausse du coût de la vie ces dernières années a certainement contribué à détourner les classes moyennes malaisiennes de M. Najib.

Ce malaise économique affecte également la Thaïlande après une période de forte croissance. Singapour aussi se trouve dans une situation similaire alors que la cité-Etat cherche un nouveau vecteur de croissance pour remplacer son industrie financière.

Enfin, l’élan démocratique malaisien vient balancer la tendance régionale actuelle au règne démagogique et autoritaire, comme observé en Thaïlande, aux Philippines, au Cambodge, et même au Myanmar ou à Singapour où le même parti est au pouvoir depuis plus de 60 ans.
A la surprise de beaucoup, l’Indonésie est ici bien seule pour représenter un système qui se rapproche de la démocratie parlementaire à l’occidentale. Puisse l’exemple malaisien redonner espoir à tous ceux dans la région dont les voix ne se font pas entendre dans les urnes. Et détourner l’Indonésie de toute tentation démagogique.

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