Accueil National

Résurrection de la voiture nationale ?

Il est comme cela Joko Widodo (ou Jokowi pour la grande majorité des Indonésiens). Surfant sur son immense popularité, celle qui lui a permis d’être réélu maire de Solo avec 95% des suffrages ou qui fait de lui un candidat potentiel au poste de gouverneur de Jakarta ou même à la fonction suprême, il a cette capacité à donner l’exemple. Tout ce que touche Jokowi, ancien commercial dans le domaine du bois avant de devenir maire sans aucune expérience politique, devient or. C’est le privilège des gens honnêtes et efficaces dans une classe politique où il fait figure d’exception.

Jokowi a donc récemment donné un énorme coup de pouce à des étudiants professionnels de sa ville en décidant d’utiliser la voiture qu’ils ont fabriquée, l’Esemka (dérivé de SMK, les écoles indonésiennes à vocation professionnelle), comme sa voiture de fonction. Il a par la même occasion ravivé le débat sur le développement d’une voiture nationale.

Le sujet de la voiture indonésienne est historiquement très lié au nom de Tommy Suharto, fils « préféré » de l’ancien président dictateur indonésien. Tommy lance sa carrière de magnat de l’automobile en février 1994 lorsqu’il rachète la marque italienne Lamborghini alors en difficultés financières à Chrysler pour 40 millions de dollars. Moins de cinq années plus tard, malgré un retour aux profits pour la marque faisant suite au succès de la fameuse Diablo lancée en 1990, la crise asiatique de 1998 oblige Tommy à revendre son jouet à Volkswagen pour un peu plus de 100 millions de dollars.

Toujours au milieu des années 1990, le clan Suharto décide que l’Indonésie doit avoir SA voiture nationale. Le voisin honni malaisien a sa Proton, impossible donc d’être en reste. Dans un bel exemple de propagande, la nouvelle entreprise est ainsi nommée « PT. Timor Putra Nasional » signifiant Timor, fils national pour bien rappeler l’importance de conserver un Timor indonésien en cette période de revendications indépendantistes. Dans un grand élan d’originalité, la voiture produite est elle appelée la Timor. Ce projet est celui de Tommy Suharto. La voiture nationale indonésienne est donc née.
Elle est en fait une Kia Sephia remaquillée, complètement fabriquée en Corée du Sud d’où elle est importée. Mais étant donné son appartenance au clan Suharto, elle est exempte des 60% de taxes qui d’habitude plombent le prix des voitures importées. La colère des fabricants asiatiques, au premier rang desquels Toyota, ayant beaucoup investi en Indonésie pour produire localement, fut grande et l’affaire fut portée à l’OMC. Ce n’est pourtant pas celle-ci mais la crise financière de 1997 (qui entraine la chute de Kia) et l’effondrement de Suharto en 1998 qui mettront fin au projet de cette fausse voiture nationale.

Grace à Jokowi, le projet de voiture indonésienne renait de ses cendres. Contrairement à sa devancière affirme-t-on, celle-ci serait composée en grande majorité de composants produits en Indonésie. Toutefois, une rapide recherche sur Internet permet de comprendre que les modèles assemblés par les étudiants de Solo sont en fait des Foday chinoises conçues à Guangdong, une de ses nombreuses marques qui n’en sont pas, c’est-à-dire qui peuvent être rebadgées par le pays qui en a passé commande bien souvent avec l’usine clé en main. En Inde par exemple, ces voitures sont dénommées Force One. Un peu comme les motos Beijing fabriquées pendant quelques années en Indonésie sous ce nom mais qui était en fait à l’origine des Lifan chinoises. Cela n’a pas semblé déranger l’éventuel consommateur indonésien et si sa production en masse voit le jour, elle pourrait être mise en vente pour moins de 100 millions de roupies, la rendant effectivement très compétitive sur le marché local.

Reste que l’initiative du maire de Solo a relancé le débat et suscite d’innombrables réactions. Dans un premier temps les politiques, qui ont davantage l’habitude de se voter des crédits supplémentaires pour remplacer les flottes de véhicules officiels que de promouvoir les productions locales, ont tenté de minimiser le geste du nouveau héros national. Le gouverneur de Java-Centre, supérieur hiérarchique direct de Jokowi, l’a ainsi traité d’inconscient pour utiliser une voiture qui n’a pas encore reçu de certification officielle. Mais devant l’engouement populaire et les commentaires admiratifs, tous se sont ravisés et n’ont eu d’autre choix que de prendre le train en marche. Les législateurs ont promis (!!) d’étudier la faisabilité d’une production de masse du véhicule. Un homme politique en a commandé un exemplaire pour l’offrir au président Yudhoyono. Une organisation affiliée au parti Golkar, qui ne pouvait pas ne pas montrer son nationalisme électoral à cette occasion, en a commandé 40 exemplaires.

Jokowi lui, a réussi son nouveau coup mediatico-politico-populiste. Intelligemment, il souhaite que des bourses d’étude soient offertes aux étudiants impliqués dans ce projet Esemka. Il en a aussi profité pour améliorer son incroyable popularité, prouvant une nouvelle fois le désir des Indonésiens de voir une classe dirigeante humble, efficace et pro-peuple définitivement remplacer l’innommable caste politique actuelle dans son immense majorité. Mais Jokowi n’a pas (encore ?) poussé pour le développement de ce projet à l’échelle industrielle. Peut-être sait-il trop qu’une telle ambition pourrait difficilement aboutir sans l’implication totale de l’Etat indonésien, comme l’Etat malaisien l’a d’ailleurs fait pour Proton. Mais quand il s’agit d’envisager positivement un effort gouvernemental d’envergure, Jokowi reste bien peu loquace. L’avenir nous dira si l’Indonésie a su capitaliser sur les généreux efforts de ses étudiants pour faire aboutir un projet réalisable de voiture nationale. Et enflammer à nouveau une fibre nationaliste qui ne demande que cela mais qui pourrait bien s’éteindre vite quand la discutable authenticité de ces véhicules au design chinois sera sue de tout le monde.

LAISSER UNE RÉPONSE

Please enter your comment!
Please enter your name here