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Rencontre avec le grand chef Ramadjuna Matabiru

Raymond Lavabo sillonne l’Indonésie d’île en île depuis des décennies en toute impunité ! Cet aventurier cleptomane, ethnologue ventriloque et homme farouche ne se montre guère et pourtant, mardi soir dernier, la chance a souri à un de nos confrères journalistes. Au Warung Murah, le vieux Raymond était bien là, devant un nasi goreng… Contre toute attente et malgré sa réputation de vieux briscard rugueux, Raymond Lavabo s’est montré sous un bon jour. Il nous a donné quelques négatifs et ce texte relatant sa dernière épopée.

J’avais toujours entendu parler d’une peuplade primitive isolée au cœur d’une forêt primaire de Papua, les Hidjau Matabiru, petite tribu nomade dirigée par le grand chef Ramadjuna Matabiru. Là-bas, la femme consacre tout son temps à sculpter tandis que l’homme mange diverses chlorophylles hallucinogènes. Fin avril, les conditions météorologiques étaient favorables et je pouvais enfin me lancer dans cette nouvelle aventure… A Goroka, je ressortis du hangar mon vieux biplan belge, un Stampe SV 4. Malgré les années, cette vieille mécanique avait toute ma confiance. Un petit vol de 50 minutes et je me posais sur la piste de territe, à Fukit Babi. Les atterrissages sont toujours des moments très forts en Papua et, même avec mon expérience, ces secondes-là, je ne m’en lasse jamais. Ce sont des instants jouissifs, l’hélice du moteur Renault (140 cv) provoque à chaque fois un grand nuage de poussière orangée. Je comparerais cela à un largage de semence sur l’organe de reproduction d’une femelle Neolamprina Adolphinae, l’un des plus beaux coléoptères du monde, endémique de la région.

Sur la piste de Fukit Babi, je laissais mon vieux zinc à un missionnaire qui me promit de veiller sur lui le temps de mon absence. A quoi bon, je savais déjà que ce satané roublard me siphonnerait les réservoirs ! Dans la seule échoppe du village, je fis le plein de provisions indispensables pour mon périple (manioc, riz, tabac, le Figaro Madame, marshmallows, hameçons). Je trouvais sans peine une embarcation pour rejoindre le village de Wau, en territoire Rawi. Il nous faudra alors emprunter un affluent de la Ramu River, contourner une petite mangrove et, 3 heures plus tard, après un orage qui a déclenché une crue subite du cours d’eau, j’apercevais enfin le ponton au pied du village.

Nous accrochâmes la pirogue. Après avoir jeté mes affaires sur la rive, le piroguier, 50 000 roupies dans la poche, repartait aussi sec vers la civilisation sans demander son reste. En tête de Wau, le Chef Rawi me reçut dignement. Echange de politesses et respect de la coutume – même si je sais qu’il n’y a pas meilleur que le riz de Wau – je lui en offris du mien ainsi que les pages petites annonces maritales du Figaro Madame. Lui m’offrit l’hospitalité pour la nuit. Je dormirai dans la maison des ancêtres avec les vierges du village, me dit-il. A la nuit tombée, je fis part au Chef Rawi de mes intentions de monter une expédition pour me rendre sur le territoire Hidjau-Hidjau et lui demanda s’il était à même de me fournir quelques hommes. Dans un puissant éclat de rire et contre quelques hameçons et un peu de manioc, il me désigna 5 hommes de sa tribu : 4 porteurs et un pisteur. Parfait, parfait… Nous partirons le 25 avril.

La première semaine de l’expédition se déroula sans encombre. Mais, au matin du 8ème jour, encore exténué par la marche malgré une bonne nuit de sommeil, en sortant de ma moustiquaire, je me rendis compte que l’un de nos porteurs avait disparu. Je fis mine de ne pas m’en être aperçu et, curieusement ce jour-là, tout le groupe se mit à marcher plus ardemment, d’un pas pressé, le mollet ferme. Ce que je ne savais pas à cet instant, c’était que les Rawi avaient toujours un résidu héréditaire de cannibalisme en eux… Et quand un Rawi de la Ramu River rencontre un Rawi de la grande forêt, il n’y a aucun moyen d’éviter le combat ancestral aux rites codifiés ! Sauf en leur donnant du tabac Amsterdamer, celui-là même que les missionnaires hollandais apportaient avec eux au 18ème siècle pour les pacifier. Le 2 mai, je n’avais plus de tabac… Nous n’étions alors plus que deux et cela faisait deux jours que nous avions atteint le territoire Hidjau-Hidjau, mais aucune trace de ses habitants. J’ouvrais l’œil, cherchant la moindre trace humaine, j’analysais toutes les empreintes dans les sables mouvants des rives du fleuve, je commençais à douter et la viande de tortue d’hier me torturait encore le bide.

C’est alors que je me suis dit : « Raymond, faut pas craquer. » Pour tenir, je me mis à penser à mes vieux potes de la Gazette à Bali qui se la coulent douce dans les boites et bars de Seminyak ou encore, tout en me retirant les sangsues, je me remémorais le ragout de lapin de mon enfance qui mijotait sur la cuisinière en fonte. Bref… Le 4 mai, désormais seul, mon dernier compagnon d’aventure s’étant dévoré lui-même après s’être pris pour un Rawi de la grande forêt en se regardant dans un miroir, je découvrais enfin les Hidjau Matabiru et je pus photographier leur grand chef Ramadjuna Matabiru, le plus vénéré d’entre tous, après lui avoir offert les pages qu’il me restait du Figaro Madame ! Voici les précieux clichés…

Le mois prochain avec « Pêche traditionnelle aux marshmallows dans la Ramu River »

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