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RELIGION, ADULTERE, HOMOSEXUALITE, L’INDONESIE ENTRE PROGRESSISME ET MORALISME

Deux décisions récentes de la cour constitutionnelle indonésienne ont été largement relayées par la presse internationale comme une percée progressiste inattendue pour les droits des minorités sexuelles et religieuses dans le pays. Une vérité théorique qui ne résiste pas à la réalité du terrain…

Les Indonésiens ont l’obligation d’obtenir une carte d’identité nationale à l’âge de 17 ans sur laquelle sont inscrites des données personnelles, dont l’affiliation religieuse de chacun. Six religions sont officiellement reconnues. Mais beaucoup dans le pays, respectant des religions natives ou traditionnelles, sont ainsi exclus du système administratif et de ses bénéfices supposés. D’après le ministère de l’Education et de la Culture, ceux-ci étaient au nombre de 12 millions en 2016, soit environ 5% de la population nationale. En déclarant inconstitutionnelle l’obligation faite à ces minorités de laisser vide la colonne « religion » de leur carte d’identité, la cour a fin novembre donné l’obligation à l’Etat d’accorder les mêmes droits et la même protection à ces minorités religieuses, et de reconnaitre leurs pratiques.

Le 14 décembre dernier, une autre décision de la cour constitutionnelle a encore davantage attiré les yeux de la communauté internationale. Les juges, à une très faible majorité de 5 voix contre 4, ont en effet rejeté une pétition appelant à criminaliser toute relation sexuelle en dehors du mariage. La pétition avait été déposée en mars 2016 par l’Alliance pour l’amour familial (AILA), un groupe très conservateur de mères au foyer. Ce groupe avait demandé à la cour d’étendre dramatiquement une loi déjà existante qui interdit aux gens mariés d’avoir des relations sexuelles avec d’autres individus que leurs conjoints, expliquant que cette loi devrait être étendue à toutes les relations sexuelles entre individus non mariés. Une telle décision aurait ainsi contribué de fait à criminaliser l’homosexualité, le mariage homosexuel n’étant pas reconnu en Indonésie.

Ces deux décisions progressistes ont surpris jusqu’aux activistes pour les droits des minorités sexuelles et religieuses, l’Indonésie ayant connu ces dernières années une forte droitisation symbolisée par l’énorme influence politique gagnée par les groupes islamistes conservateurs. Mais ces deux décisions, aussi positives soient-elles pour le respect des droits des minorités, doivent être analysées au regard de la réalité de ce que vivent ces minorités sur le terrain, et de ce que la menace de l’arsenal législatif indonésien fait peser sur leurs têtes.

La loi sur le blasphème de plus en plus utilisée
Pour les minorités religieuses, la principale menace réside dans la loi contre le blasphème de 1965. En théorie, celle-ci permet de protéger les six religions officielles de l’Etat. Dans les faits, celle-ci est essentiellement utilisée désormais pour criminaliser toute attaque perçue comme telle contre la religion musulmane dominante dans l’Archipel. L’emprisonnement de l’ancien gouverneur chrétien de Jakarta Basuki Tjahaja Purnama, alias Ahok, en est l’exemple le plus démonstratif. Mais il n’est pas le seul. L’Institut Setara, une organisation non-gouvernementale promouvant paix et démocratie, a enregistré un total de 270 cas d’intolérance religieuse en 2016, contre 236 en 2015. Plus de la moitié de ces cas impliquaient en outre des entités gouvernementales, telles les forces de police ou les gouvernements régionaux. Les autorités ont ainsi utilisé la loi contre le blasphème contre les minorités religieuses Ahmadiyah et Gafatar ces dernières années.

Ironiquement, le même jour du rejet par la cour constitutionnelle de la criminalisation des relations sexuelles hors mariage, une autre cour de Jakarta condamnait dix hommes à plus de deux ans de prison pour avoir pris part à une « fête sexuelle homosexuelle » dans un sauna de la capitale. Ces dix hommes faisaient partie des 141 ayant été arrêtés en mai dernier au même moment. Ils ont été condamnés sur la base de la très controversée loi anti pornographie de 2008, qui dans des termes très vagues bannit tout matériau ou toute action allant à l’encontre de la décence publique.

En Indonésie, l’homosexualité et les relations sexuelles hors mariage ne sont pas illégales, sauf dans la province semi-autonome d’Aceh qui applique les principes de la loi coranique. Le pays a même généralement toujours toléré, si ce n’est compris, l’homosexualité. Mais cela a changé en 2016 quand les autorités, sous la pression de groupes islamistes conservateurs, ont commencé à arrêter des homosexuels en nombre, effectuant des raids non seulement dans des bars et des saunas, mais aussi dans des chambres d’hôtels ou des appartements privés.

La loi anti pornographie contre les homosexuels
La répression a commencé en novembre 2016 quand la police est intervenue dans une fête à Jakarta et a arrêté 13 hommes. L’incident le plus récent a eu lieu en octobre, quand 51 hommes ont été arrêtés dans ce qui est considéré être le dernier sauna gay de la capitale. A chaque fois, la police a invoqué la loi anti pornographie comme justification.

L’acceptation historique des homosexuels, tant qu’ils se marient et ont des enfants par ailleurs, a ainsi évolué négativement ces dernières années, en même temps que les politiciens indonésiens découvraient l’avantage politique à toucher le sentiment islamiste dur. Début 2016, le ministre de l’Education interdit un groupe étudiant pro minorités sexuelles sur le campus de l’Université d’Indonésie. Plus tard, l’autorité audiovisuelle interdit la représentation de personnages homosexuels ou efféminés à la télévision. Le ministre de la Défense a assimilé l’homosexualité à une guerre nucléaire : alors que les effets d’une bombe sur Jakarta pourraient au moins être contenus, la tolérance pour les homosexuels pourrait dangereusement se propager sur tout le territoire.

Il n’a probablement jamais été aussi difficile d’être homosexuel ou d’appartenir à une minorité religieuse ou sexuelle en Indonésie que maintenant. La classe politique en est la raison. Le principe de bien commun n’existe dans l’Archipel que dans les discours pompeux. Toute décision politique répond à des intérêts privés. La carte de l’islam politique radical est aujourd’hui une carte gagnante. Elle continuera à être jouée tant qu’elle permettra de remporter des élections ou de satisfaire des intérêts individuels. Et la cour constitutionnelle semble bien faible face aux injustes lois contre le blasphème et la pornographie.

Jean-Baptiste Chauvin

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