La Gazette de Bali : En termes de ramassage des ordures, quel est le problème le plus critique auquel Bali doit faire face aujourd’hui ?
Paola Cannuciari : Partons du problème à la base, celui de simplement se défaire de ses déchets. Beaucoup ont encore recours à l’incinération ou les jettent simplement comme ça. Les décharges illégales et toutes ces pratiques désastreuses ont un impact énorme sur l’environnement, de l’intérieur des terres jusqu’à la mer avec des conséquences diverses sur tous les habitats avec pollution de l’air, du sol et de l’eau. Il suffit juste de regarder autour de soi après une bonne pluie, caniveaux, canaux et rivières sont pleins d’ordures. Bien sûr, il y a une multitude de services privés ou gouvernementaux de collecte des déchets, mais les habitants de l’île sont loin d’y souscrire dans leur totalité. C’est pourquoi on voit toutes ces décharges sauvages, des fossés ou contrebas qui se retrouvent transformés en décharge publiques. Je crois donc qu’il est nécessaire de s’orienter vers un ramassage plus systématique des déchets afin que la même recette puisse être appliquée sur toute l’île.
LGdB : Avez-vous remarqué la quantité extraordinaire de déchets qui a pollué les plages cette année ?
P C : Oui, impossible de ne pas les voir. Et c’est un gros problème… Je ne pense pas que, cette année, il y avait plus de déchets que les années passées, je crois qu’il y a eu des complications avec ceux qui les ramassaient habituellement. Là, on parle de responsabilité et dans la collecte des déchets il y a plein de parties impliquées… Les banjar des villages étaient habituellement en charge du nettoyage des plages. J’imagine que, cette année, il y a eu un problème du genre « qui est responsable de quoi ? » et aussi des questions de logistique…
LGdB : Où vont toutes les ordures que nous produisons ?
P C : Il y a des décharges gouvernementales. La principale pour Denpasar et le sud de Bali se trouve à Suwung. Dans
celle-ci, il y a deux projets en cours : un qui inclut le tri sélectif des ordures et l’autre un système de conversion du méthane en électricité (produit principalement par les déchets organiques non traités). Ces projets sont encore en phase de développement et pas encore opérationnels. Au moins, ces initiatives montrent un peu d’innovation dans le traitement des ordures. Il y a aussi quelques centres de valorisation des déchets ou Material Recovery Facilities qui sont une bien meilleure option. L’un est Jimbaran Lestari à Jimbaran avec qui nous collaborons actuellement, l’autre est Temesi dans la région de Gianyar. Mais comme je le disais, les déchets ne finissent pas tous dans ces deux endroits, la plupart se retrouvent sur des décharges sauvages.
LGdB : Avons-nous atteint le point de non retour ? Et sinon, y a-t-il une solution viable sur le court terme ?
P C : Non, je ne pense pas que nous ayons atteint le point de non retour. Je n’espère pas. Sinon il ne reste plus de place pour l’action immédiate et une amélioration. Je pense que nous sommes à un tournant critique mais heureusement il y a de nombreuses parties qui ont pris le problème en main. A l’évidence, le plus facile serait d’avoir un système uniformisé, organisé par le gouvernement et des sous-traitants qui pourraient faire face aux différents aspects du traitement des déchets, du tri à la source au ramassage, du recyclage optimisé au compostage et à la conversion en énergie. Une bonne alternative aux décharges, ce sont les centres de valorisation des déchets. Ces centres sont basés sur une approche différente où les déchets organiques et non-organiques sont séparés. Tous les recyclables sont récupérés et les déchets organiques sont compostés, laissant ainsi très peu de résidus en décharge. Une vraie solution serait l’accroissement du nombre de ces centres afin que chaque région dispose du sien. Et bien sûr, on ne peut pas oublier éducation et sensibilisation, deux éléments incontournables si on veut changer quelque chose.
LGdB : Dans quelles proportions l’industrie du tourisme est-elle responsable du désastre ? Est-elle partie du problème ou des solutions ? Qu’en est-il des villas des étrangers ?
P C : Dans un endroit comme Bali où le développement est allé de pair avec l’accroissement du tourisme, bien évidemment, ce secteur a sa part de responsabilité. Bon nombre d’hôtels ont néanmoins reconnu les faits et sont maintenant disposés à se débarrasser de leurs déchets comme il faut. Certains d’entre eux utilisent la société Jimbaran Lestari. Il y a aussi un nouveau tourisme conscient de l’environnement qui dicte les choix et pratiques dans ce secteur. De nombreux hôtels essayent d’obtenir les labels Green Globe ou Tri Hita Karana qui est spécifique à Bali. Ces certifications, entre autres choses, rendent obligatoires une bonne gestion des déchets vers un centre de tri et recyclage, etc. Mais le tourisme n’est pas la responsabilité des seuls hôtels, les tours et restaurants ont également un impact crucial et une meilleure sensibilisation sur les déchets qu’ils produisent est encore à souhaiter. Le secteur de la plongée a prouvé son bon niveau de sensibilisation au problème. Il est vrai que les ordures qui flottent dans la mer sont bien visibles. Certaines sociétés viennent à nous pour nos services et aussi pour collaborer à nos campagnes d’information. Je pourrais citer des mauvais exemples aussi mais j’espère qu’en citant ceux qui ont une démarche positive cela stimulera ceux qui n’en ont pas encore à changer rapidement… Sans compter qu’aujourd’hui, être vraiment concerné par l’environnement et ne pas se contenter de faire du « blanchiment vert », c’est une valeur ajoutée en terme de business. Quant aux villas, le même concept est valable. Sachez où vont vos ordures, contribuez aux bonnes méthodes.
LGdB : Dans quelle mesure la façon de vivre des Balinais ne va pas à l’encontre des efforts faits pour mieux gérer les ordures ? Ont-ils quelque peu changé leurs habitudes désormais ? Quid des programmes d’éducation ? Comment cela marche-t-il ?
P C : En théorie, la façon de vivre dans la tradition hindoue va dans le sens des bonnes pratiques environnementales. La relation avec l’environnement est un des piliers du Tri Hita Karana. Malheureusement, les changements intervenus comme l’accroissement de la consommation dans leur mode de vie a ruiné ces concepts. Il n’y a pas si longtemps que cela, les déchets n’étaient pas un problème puisque tous organiques, on les donnait aux cochons, on en faisait du compost. Les emballages étaient en feuilles de bananier la plupart du temps. Le plastique a depuis remplacé ces emballages naturels. Les sacs en plastique sont utilisés sans compter, des warung aux supermarchés. Il y a un besoin énorme d’éducation et de sensibilisation… Les gens n’ont pas la moindre idée qu’il est dangereux de brûler du plastique par exemple et la majorité ne s’en soucie guère. L’éducation est une partie intégrale de nos activités à EcoBali. Quand nous démarrons un contrat de ramassage avec un nouveau client, nous ajoutons toujours un cours d’information avec les gens concernés par la collecte. Et pas seulement comment faire le tri des ordures mais aussi tous les éléments à savoir sur le sujet, les bonnes et mauvaises habitudes… Ainsi, nous touchons une partie bien plus large de la société.
Sur une échelle plus grande, nous avons aussi développé des programmes d’éducation pour les écoles. Notre première campagne, qui est toujours opérationnelle, a été sponsorisée par Tetra Pak Indonesia avec le soutien de la branche locale du ministère de l’Education et le ministère de l’Environnement. 14 écoles nationales sont ainsi visitées à Canggu, Kerobokan et Kesambi à Denpasar. Nous informons sur la gestion des déchets, l’importance du tri à la source, nous fournissons des poubelles et ramassons les ordures toutes les semaines. Beaucoup de ces écoles brûlaient leurs déchets avant ou en disposaient de façon inappropriée. Mais plus maintenant, les enfants sont au courant du problème, pour nous, c’est une grande victoire ! Nous collaborons à un programme semblable à Jimbaran, baptisé « Jimbaran Village Propre » qui est dirigé par la société Jimbaran Lestari et sponsorisé par les hôtels et entreprises du coin. Sept écoles sont concernées. Le but est d’inclure les 30 écoles répertoriées lorsque nous aurons les fonds nécessaires.
LGdB : D’un point de vue technique, quel est le meilleur moyen de gérer les déchets en vue d’un résultat maximal ? Pouvez-vous nous expliquer l’importance du tri à la source ?
P C : L’idée, l’objectif, c’est zéro déchet. La majorité de ce que nous considérons comme un rebut est en fait une ressource. Les déchets organiques font un merveilleux compost, et facilement, et la plupart des non-organiques sont recyclables. Alors, pourquoi continuons-nous d’abandonner tout ça dans la décharge ? Le tri est la démarche de base qui nous permet de nous assurer que toutes ces ressources vont pouvoir être réutilisées et diminuer ainsi le montant total de nos déchets. Si les organiques et les non-organiques sont mélangés, beaucoup de matériaux deviennent impossibles à recycler. C’est pourquoi, nous travaillons avec un centre de tri et recyclage. Dans ces centres, toutes les ordures, qui sont déjà séparées en deux catégories dans les poubelles des maisons, bureaux et entreprises, sont ensuite triées à nouveau en sous-catégories afin d’optimiser les possibilités de recyclage. Ainsi, seul un pourcentage infime sera envoyé à la décharge.
LGdB : Parlant recyclage, quelles sont les solutions disponibles aujourd’hui à Bali ? Pensez-vous que les habitants de l’île sont prêts à payer pour une meilleure gestion des ordures quand ils peuvent les brûler dans leur cour ?
P C : En théorie, cela est interdit, mais tout le monde ne respecte pas encore la loi… Certains pensent encore que c’est la meilleure façon de faire. Heureusement, le nombre de ceux qui pensent le contraire est en train de croître. Une nouvelle génération de Balinais semble plus consciente du problème et cherche des solutions responsables. Récemment, on m’a demandé d’organiser pour la ville de Denpasar un centre de recyclage comme celui mis sur pied par Surfer Girl à Legian, auquel nous avons collaboré. On a de plus en plus de demandes. En ce qui concerne les possibilités de recyclage, pour le moment, il y a plein de pemulung (chiffonniers) et de plus gros négociants qui, il est vrai, n’achètent que ce qui se revend. Et puis, il y a nous, nous ne travaillons qu’avec des centres de tri et de recyclage où les ordures sont soigneusement séparées et reconditionnées. Et nous collectons tous les déchets organiques sans nous préoccuper de leur valeur. Tous les types sont bienvenus. Il y a enfin Jimbaran Lestari, où nous apportons nos déchets, mais ils semblent se concentrer plus sur les hôtels de Jimbaran, la région sud de l’île…
LGdB : Quel est le pire des déchets, le cauchemar des environnementalistes ?
P C : N’importe quel déchet non-organique qui n’est pas traité correctement est un cauchemar. La durée de vie des plastiques va de 70 à 400 ans pour vous donner un exemple… Je n’ai pas de catégorie préférée mais, évidemment, le plastique est un fléau dans la nature…
LGdB : Quelle est la pire de nos mauvaises habitudes, celle dont on doit absolument se séparer pour un environnement plus propre ?
P C : Penser que les ordures, ce n’est pas notre responsabilité. C’est justement une question de choix et de responsabilités, et puisque nous sommes les producteurs de tous ces déchets, nous avons la responsabilité de veiller à leur traitement en bout de chaîne… Nous pouvons aussi miser sur la prévention en utilisant moins de sacs plastiques, en achetant les produits dont les emballages sont le moins néfastes sur l’environnement ou mieux, parfaitement recyclables. Soyons des consommateurs responsables.
LGdB : Quand on regarde les rivières et les plages de Bali, les perspectives semblent plutôt sombres, donnez-nous une raison de garder espoir pour l’avenir. Va-t-on retrouver notre merveilleuse île de Bali ?
P C : Commencez par faire votre part vous-même maintenant… Cherchez des solutions alentour, il y en a déjà plein de disponibles. En tant que touriste, commencez par exiger des services qui respectent l’environnement, en tant que résident ou entrepreneur, faites toujours au mieux de ce qui est en votre pouvoir, choisissez la meilleure solution possible. De plus en plus de gens décident de venir s’installer à Bali, pour tout un tas de raisons. Je crois que si nous devons commencer à considérer Bali comme chez nous, alors nous nous devons de traiter Bali comme nous le ferions de notre propre maison.