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Raid moto à Kalimantan : voir Bornéo sans détour

La Gazette de Bali : A l’origine, tu es boulanger de formation, qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui tu sois devenu un professionnel de l’aventure en Indonésie ?

Régis Requis : Je crois que depuis toujours, j’ai la passion des petits chemins, de savoir où ils mènent… J’aime la découverte, j’aime l’aventure. Quand il y a un chemin, j’aime savoir ce qu’il y a au bout ! C’était déjà le cas quand j’étais môme, en Normandie. Je prenais mon vélo, j’enlevais les garde-boue et hop j’étais parti pour l’aventure dans les bocages !

LGdB : Avant de faire ce métier d’aventurier ici, tu as lancé un commerce que tous les Français de Bali connaissent bien je crois ?

R R : Oui, je suis à Bali depuis fin 1996. Au départ, j’ai lancé le Café Moka avec Laurent Juillard, mais quelques années plus tard, en 2004, j’ai monté Archipelago Adventure pour satisfaire cette passion du sport et de l’aventure.

LGdB : Tu es donc un sportif accompli ?

R R : Oui, je suis aussi très sportif. J’ai toujours fait de la course à pied, du vélo… J’ai été pilote de moto-cross, jusqu’en championnat de Normandie où je n’ai pas fait de miracle toutefois parce que je n’avais pas assez d’argent.

LGdB : Et l’idée derrière ton activité professionnelle actuelle, qu’est-ce que c’est ?

R R : Faire découvrir l’Indonésie par les petits chemins ! La découvrir comme elle est, à VTT, à moto, en voiture, dans des coins qui ne sont pas nécessairement touristiques. J’organise donc des tours pour des petits groupes à Sumatra, à Java, à Bali, à Sumbawa, à Flores, à Sulawesi et je vais démarrer en mai un trip à moto à Kalimantan…

LGdB : Oui alors, justement, tu viens de finaliser cette randonnée particulière dans un endroit qui fait rêver les aventuriers du monde entier : Bornéo. Où exactement ?

R R : Départ depuis Balikpapan, vers le nord, plus ou moins autour du fleuve Mahakam. Presque 1600 km de piste en 7 jours avec retour au point de départ. Je ne les emmène pas dans les endroits convenus même si on passe quand même par des villages dayaks, avec visite de long houses. Je veux qu’ils voient l’Indonésie sans détour. A Kalimantan, ils pourront observer par eux-mêmes la disparition de la forêt, l’étendue des plantations de palmiers à huile, les concessions minières, les carrières… Il y aura aussi des passages par bateau. C’est de l’aventure, de la découverte mais ce n’est pas dangereux, ni extrême du point de vue de la conduite. D’ailleurs, 90% de pistes sont roulantes, faciles à emprunter.

LGdB : Tu as fait des reconnaissances depuis presque deux ans, c’est ça ?

R R : Oui, cinq reconnaissances en tout, pour ce qui concerne le terrain. Il y a aussi ce que j’appelle la pré-reconnaissance. Un travail au bureau avec des photos satellites, qu’on trouve sur Google Earth ou d’autres sites spécialisés. Je commence avec des cartes GPS. Il faut déterminer la zone, voir s’il y a des pistes et où elles débouchent, établir la faisabilité des relais quotidiens, reconnaitre les points de chute… Je fais mes cartes moi-même, tout cela prend du temps et doit donc se préparer avec soin.

LGdB : Oui, au sujet de ces cartes, il parait qu’à Kalimantan, les photos satellites ne reflètent pas la réalité. Tu peux nous expliquer ?

R R : C’est ça qui est étonnant. En Indonésie, si quelquefois certaines photos satellite sont imprécises, à Kalimantan, c’est la règle générale, elles sont quasiment toutes fausses, elles ne montrent pas ce qui existe en bas, au réel. J’ai fait des reconnaissances à Sulawesi par exemple, là, les photos étaient toutes parfaitement claires et précises. Mais à Kalimantan… les photos sont fausses, les dates aussi, on ne sait plus. Quand je fais les reconnaissances sur le terrain, je vois des pistes, des chemins, des mines qui ne figurent pas sur les photos. A l’inverse, les photos peuvent aussi indiquer des routes qu’on retrouve en réalité reconquises par la végétation. Et qui ont donc quasiment disparu ou qui sont impraticables. Impossible de s’y fier !

LGdB : On se demande si cela n’est pas fait exprès pour cacher au grand public la réalité des activités dans cette province, non ? L’état de la déforestation, la localisation des plantations, des concessions minières, les feux de forêt, qu’en penses-tu ?

R R : Difficile à dire, mais jamais je n’ai vu autant de différences entre l’imagerie satellite et la réalité. Google achète ces photos aux pays qui disposent de ces moyens de surveillance, on peut donc imaginer que certaines cartographies sensibles peuvent rester confidentielles à la demande de certains gouvernements… J’ai pris l’habitude de faire mes cartes avec mon propre équipement GPS alors je peux donc corroborer les images satellite avec mes relevés sur le terrain. Je note les villages, les pistes privées des concessions, qu’on ne voit pas autrement et qui peuvent être bien utiles. Certaines font jusqu’à 200 km de long. Il y a d’anciens chemins, qu’on voit en photo, et sur place, ils n’y sont plus, ça a repoussé ! J’ai donc dû tout recommencer plusieurs fois !

LGdB : Ces pistes privées, ne sont-elles pas sévèrement gardées comme en Papua ?

R R : Non, là, je dois dire que partout où on rencontre des gens, ils sont sympas. A l’entrée d’une piste, les satpam vous demanderont où vous voulez vous rendre, ils s’inquiètent de savoir si on est suffisamment équipé. Il n’y a jamais d’hostilité. Il m’est arrivé d’être suivi pendant la traversée d’une plantation de palmiers à huile mais discrètement, sans démonstration de force.

LGdB : Tu fais ces reconnaissances avec quel véhicule ?

R R : Comme le tour à Kalimantan est à moto, je le fais à moto aussi pour être bien sûr d’évaluer les difficultés. Il faut se mettre au niveau du participant le plus novice. Jamais, il ne faut que ça devienne trop dur pour quiconque… Sinon, je prends aussi le 4×4 car les reconnaissances, je les fais pendant la saison des pluies alors un peu de confort ne fait pas de mal. D’autant que c’est très fatiguant. Il m’est arrivé de m’arrêter dans un losmen une fois en début d’après-midi et de dormir jusqu’au lendemain matin tellement j’étais épuisé. Le plus dur, c’est de garder sa concentration, la fatigue est terrible.

LGdB : Ca prend du temps une reconnaissance à Kalimantan ?

R R : Pour une journée d’excursion, je compte quatre jours de repérage sur le terrain. Je dois chercher des points de chute pour la nuit. Trouver des losmen, ou des nuitées chez l’habitant. C’est une organisation méticuleuse.

LGdB : Voit-on beaucoup d’animaux ?

R R : Eh bien non, le long des pistes, on entend bien des gibbons mais on ne les voit pas. Ces pistes sont larges, jusqu’à 16 m, et quand un véhicule passe, cela fait fuir les bêtes. Je rêverais de faire ces reconnaissances à VTT ! Si, j’ai vu des serpents… Ces pistes sont entretenues avec soin car elles sont empruntées par des camions énormes. Il y a donc un bulldozer avec une lame qui passe tous les deux à trois jours pour les resurfacer, un peu à la manière d’un chasse-neige.

LGdB : Pendant ces reconnaissances, comment es-tu équipé ?

R R : Je suis armé de mes GPS ! Imagine-toi que quand je repère un trou, je le note. Le jour où j’emmène les participants au raid, je serai en mesure de les prévenir du danger ! A moto, j’utilise une Kawasaki KLX 250. J’ai 200 km maxi d’autonomie plus un jerrycan. Inutile de dire qu’il n’y a pas de Pertamina dans la jungle et quand on trouve de l’essence au détail, le litre peut se monter jusqu’à 20 000 rp ! Une fois, j’ai emprunté une piste qui était mentionnée sur les photos satellite et qui s’est arrêtée subitement au bout de 180 km. Il y avait une sorte de chantier où j’imagine on dispatchait les troncs d’arbre provenant de l’exploitation forestière, il y avait quelques machines abandonnées et rouillées. J’ai dû faire demi-tour en ne tirant pas sur les régimes et en coupant le moteur dans les descentes. J’ai fini par pousser, heureusement, j’ai trouvé des gens, ils m’ont aidé. J’ai toujours avec moi des biscuits, de l’eau, des mie instan, un petit réchaud pliable et une tente au cas où !

LGdB : Quelles qualités faut-il pour faire ce métier pas ordinaire ?

R R : Il faut du temps et des moyens. Et le bien le plus précieux : de l’expérience qui ne s’acquiert qu’avec le temps et les erreurs. Expédier la moto, louer un 4×4, tout ça coûte cher et il ne faut pas se rater. Il faut être super pointu en cartographie. Sur le terrain, il faut du feeling aussi, lire dans les chemins… Quel type de piste on emprunte, quel village au bout, quel véhicule peut passer. Si par exemple, tous les chemins dévient, c’est qu’il y a un obstacle, naturel ou pas, quelque part plus loin. Il m’est arrivé de suivre des pipe-lines pendant plus de 100 bornes !

LGdB : En conclusion, le jeu en valait la chandelle ?

R R : Seul l’avenir le dira. J’espère emmener des participants sur Bornéo 3 à 4 fois par an. Ce que je peux dire c’est que ce trip a été le plus difficile à organiser, notamment à cause des distances parcourues et bien sûr en raison de ces images satellites fantaisistes. C’est toujours difficile d’organiser des séjours d’aventure mais là c’était à la mesure de cette île mythique. Et il me tarde d’emmener les participants !

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