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Quand le tourisme menace la survie même de Bali

« L’exploitation touristique de Bali doit se faire à l’intérieur de certaines limites », affirme cette spécialiste du tourisme qui voit dans le projet START, dont elle est en charge, le moyen de donner aux professionnels du premier secteur économique de Bali le rôle de leaders dans le développement durable de l’île. Les terrains d’action ainsi définis permettraient à ces corporations de réduire, dans des limites acceptables, les empreintes écologiques de leurs activités. Permettant, par exemple, de garantir les besoins alimentaires et en eau de la population, ou encore d’assurer le développement des infrastructures nécessaires à leurs activités dans le cadre de plans clairement définis. Pour cette ancienne présidente de BIWA (Bali International Women Association), qui est à l’origine d’un rapport du WWF dressant l’état des lieux de Bali après la dernière conférence sur le climat, la tâche est immense. Car même si la volonté politique existe en théorie et même si certaines lois cadrent déjà les problèmes en cours, tout reste à faire dans la pratique.

L’idée maîtresse de START est donc de créer une sorte d’alliance ou de guilde des professionnels du tourisme se posant comme les garants d’un « code de conduite ». En une phrase, l’exploitation touristique de Bali doit cesser de créer les conditions propices à la disparition de ses ressources mais plutôt donner l’exemple en initiant des changements concrets. Concernant l’eau, le constat est déjà alarmant. Entre 2000 et 2006, l’utilisation des ressources de l’île (sources, rivières et lacs) est passée de 73% à 85%, atteignant ce qui est considéré comme un « seuil critique ». L’érosion des côtes associée à la montée des océans a provoqué la salinisation des nappes phréatiques jusqu’à un km à l’intérieur des terres dans le sud de l’île, explique encore l’étude menée par Muriel Ydo et son équipe. Le développement incontrôlé a également provoqué la disparition des terres de production agricole et le déboisement massif des forêts qui ne couvrent plus que 25% du territoire. Les zones de production de riz de la région de Tabanan, considérée comme le grenier de Bali, ont presque été divisées par trois en cinq ans, passant de 60 000 hectares en 2001 à seulement 22 000 hectares en 2006. Avec un rythme de conversion des terres cultivées qui s’établit à 400 000 hectares par an, l’autosuffisance alimentaire de Bali est désormais clairement menacée. Sans parler des problèmes de densité démographique qui ont déjà dépassé les seuils de tolérance.
Mettre en place une parade va prendre du temps. « Nous avons besoin d’experts  pour créer cet ecoclub et assurer sa crédibilité », explique Muriel Ydo. « Si nous voulons que les professionnels du tourisme puissent donner l’exemple, il faut définir des critères sûrs
et des pratiques positives facilement identifiables », ajoute-t-elle encore, consciente que la reconnaissance des politiques passera par des actions tangibles. L’agenda de START est donc chargé de réunions avec l’Office du Tourisme, les responsables des communautés locales, les leaders religieux, les responsables d’ONG, etc. Comptant sur un lobbying systématique du gouvernement, le soutien des ministères devrait suivre, espère cet activiste à l’origine de nombreuses actions en Indonésie, du Clean Up Day à Bali en passant par des campagnes anti-Sida à Jakarta et en Papua.

Avant même de parler du manque de planning des activités liées au tourisme, le respect des lois existantes est déjà un problème. Officiellement, Bali compte un peu plus de 40 000 chambres d’hôtels, mais officieusement, on estime le total à 60 000 en raison des villas privées non répertoriées qui opèrent illégalement, mentionne encore le rapport commandité par WWF. Parmi les autres maux, la gestion des déchets. Les cinq millions de touristes locaux et étrangers qui visitent l’île tous les ans produisent à eux seuls 2500 tonnes d’ordures par jour. L’enquête affirme que la plupart des ordures produites à Bali finissent dans des décharges « informelles » et dans les rivières. Enfin, l’énergie nécessaire à l’activité touristique est démesurée par rapport à la consommation ordinaire des habitants. Dans certaines régions, comme à Nusa Dua, les hôtels utilisent jusqu’à 70% de l’électricité disponible.

START définit quatre axes principaux à son action à venir. Tout d’abord, améliorer la prise de conscience des intervenants du tourisme sur les questions liées à la survie de Bali et de ses ressources, puis construire l’alliance afin que chacun comprenne que l’action commune est plus forte que la volonté individuelle, ensuite définir quelles sont les bonnes et mauvaises pratiques touristiques en fonction de critères et de procédures établis par des experts, enfin, créer un organisme de surveillance qui établirait des rapports réguliers sur le respect du « code de conduite » du club. « C’est à ces conditions que l’industrie du tourisme pourrait avoir valeur d’exemple pour Bali », ajoute Muriel Ydo. Pour Bali mais pas seulement. « C’est une action à double sens, cela servira les Balinais mais aussi les touristes car Bali serait le modèle d’un tourisme responsable valorisant », précise-t-elle.

En attendant, il y a du pain sur la planche reconnaît cette femme d’action prête à relever tous les défis. D’autant que la donne touristique de Bali change avec le temps. Des touristes européens passionnés de culture qui restaient jusqu’à un mois, on est passé aux touristes régionaux pressés qui viennent pour le shopping et les distractions à la Disney Land. La durée de séjour de ces consommateurs de loisirs venus des économies émergentes est de trois nuits et quatre jours en moyenne. « Cela ne change rien à la validité du projet START, explique Muriel Ydo, tant que des professionnels responsabilisés auront à cœur de minimiser l’empreinte écologique de leurs pratiques ».

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