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« PROJET ORGASME » POUR LES INDONESIENNES AVEC FIRLIANA PURWANTI

Nous avons souvent écrit dans ces colonnes que l’arrivée de la démocratie en Indonésie s’était enveloppée d’un voile de puritanisme de plus en plus imposant ces derniers années, matérialisé par l’islamisation lente mais inéluctable d’une société pourtant peu encline à l’austérité de ses mœurs par le passé. Il est indéniable qu’il y a aussi un effet de mode vestimentaire dans cette « arabisation » de l’Indonésie, soutenue par les femmes elles-mêmes, devenues en quelques années consommatrice effrénées de tenues muslimah chatoyantes « made in Indonesia », il est vrai, bien éloignées de l’austérité moyen-orientale. Mais cette tendance s’est évidemment accompagnée d’un indéniable recul de la visibilité du corps féminin dans l’Archipel.

A la télévision, dans les magazines, sur Internet, les maniaques du floutage de la peau féminine veillent au grain afin de préserver cette moralité nationale fraichement conquise. Dans les piscines municipales, sur les plages, le burkini a fait naturellement une percée populaire – quand ce n’est pas la baignade tout habillée – et il n’est pas rare désormais de voir des panneaux qui imposent l’interdiction du bikini. Pour ceux qui sont là depuis longtemps, difficile de ne pas percevoir cette évolution saisissante en une ou deux décennies. Après tout, dans les années 90 à Bali, il n’était pas rare de voir de jeunes beautés de Jakarta en string et topless jouer aux raquettes sur la plage 6X6. Impensable aujourd’hui, les Indonésiennes les plus libérées et courageuses n’osant le bikini que sur des plages isolées bien à l’abri des regards. Bref, dans cette lutte d’influence que se livrent ici depuis la création de la république les valeurs de l’islam et celles de l’Occident, il faut bien reconnaître que la rigueur musulmane a marqué des points ces dernières années.

Les hommes ne savent rien de l’orgasme féminin
C’est dans ce climat d’aridité sensuelle et sexuelle que Fitriani Purwanti, une activiste de 38 ans, mène le combat pour le moins difficile du droit à l’orgasme des femmes indonésiennes. Alors que des institutions comme l’armée et la police viennent juste de refuser d’annuler le « test des deux doigts », ou test de virginité, qu’elles imposent aux jeunes recrues, et que la pratique de l’excision du clitoris (il est vrai essentiellement symbolique) regagne du terrain au milieu des décisions contradictoires des autorités sur le sujet, il est surprenant d’entendre cette voix de femme qui clame son droit à jouir. « En tant qu’être humain, si votre orgasme est nié, c’est aussi votre existence qui est niée », résume cette écrivaine, dont la deuxième version mise à jour du livre « The O Project » est prévu début 2016. Son combat pour le plaisir sexuel de ses compatriotes va donc de pair avec celui de leur émancipation, une tâche pour le moins ardue dans l’Indonésie puritaine d’aujourd’hui.

Son ouvrage est basé sur le résultat d’enquêtes auprès de femmes qui, sous couvert d’anonymat, se sont confiées sur leurs expériences intimes. A travers ces histoires de plaisir ou d’absence de plaisir, Fitriani Purwanti cherche à prouver que l’inégalité de statut homme/femme tend à empêcher la femme d’atteindre l’orgasme. « J’ai écrit ce livre pour les femmes, mais de façon surprenante, ça intéresse plutôt les hommes », reconnait-elle dans un article de The Global Journal. « J’imagine qu’ils ne savent rien de l’orgasme féminin. J’imagine que personne ne leur a dit comment les femmes aiment arriver à l’obtenir », précise-t-elle encore. Son travail d’activiste brocarde les contraintes sociales de son pays et les tabous qui diabolisent le sexe en général. La femme indonésienne idéale se devant de rester vierge jusqu’au mariage puis de servir son mari, au lit comme ailleurs.

Les femmes d’Aceh utilisent des godemichés
« J’ai voulu écrire ce livre de témoignages au sujet des femmes et l’orgasme parce que j’en ai marre de tous ces Indonésiens conservateurs qui accusent les mouvements de femmes de n’être qu’un truc occidental », explique Fitriani Purwanti dans un contexte où les mouvements féministes sont perçus comme des incarnations de la décadence occidentale qui visent à propager ses influences culturelles « corrompues ». C’est pourquoi son livre ne comporte strictement que des témoignages d’Indonésiennes, regroupant un panel varié d’hétérosexuelles, de lesbiennes, de bisexuelles, de transsexuelles et de prostituées. Fitriani Purwanti essaye également de prouver que le plaisir des femmes, quelles que soient les pratiques sexuelles, de la masturbation à l’homosexualité, n’est pas une invention de l’Occident perverti mais existe en Indonésie aussi depuis longtemps. Et de rappeler un scandale lesbien à la cour de Java-Centre au début du 20ème siècle ou l’utilisation traditionnel de godemichés par les femmes d’Aceh depuis le 19ème siècle. Les conservateurs ne peuvent donc pas incriminer la liberté sexuelle des femmes comme une émanation du Satan occidental.

Selon des chiffres publiés en 2008 par Asia Pacific Sexual Health and Overall Wellness, 77% des Indonésiennes ne sont pas satisfaites de leur vie sexuelle. Une enquête de l’entreprise pharmaceutique Pfizer était arrivée au même pourcentage en 2009 (cf. La Gazette de Bali n° 56 – janvier 2010). Des chiffres qui sont cependant tout à fait en phase avec la moyenne mondiale qui établit que seulement 25% des femmes arrivent à l’orgasme pendant un rapport sexuel. « Tout d’abord, j’aime avoir des orgasmes, clame Fitriani Purwanti. Mais apparemment il n’y a pas beaucoup de femmes qui ont cette chance et soient capables d’expérimenter le plaisir sexuel. Tout cela, c’est uniquement de la discrimination. Que les femmes doivent rester de gentilles filles jusqu’à leur nuit de noces. Gentilles filles, ça veut dire que vous ne parlez pas de sexe, que vous ne savez rien du tout sur le sexe. »

Quant à l’excision du clitoris, l’auteure affirme qu’elle n’apporte aucun bénéfice sanitaire et qu’elle n’est pratiquée que pour atrophier la sexualité féminine. « L’idéologie derrière tout cela, c’est la pureté, que la femme ne soit pas dévergondée, qu’elle ne soit pas trop sauvage au lit. C’est la raison derrière. Il n’y a rien de scientifique à ce sujet », poursuit-elle. Dans ce climat coincé et répressif, Fitriani Purwanti affiche quand même un certain optimisme au sujet de l’émancipation de ses compatriotes et contemporaines. Mais pour un pays aussi peuplé, son audience est encore loin d’être importante. Le livre est paru en bahasa indonesia d’abord mais c’est la version en anglais qui a attiré le plus de presse car les articles en indonésien sur ses recherches ne sont pas légion. Et ils ne s’étalent pas en détails très précis sur le contenu des témoignages des interviewées. Il est donc plus facile de lire en anglais sur ses recherches. Comme dans Vice Magazine par exemple, qui s’était déjà intéressé à la photographe fétichiste/BDSM indonésienne Wulan Mei Lina (cf. La Gazette de Bali n°103 – décembre 2013). Le livre a un site Internet dédié. Mais pendant tout le temps où nous avons effectué des recherches sur Fitriani Purwanti, il est resté obstinément inaccessible…

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