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Prison de Cipinang : des barreaux au barreau

C’est un privilège rare, en tant que journaliste étranger, de pouvoir pénétrer l’enceinte d’une prison indonésienne. Par la voie légale s’entend. C’est pourtant celle que j’ai choisie de suivre. Il faut alors faire preuve d’une certaine patience, voire d’opiniâtreté, l’efficacité de l’administration indonésienne n’étant plus à démontrer. L’administration pénitentiaire n’échappe pas à la règle. Le contraire eut certes été étonnant. Quelques fax, coups de téléphones, relances et visites de courtoisie plus tard, j’ai en ma possession le sésame, l’autorisation d’entrer dans la plus célèbre et la plus moderne des prisons indonésiennes, sous la forme d’une lettre officielle.
J’allais oublier : le processus a nécessité quelques enveloppes également. Et pas seulement pour y déposer ladite lettre officielle. Inutile d’imaginer pouvoir parvenir à vos fins sans l’aide de ces enveloppes. Quelques centaines de milliers de Rupiahs au total, répartis entre les décisionnaires. A ce propos, je suis toujours incroyablement surpris par la dextérité avec laquelle ces fonctionnaires ne demandent officiellement rien, mais vous font comprendre qu’aucune suite ne sera donnée à votre demande si effectivement vous ne leur donnez officieusement rien. Peut-être est-ce dû à mon manque d’expérience en la matière. Mais corrompu, c’est un métier. Quoi qu’il en soit, ce vendredi soir, une centaine de prisonniers sont réunis dans une grande salle, celle où ils suivent deux fois par semaine un cursus universitaire en droit. Pendant deux fois quatre heures, chaque vendredi et samedi, ils découvrent la loi indonésienne, celle-là même qui les a poussés en prison.

Sihol Manullang purge une peine de six ans pour… corruption. Il est à l’origine de cette louable initiative soutenue par l’Alliance Nationale pour les Prisonniers en Indonésie (NAPI). « Tout d’abord nous avons besoin d’activités positives à l’intérieur de la prison, explique ce petit homme sympathique et cultivé. Et beaucoup d’entre nous ont aussi besoin d’éducation. Souvent les prisonniers sont intéressés par le droit. Parce que la majorité des condamnés sont des victimes de la loi. Nous sommes souvent innocents et condamnés à la place des vrais coupables qui eux sont puissants. Grâce à ce programme, beaucoup veulent devenir avocats et se battent ainsi pour les droits des prisonniers ». Sihol s’appuie sur une étude américaine montrant que le taux de récidive d’un ancien prisonnier baisse considérablement quand son niveau d’éducation s’élève. D’après cette étude, si 61% des prisonniers sans éducation supérieure récidivent, ce chiffre descend à 13 % pour ceux ayant reçu une éducation de niveau lycée et à 0 % pour ceux ayant suivi un cursus universitaire.

Au cours de l’heure passée à échanger avec lui, et bien qu’un employé de la prison soit resté avec nous en permanence, Sihol fait usage de son téléphone portable en toute quiétude. Une autre particularité du milieu carcéral local. Un autre condamné, qui attend la peine de mort depuis dix ans pour un crime commis aux Etats-Unis, ne cache pas sa préférence pour une peine purgée en Indonésie. « La vie est finalement assez simple ici, affirme t-il dans un grand sourire. Vous pouvez plus ou moins obtenir tout ce que vous voulez, comme internet ou la télévision. Vous n’avez ensuite qu’à demander l’addition à la fin du mois ».

Fin de la récréation. Hotlan Natujupulu vient d’arriver. Le Doyen de l’Université de droit Bung Karno à Jakarta a accepté de relever le défi de cet enseignement pas comme les autres. Il ne le regrette pas. « Ces étudiants sont fantastiques, raconte t-il. Leur attention est extraordinaire. A chaque cours plus de 80% des inscrits sont présents. Ils vont devenir les plus grands connaisseurs de la loi indonésienne et surtout auront une bien meilleure crédibilité. Ils auront déjà vécu de l’intérieur le processus de la justice et de la loi dans leurs propres histoires au tribunal et en prison. Ils comprennent donc plus facilement l’enseignement qu’on leur donne et pourront l’appliquer aussi de manière plus efficace dans le futur ». Monsieur le Doyen reconnaît donc un problème d’efficacité dans le droit indonésien. L’honneur est sauf.
Reste que l’enseignement n’est pas gratuit. Pour espérer devenir d’éminents juristes, les étudiants prisonniers doivent en effet débourser 1 750 000 Rupiahs pour les frais d’inscription, ainsi que
350 000 Rupiahs par mois pendant les trente-deux mois du cursus. Une somme hors de portée de la très grande majorité de la population carcérale du pays. Peu de surprises donc à retrouver dans la salle de cours une majorité de condamnés pour cause de… corruption. Certains d’entre eux sont même très connus. Citons l’ancien Président de la plus grande banque indonésienne, de nombreux anciens responsables d’admini-stration ou encore Pollycarpus, condamné pour l’assassinat du militant des Droits de l’Homme Munir.

L’Alliance Nationale pour les Prisonniers en Indonésie est désormais à la recherche de soutiens financiers, sponsors et autres bourses d’études afin de développer et élargir cette opportunité à davantage de volontaires. Mais déjà deux autres prisons, Salemba et Tangerang, ont lancé le même cursus depuis quelques semaines. Une chose est sûre : les futurs juristes indonésiens auront une grande expérience du milieu carcéral.

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