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LA PRESIDENTIELLE INDONESIENNE ACCUEILLE LES REFUGIES ROHINGYAS

La nouvelle crise humanitaire qui vient d’éclater dans l’état de Rakhine au Myanmar avec ce qui apparait comme un nettoyage ethnique des Rohingyas, peut-être même un génocide, a permis à l’Indonésie de se positionner sur le dossier d’une façon bien plus pertinente que lors de la dernière crise des boat people en 2015. A l’époque, alors que des milliers de Rohingyas fuyant les violences de l’armée au Myanmar venaient s’échouer sur les côtes indonésiennes (cf. La Gazette de Bali n° -2015), le cafouillage indonésien avait été intégral, laissant à l’administration Jokowi tout le poids d’un échec humanitaire et diplomatique à l’international tout comme sur la scène domestique. Cette fois, la réaction a été rapide et largement médiatisée et toutes les composantes de la société, qu’elles soient politiques, sociales, ou bien sûr religieuses ont parlé d’une seule voix de cette nouvelle agression contre des frères musulmans. Les ambitions d’influence politique de l’Archipel, qui vont de concert avec son poids économique grandissant à l’échelle régionale, mais aussi mondiale, ne sauraient supporter un nouveau ratage sur ce dossier primordial également au niveau national. En effet, la reconquête de l’électorat musulman par Jokowi en vue des prochaines présidentielles de 2019 dépend d’initiatives de cette sorte.

La cause palestinienne est une autre cause soutenue sans faille par les différentes administrations indonésiennes qui se sont succédé ces dernières années. Et malgré le fait que l’Indonésie n’a guère de poids au Moyen-Orient, malheureusement serait-on tenté de dire, il est certain que l’Archipel n’a d’autre possibilité diplomatique que d’essayer de peser sur ce dossier en vertu de sa position de pays musulman « le plus peuplé au monde ». En cela, elle ne fait que son devoir moral mais n’en tire pas de grands bénéfices pour son statut international. Et aucun sur la scène nationale où l’on considère que cela va de soi. Avec l’affaire des Rohingyas, une crise régionale qui implique un autre pays membre de l’ASEAN, qui plus est engagé sur la voie démocratique avec l’aide pratique de l’Indonésie (voir les voyages d’étude fréquents des parlementaires birmans à Jakarta), le gouvernement Jokowi pourrait ainsi asseoir sa position de leader régional et bénéficier d’une cote de sympathie cruciale auprès des électeurs musulmans échaudés par l’affaire de blasphème du gouverneur de Jakarta Basuki Tjahaja Purnama, alias Ahok, fidèle allié politique du président (cf. La Gazette de Bali n° – 2017).

Une quasi affaire nationale en Indonésie
Il faut noter que si les pays arabes et d’autres pays de l’ASEAN accueillent les Rohingyas par centaines de milliers, l’Indonésie en a seulement 22 000 sur son sol (source MetroTV). Ces dernières semaines, l’Indonésie, mais aussi la Turquie de l’« ami » Erdogan, le Maroc, l’Iran et l’Inde ont mené des efforts diplomatiques de premier plan en faveur des 160 000 réfugiés qui ont passé la frontière du Bangladesh depuis le retour de la crise. Le président indonésien a appelé à l’arrêt immédiat des violences et a demandé que le gouvernement du Myanmar fournisse « une protection à tous ses citoyens, y compris les musulmans. » En parallèle, la colère des Indonésiens s’est accrue graduellement avec des manifestations à la fois devant l’ambassade du Myanmar à Jakarta, mais aussi à proximité du temple bouddhique de Borobudur. Des démonstrations de solidarité que le gouvernement, la police et les associations religieuses ont voulu avant tout pacifiques et dénuées de face-à-face cultuel mais où un cocktail molotov a toutefois incendié un étage de la représentation diplomatique birmane dans la capitale indonésienne. Les membres du Front de défense de l’islam (FPI), qui ont eu un rôle de premier plan dans l’incarcération du gouverneur Ahok, faisaient partie des manifestants.

A. Ibrahim Almuttaqi, chef du programme des études de l’ASEAN au centre Habibie de Jakarta, a rappelé dans un entretien à Asian Correspondent le mois dernier qu’« avec Jokowi cherchant à se faire réélire en 2019, il devra faire très attention à ne pas perdre le vote musulman. » Le dossier Rohingya peut par conséquent être considéré comme une affaire quasiment nationale en Indonésie. La ministre des Affaires étrangères Retno Marsudi s’est d’ailleurs envolée pour Rangoon dès les premiers jours de la crise pour y rencontrer Aung Saan Su Kyi mais aussi le très puissant chef des armées du pays, le général Min Aung Hlaing, dont les hommes sont à l’origine des exactions endurées par les Rohingyas. La ministre indonésienne s’est ensuite dirigée vers Dacca où elle a négocié avec le gouvernement du Bangladesh l’acheminement de l’aide de Jakarta pour les réfugiés. Une aide qui s’organise depuis un peu plus d’un an maintenant, grâce aussi aux associations comme le Croissant Rouge indonésien par exemple, et qui se matérialise sous la forme de nourriture, de médicament et de programmes éducatifs pour les réfugiés rohingyas. L’Indonésie, qui se voit en nouveau poids-lourd mondial, a d’ailleurs formalisé ses tout premiers programmes d’aide internationale récemment avec une allocation budgétaire de 75 millions de dollars.

Que de « l’image », selon Prabowo Subianto
Avec son allié politique Ahok en prison deux ans pour blasphème et le camouflet encaissé dans les dernières élections au poste de gouverneur de la capitale qui ont vu Anies Baswedan triompher avec le soutien du vote musulman, Jokowi n’a d’autre choix que de partir à la reconquête de cet électorat. Des votants qui lui échappent d’autant plus encore depuis la campagne nationale récente, en faveur de la pluralité des composantes du pays et des principes de la doctrine nationale de la Pancasila, mise en place pour tourner la page des élections les plus clivantes de l’histoire du pays. L’affaire des Rohingyas lui en donne la possibilité mais certains s’interrogent néanmoins sur les chances de succès de cette initiative qui apparait à double tranchant et qui contient de nombreux écueils. En effet, le premier étant l’attitude historique de l’Indonésie elle-même, qui a toujours rejeté farouchement toute ingérence étrangère dans ses affaires intérieures. Les crises humanitaires passées du Timor Timur, de la Papua, ou encore d’Aceh sont là pour en témoigner.

Le président Jokowi a néanmoins réaffirmé récemment que l’Indonésie ne resterait pas muette sur les grands dossiers internationaux affectant les musulmans. Son principal opposant politique, Prabowo Subianto, n’a pas manqué de le brocarder sur le dossier rohingya, affirmant qu’il ne cherchait là qu’un bénéfice d’image. Et confirmant ainsi de fait l’importance de ce dossier dans l’optique des prochaines présidentielles. Attendre de l’administration Jokowi qu’elle soit très incisive dans la crise Rohingya, outre le problème culturel précité que cela pose, pourrait aussi faire échouer l’acheminement de l’aide humanitaire préparée par les associations religieuses, dont la quantité, dixit Prabowo, reste bien supérieure à celle très médiatisée du gouvernement. Et enfin créer des tensions avec l’actuelle présidence des Philippines au sein de l’ASEAN qui, il est vrai, n’a montré aucun leadership dans le dossier rohingya. L’année de ses 50 ans, l’association des pays du Sud-Est asiatique est donc mise à rude épreuve et pour qu’elle évolue enfin, il lui faudrait peut-être saisir l’opportunité de cette crise humanitaire majeure pour que le fameux principe de non-ingérence qui prévaut entre ses membres disparaisse.

Le président Jokowi est bien sûr parfaitement conscient de tous ses enjeux et joue une partie serrée dans laquelle il devra prouver que les actions entreprises sur la crise des Rohingyas n’étaient pas que de simples gesticulations. S’il réussit, il aura confirmé le poids politique de son pays dans l’ASEAN et reconquit l’électorat musulman à domicile. S’il échoue, il perdra alors les deux et son avenir politique sera sans doute très compromis, d’autant que les objectifs économiques qu’il s’était fixés pendant son terme, notamment sur la croissance et sur les investissements, n’ont pas été atteints, en tout cas pas à la hauteur de ses promesses.

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