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Présendentielle : pour l’instant, c’est Joko-Wi, Prabowo-Non

Le mois dernier a bien sûr été dominé par la campagne présidentielle, l’occasion pour nous de passer en revue un certain nombre d’infos pour cette page média. L’impression générale de cette présidentielle 2014 – comme les précédentes depuis que les Indonésiens élisent eux-mêmes leurs députés et chefs d’Etat – laisse un sentiment contradictoire. D’un côté, et surtout pour ceux d’entre nous qui ont connu l’Indonésie de Suharto, on ne peut que s’émerveiller de l’avancée démocratique en seulement 16 ans, de la liberté d’expression, de l’ancrage inéluctable des principes démocratiques qui semblent désormais aussi solides que le roc. Mais d’un autre côté, difficile de se satisfaire du manque de débat d’idées, de l’absence fondamentale de positionnement politique entre les candidats et de cette espèce de culture de la politesse si chère à nos hôtes qui semble malheureusement préjudiciable à l’expression d’opinions et donc finalement à la démocratie elle-même (cf. La Gazette de Bali n°87 – août 2012 et n°94 – mars 2013).

Le premier débat télévisé qui a opposé les deux tickets présidentiels, le n°1 Prabowo-Hatta face au n°2 Jokowi-Kalla le 9 juin dernier, fut bien symptomatique de cette démocratie « à l’indonésienne » où les passions restent toujours contenues. Pourtant, avec cette candidature de Prabowo, personnage très émotionnel et haut en couleur, ancien gendre de Suharto, ancien chef des forces spéciales soupçonné de l’enlèvement et de la disparition d’activistes en 1998, il y avait bien évidemment moyen de « réchauffer » un peu le débat. Il n’en fut rien. Pourtant la question qui fâche a bien été posée. Jusuf Kalla a bien demandé à Prabowo de réaffirmer ses principes sur le respect des Droits de l’Homme, sur le respect des droits de chaque Indonésien, en sous-entendant que cela était nécessaire vu son passé musclé.

Le ton de l’ancien chef des Kopassus est quand même monté d’une octave pour la réponse. Mais elle fut sans grand intérêt somme toute, puisque mille fois entendue depuis que ces faits lui sont reprochés. Des faits pour lesquels seulement quelques subalternes ont été inquiétés et qui n’ont jamais entravé la croissance en popularité du parti qu’il a fondé : Gerindra. Jokowi est lui resté sagement en dehors de cette molle passe d’armes qui fut pourtant citée en exemple par tous les journaux et télés du pays comme le moment fort du premier débat télévisé. En substance, Prabowo a rétorqué à Jusuf Kalla qu’il avait tout loisir de demander des comptes à son supérieur de l’époque. Le supérieur que Prabowo mentionne n’est autre le général Wiranto, candidat à la présidentielle en 2009 avec en co-listier… Jusuf Kalla, et actuel soutien avec son parti Hanura du ticket Jokowi-Kalla. Quant au silence de Jokowi sur ce thème, il tient peut-être du fait que la patronne de son parti le PDI-P n’est autre que Megawati, elle-même candidate en 2009 avec… Prabowo en co-listier. Difficile de donner des leçons d’éthique dans ces conditions ! La « revolusi mental » souhaitée par le candidat Jokowi, n’est donc encore qu’une notion bien abstraite, à commencer par lui-même…

Prabowo le « psychopathe »

C’est un des membres de l’équipe de campagne de Jokowi-Kalla qui l’a dit. Hendroprioyono, ancien responsable des services secrets indonésiens (BIN) a affirmé dans Gatra qu’en sa qualité de militaire ayant eu accès au dossier Prabowo lors de son « limogeage », ce dernier aurait été défini par les médecins militaires comme un
« grade 4 », c’est-à-dire « psychopathe et un peu fou », a-t-il détaillé. Instantanément, les membres de l’équipe de campagne de Prabowo-Hatta ont rétorqué en rappelant que la commission électorale l’avait jugé apte à se présenter à l’élection et qu’il avait passé la visite médicale obligatoire. Ces affirmations sont diffamatoires et vont faire l’objet d’une plainte en justice, ont-ils poursuivi. Rappelons qu’Hendropriyono était lui en poste au moment de l’affaire Munir, l’activiste des Droits de l’Homme assassiné par empoissonnement lors d’un vol Jakarta-Amsterdam en 2004. Un crime dont les auteurs intellectuels, soupçonnés d’appartenir aux services secrets alors sous sa direction, sont impunis jusqu’à ce jour.

Chaque camp a ses indésirables

Mais le sont-ils vraiment indésirables? Puisqu’on dirait vraiment qu’ils sont toujours bienvenus. Comme l’a rappelé le Jakarta Post, hormis Hendropriyono, le team de campagne du clan Jokowi-Kalla inclut également Rokhmin Dahuri, ancien ministre de la Mer condamné pour corruption. Il y a aussi Viktor Bungtilu Laiskodat, ancien directeur de la société Maritim Timur Jaya, accusé par un de ses employés, Susandi Aan Sukatma, de violences en réunion. Plaidant la diffamation, il n’a jamais été condamné, par contre, l’employé en question a été accusé de détention de stupéfiant après que la police venue l’interroger pour cette affaire eut découvert « accidentellement » une pilule d’ecstasy dans sa poche. Le clan Prabowo-Hatta n’est pas en reste bien sûr. On note la présence du député Golkar Setya Novanto, impliqué dans la corruption des fonds alloués aux jeux nationaux (PON) et celle de Kivlan Zen (PPP), un témoin-clé dans l’enlèvement des activistes pro-démocratie de 1998 qui a toujours refusé de témoigner. C’est donc « business as usual » pour les deux candidats, a rappelé l’analyste Indria Samego, de l’Institut indonésien des sciences (LIPI).

C’est toujours le plus « kasihan » qui gagne en sympathie !

Dans Inilah.com, Karel Sue !setyo, de l’organisme de sondage POINT estime que les accusations portées contre Prabowo au sujet de l’enlèvement des activistes à la chute de Suharto en 1998 et le fait qu’il ait été alors « démissionné » de son poste militaire ne profitent pas à son adversaire Jokowi. « La sympathie du public peut se manifester en faveur de Prabowo, précise-t-il car les affaires relatives aux Droits de l’Homme sont de nature élitiste et ne sont comprises qu’à partir de la classe moyenne. » Prabowo apparaitrait donc comme la victime d’attaques dont la compréhension dépasserait les capacités intellectuelles du petit peuple, qui voterait majoritairement pour lui car il représente la figure forte et stable héritée de l’ère Suharto. Et puis, comme le rappelle POINT, ces accusations ne sont pas prouvées car elles n’ont jamais été portées devant un tribunal. Kasihan Prabowo !

L’achat des votes hors de contrôle chez les jeunes

Certes, cette affirmation ne concerne pas la présidentielle mais les législatives qui l’on précédé, mais l’achat de vote a été une pratique bien plus répandue cette année que lors des votes précédents a affirmé Demos (Democracy and Human Rights Research Center) dans le Jakarta Post. Le taux de participation plus élevé en serait même la conséquence directe, a expliqué cet organisme indépendant qui note qu’il est passé à 70,99% en 2014, soit +4,12% par rapport à 2009. Demos affirme que les étudiants, les membres de clubs sportifs et d’associations religieuses ont été la cible privilégiée de ces pratiques d’achat des votes. L’ONG établit également que ce sont les jeunes qui sont le plus vulnérables à cette tactique illicite.

Suharto, héros national pour Prabowo

Le candidat Prabowo a promis lors de sa campagne d’élever l’ancien dictateur Suharto au statut de « héros national » s’il était élu. Il s’est également recueilli sur la tombe de son ancien beau-père à Karanganyar, en présence de son ex-femme Siti Hediati, également fonctionnaire du Golkar, le parti fondé par Suharto qui soutient sa candidature. L’ancien activiste Adian Napitupuli a ensuite affirmé dans Merdeka.com : « Si Suharto est un héros, alors qui est le méchant là ? – C’est nous. »

Jokowi, c’est « non » pour le FPI

Le tristement célèbre FPI (Front des défenseurs de l’islam) a déclaré son soutien sans faille au candidat Prabowo, comme la plupart des organisations et partis musulmans du pays. « Je le soutiens de toutes mes forces », a déclaré le responsable à Jogjakarta de cette milice radicale, Bambang Teddy, dans Kompas. Question force, ils savent généralement de quoi ils parlent !

Jokowi ou Prabowo, à chacun ses stars

Attirer les « célebs » est un must dans chaque campagne électorale, affirme The Establishment Post au sujet de la campagne indonésienne. Quelques heures seulement après avoir déposé sa candidature à la commission générale des élections, Prabowo s’est rendu chez le roi du dangdut Rohma Irama, lui-même auto-proclamé candidat dans une phase précédente de la campagne. Le lendemain, fort de ce support fraîchement acquis, il organisait un meeting avec un groupe de musiciens et d’acteurs de premier plan, les têtes connus annonçant tour à tour les raisons de leur soutien au ticket Prabowo-Hatta. Jokowi et Kalla ne sont évidemment pas en reste. Le gouverneur de Jakarta, connu pour être un fan de Metallica, a lui rendu visite au chanteur engagé Iwan Falls. Ce meeting a cependant été suivi d’une controverse. Si le chanteur à textes a bien reconnu avoir reçu Jokowi, il a ensuite affirmé par son management que son choix pour la présidentielle était « du domaine du privé et qu’il souhait rester neutre aux yeux du public. » Sa visite auprès du groupe de rock Slank a elle été couronnée de succès. Les membres du groupe, connus pour leur engagement anti-corruption, l’ont accueilli chaleureusement et ont pris le temps de discuter avec lui de son programme. Slank et d’autres musiciens indonésiens ont ensuite organisé la « Déclaration de la Révolution harmonique pour la Révolution mentale » à Jakarta et lancé la chanson du « Salut à deux doigts » pour soutenir la candidature du ticket numéro 2.

Les investisseurs étrangers préfèrent Jokowi

Selon une enquête de la Deutsche Bank, en cas de victoire du ticket Prabowo-Hatta à la présidentielle indonésienne, seuls 56% des investisseurs étrangers qu’elle a sondés se déclarent prêts à investir en Indonésie. Par contre, si c’est le ticket numéro 2 qui l’emporte, 74% des investisseurs ont affirmé vouloir acheter dans l’Archipel. Selon cette enquête, la présidentielle indonésienne de 2014 est capitale pour le développement du pays et devrait « en définir les contours pour l’avenir selon son résultat » pour 87% des 70 investisseurs sondés.

Nationalisme économique : Jokowi ne veut pas être en reste…

Prabowo est connu pour son ultra-nationalisme, notamment au sujet de l’économie, ce qui explique les résultats de l’enquête de la Deutsche Bank dans le paragraphe précédent. En effet, il se fait fort – et le fait savoir à tout va tant cette musique est douce aux oreilles des Indonésiens, pétris de valeurs nationalistes depuis l’école – de renégocier tous les contrats avec les entreprises étrangères « qui ne profitent pas au peuple indonésien. » Jokowi, ne voulant pas être en reste sur ce dossier, a lui aussi entonné ce couplet du nationalisme économique lors du second débat télévisé. Au sujet de l’ouverture des marchés et des investissements dans l’ASEAN en 2015, il a
dit : « Notre marché domestique ne doit pas être dominé par les étrangers. Et en ce qui concerne les permis, nous faciliterons les investisseurs locaux rapidement. Ceux venus d’ailleurs, on pourra les retenir un peu. » Voilà qui promet pour l’avenir de l’association du sud-est asiatique !

A Bali, on espère des vacances « électorales »

A Bali, où on n’est jamais en reste d’une idée saugrenue et où on voit tout dans le prisme déformé du tourisme, la chambre de Commerce a émis (sérieusement) l’opinion suivante par la voix de son président, Gde Sumarjaya Linggih, dans le Bali Times : « On espère que l’élection présidentielle devienne une attraction de premier plan. Et même plus, si elle arrive à devenir un grand événement, il est même possible que dans cinq ans les touristes viendront à cause de l’élection en train de se dérouler, parce qu’il y a un spectacle vivant et attractif à chaque coin de rue. » Alors, qu’est ce que tu fais pour tes prochaines vacances, toi ? – Bah, moi, je vais à Bali pour la présidentielle mon vieux, tu vois, ça fait cinq ans que j’attends ça avec impatience, ça va être super cool ! – Putain, quel veinard ! Moi, je reste en France pour les européennes, trop les boules…

La voiture nationale bidon de Jokowi

Le candidat Jokowi a démarré sa carrière politique nationale en 2012 lorsqu’étant maire de Solo, il a largement promu la naissance de la voiture indonésienne. A l’époque, il affirmait que les étudiants du lycée technique (SMK) de sa ville de Java-Centre avaient conçu un SUV baptisé Esemka et qu’il fallait absolument soutenir ce projet qui inscrivait enfin le pays comme producteur. Dans un grand élan nationaliste, l’Archipel tout entier s’est enflammé pour cette Esemka qui s’est retrouvée partout à la Une. Puis plus rien. Aujourd’hui, les médias pro-Prabowo affirment que c’était du bidon. A l’époque, la Gazette de Bali a été le seul journal d’Indonésie à l’affirmer (cf. La Gazette de Bali n°81 – février 2012) en expliquant qu’il s’agissait tout simplement d’une Foday chinoise assemblée à Solo. Sur TVOne, un responsable du lycée à avouer que ses étudiants étaient bien incapables d’une telle prouesse et un responsable de la mairie a expliqué que toutes les Esemka utilisées depuis par l’administration étaient en fait des Foday rebadgées…

La télé détient-elle la clé du résultat ?

Si l’issue de la présidentielle indonésienne devait refléter les reportages favorables diffusés par les chaines du pays, alors l’ancien général Prabowo serait certainement élu, peut-on lire dans une analyse de l’agence de presse Reuters. En effet, la majorité des chaines de télé de l’Archipel soutient Prabowo. Aburizal Bakrie, leader du Golkar et soutien de l’ex-militaire contrôle la chaîne d’info TVOne et la chaîne généraliste ANTV. Hary Tanoesoedibjo, un des conseillers de Prabowo possède les chaînes RCTI, MNCTV et Global TV. De l’autre côté, Jokowi ne peut compter que sur le soutien de la chaîne d’info MetroTV, qui appartient à Surya Paloh, président du NasDem, soutien de sa coalition. Si pour l’instant, à l’heure où nous bouclons, Jokowi est toujours en tête de la plupart des sondages, il est indéniable que Prabowo a refait l’essentiel de son retard initial. Alors que l’échéance du 9 juillet approche à grand pas, ces sondages affirment tous qu’une partie importante de l’électorat est encore indécise. Malgré les réglementations en vigueur sur la neutralité des médias, la guerre des télés bat son plein et pourrait jouer un rôle décisif dans ce troisième scrutin présidentiel direct de l’histoire de l’Indonésie démocratique. Alors Joko-wi, Prabowo-non ? Rien n’est joué encore.





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