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PRANOTO : DIFFICILE DE TROUVER DES MODELES QUI POSENT NUS EN PUBLIC

Une fois n’est pas coutume, nous allons parler d’art dans la rubrique « Business » avec une figure de la peinture à Bali, Pranoto Ahmad Raji (64 ans), un artiste javanais installé ici depuis 1974, dont l’épouse Kerry Pendergrast, décédée en 2013, a lancé un concept plutôt inconnu et somme toute sulfureux en Indonésie : celui des séances de dessins de nu. Malgré son importante collection de toiles à vendre, notre propos n’est pas de prouver que la Pranoto’s Art Gallery d’Ubud équivaut à Sotheby’s ou à Drouot mais de montrer qu’ici aussi il est possible de dérouler le fil de sa vie d’artiste en toute sérénité et d’en vivre. Dépositaire de centaine d’œuvres d’autres peintres, professeur de dessin lui-même et organisateur de ces séances bi-hebdomadaires de nu réputées dans toute l’Indonésie, ce maitre au visage serein de vieux sage javanais nous a accordé un entretien détendu et amical dans son antre…

La Gazette de Bali : Comment a démarré la Pranoto’s Art Gallery ?
56PDF 129Pranoto Ahmad Raji : Je suis venu à Bali en 1974, depuis Sragen, à Java Centre, pour poursuivre ma carrière de peintre. J’avais l’habitude d’exposer tous les deux ans environ à Jakarta et cela coûtait relativement cher à organiser d’ici. Alors, avec mon épouse australienne Kerry Pendergrast, elle-même une artiste que j’ai formée, nous avons décidé qu’il serait plus logique d’établir notre propre galerie. Nous avons alors ouvert en 1996, plus en centre-ville d’Ubud, avant de déménager ici depuis. Cette décision a été prise après avoir mûrement réfléchi il y a une vingtaine d’années maintenant. Vous comprenez, nous avions trois enfants et nous avons investi l’argent du ménage, nous ne voulions pas le gaspiller dans un projet qui ne tienne pas la route !

LGdB : C’est donc une entreprise familiale ?
P A R : Tout à fait, et afin d’étoffer les rentrées d’argent, Kerry a eu l’idée d’organiser ces séances de nu avec des modèles, femmes ou hommes, de passage. Cela existait bien évidemment avant, mais de façon informelle, chez l’un ou chez l’autre. Nous avons donc d’une certaine façon institutionnalisé la chose ici à Bali, et d’ailleurs, certains musées ou galeries de Bali ont repris l’idée à leur compte depuis. Ce qui est bien, cela crée une synergie positive pour l’art à Bali.

LGdB : Comment ont démarré ces séances de nu ?
65PDF 129P A P : Kerry et moi avons invité nos amis dès la première année d’ouverture, en 1996, et bien sûr cela a suscité une grande curiosité et l’affluence fut importante au tout début. Malheureusement, il y en avait beaucoup qui venait simplement pour se rincer l’œil alors j’ai dû prendre le contrôle de ces sessions afin d’être sûr que nous n’avions que des peintres dans la salle.

LGdB : Vous avez rendu ces séances de nu professionnelles ?
P A R : Absolument, mais nous n’étions pas non plus dans un système ultra commercial. Je demandais à nos amis participants de payer le montant qu’ils voulaient et je tenais à ce que les modèles soient payés convenablement. Et bien souvent, quand cela n’était pas assez, je complétais le salaire du modèle moi-même. Ou alors, je le payais avec la toile que j’avais réalisée pendant la séance de pause.

LGdB : Le succès a été au rendez-vous instantanément ?
96PDF 129P A R : Non, non, après avoir viré les voyeurs, il a fallu trois ans pour que ça marche bien. Au début, j’ai souvent été obligé de donner les toiles que je réalisais pour payer le modèle… Et puis l’autre problème, c’était de trouver des modèles. Ici, bien qu’on soit à Bali, les temps ont changé depuis l’époque des Balinaises aux seins nus et c’est difficile de trouver des gens qui veuillent bien poser nu en public. En fait, les gens n’étaient pas prêts. Mais aujourd’hui, ça va mieux. Nous respectons bien sûr les modèles mais malgré cela, ce n’est pas toujours facile pour eux.

LGdB : Faites-vous appel à des modèles étrangers ?
P A R : Oui, bien sûr, et aussi pour les participants, nous avons toujours beaucoup d’étrangers qui assistent à ces sessions. Ils viennent avec leurs crayons ou leurs pinceaux. D’ailleurs, nous avons commencé à mettre des annonces dans le Bali Advertiser il y a déjà plusieurs années et nous avons deux séances chaque semaine, les mercredis et samedis.

LGdB : Vos modèles doivent-ils être jolis ?
P A R : Non, non. N’importe qui peut poser à la Pranoto’s Art Gallery. Cela n’est pas important. La peinture, c’est différent de la photographie par exemple. Pour moi, ce qui compte, c’est que le modèle soit relax, prêt, qu’il est envie. Nous proposons en moyenne, environ deux modèles femmes pour un modèle homme.

LGdB : Comment cela se passe une session de nu chez Pranoto ?
P A R : Le modèle se tient dans cette salle au milieu de la galerie et les participants sont disposés tout autour. Il y en a donc qui sont devant, d’autres derrière, sur les côtés… Je n’enseigne pas pendant les séances de nu. Je suis là, je supervise, je peux éventuellement donner quelques conseils à ceux qui en ont besoin, mais je suis là pour peindre moi aussi. Je tiens à ce que ces sessions soient silencieuses. Nous fonctionnons par tranche de 20 minutes avec une minuterie. Puis 20 minutes de repos pendant laquelle j’aime assez jouer un peu de musique avec des amis. Je joue de la flûte comme hobby. Sinon, pendant ces temps d’arrêt, nous en profitons pour faire connaissance, pour plaisanter. Ces interruptions sont nécessaires car 20 minutes de pose, c’est long pour le modèle, même si c’est court pour les peintres !

LGdB : Combien de personnes accueillez-vous à la fois ?
41PDF 129P A R : Jamais plus de 30, ce qui est déjà beaucoup.

LGdB : Quelles sont les conditions pour peindre ou dessiner pendant ces séances ?
P A R : C’est libre, il n’y a pas de carte de membre. Les participants sont très mélangés, il y a des locaux, des étrangers, même des touristes de passage…

LGdB : Combien ça coûte ?
P A R : 30 000 roupies la session de trois heures. Nous commençons le matin à 10h pour finir à 13h. Les modèles sont payés correctement plus un dessin.

LGdB : Votre production personnelle de nus doit être impressionnante ?
P A R : Oui, il y en a des milliers !

LGdB : Vous les exposez ?
P A R : Bien sûr, je viens d’avoir une expo intitulée « Flowing Hues » à Bali Bohemia en décembre dernier, à Nyu Kuning. Sinon, je les ai déjà exposés à Perth en 2012, mais aussi à Jakarta en 2003. Et dans bien d’autres endroits…

LGdB : Cela ne pose pas de problème ?
P A R : Non, non, on peut dire qu’à Bali, Jakarta et Jogjakarta, les expos de nus passent, pas de problème.

LGdB : Vous êtes le maitre du nu indonésien. Quels sont vos goûts en peinture ?
P A R : Eh bien, je dois dire que j’aime l’abstrait. Mais ce qui compte pour moi, c’est le désir, il faut que quelque chose me plaise, c’est tout. Je conceptualise peu. Je suis autodidacte, je donne des coups de crayons et voilà. J’aime bien peindre des silhouettes humaines certes mais je ne néglige pas l’abstrait ni même les paysages. Les musées d’ici ont tous pris mes œuvres pour leurs propres galeries. Je suis un admirateur de Sunaryo, de Widayat, de Nashar et aussi de Gustav Klimt.

LGdB : D’où vous vient ce goût de la peinture ?
P A R : Je viens d’un village de Java où on travaillait le batik. A l’âge de 14 ans, à Solo, en plus de l’école, j’ai commencé à travailler dans une fabrique de batik. Puis, petit à petit, je suis devenu designer pour différentes fabriques. Mais comme je voulais devenir peintre, j’ai finalement migré vers Bali et je suis devenu peintre à plein temps depuis 1974. D’une certaine façon, j’ai réussi à survivre de mon art. Je ne suis pas devenu riche, mais tout va bien.

LGdB : Pour finir, que pensez-vous de la peinture à Bali ? On dirait qu’il n’y a plus que de la peinture au mètre pour décorer les villas… Qu’est-ce cela vous inspire ?
P A R : Que du positif. Car ce qui compte, c’est que les peintres soient encore là. Et ils sont encore nombreux. C’est un signe rassurant. Pour moi, cette notion de business de peinture décorative n’est pas un problème. Ca encourage les vocations, ça offre des débouchés pour les écoles d’art de Singaraja et Denpasar, ça provoque une émulsion, ça stimule le marché. Disons que sur 1000 peintres, il y en aura 1 ou 2 qui vont sortir du lot, alors que s’il n’y a plus personne qui veut devenir peintre, c’en est fini, c’est mort… De cette façon, les diplômés d’écoles d’art vont porter le flambeau demain et c’est tant mieux !

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