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Philippe Augier : Miguel Covarrubias, le peintre “pacifique”

La Gazette de Bali : Pourquoi la conférence de l’APEC est-elle l’opportunité choisie pour monter cette expo Covarrubias ?
Philippe Augier : Pour répondre à votre question, il faut que je vous dise d’abord que c’est le peintre qui est au cœur du concept du musée Pasifika, à cheval entre l’Asie et le Pacifique. Nous avons choisi une de ses œuvres en couverture du catalogue du musée et ce sont aussi des lithographies de ce peintre mexicain qui ornent l’entrée du musée. En effet, en 1939, il a participé à la première exposition sur le Pacifique qui s’est tenu à San Francisco. A cette occasion, cet homme bourré de talents et qui avait beaucoup voyagé dans le Pacifique a peint six panneaux muraux qui représentent les pays du Pacifique à travers des thèmes divers (économique, ethnographique, culturel, social, architectural et biologique). C’est donc probablement le seul artiste de ce niveau qui soit aussi proche de ces thèmes sur le Pacifique. Alors, bien sûr, quand on a appris que la conférence de l’APEC se tenait à Bali, Covarrubias s’est imposé de lui-même. Ce sont des milliers de délégués qui viendront de ces 21 pays qui bordent cet océan, dont le Mexique d’ailleurs, et qui pourront admirer l’exposition que nous avons montée.

LGdB : Quelle est la contribution de Covarrubias à Bali ?
P A : Très importante, pour trois raisons. La première, c’est qu’il travaillait à New York comme caricaturiste entre autres pour le magazine Vanity Fair, il faisait partie de la jet set américaine. Il a été tellement enchanté par son voyage de noces en 1930 à Bali que de nombreux happy few américains lui ont emboité le pas dont Charlie Chaplin. C’est ainsi qu’est née la « balimania » et c’est lui qui en est à l’origine, pas seulement grâce aux 44 œuvres qu’il a exposées sur Bali à la Valentine Gallery de New York en 1932 ou sa célèbre couverture de Vanity Fair en 1938 qu’il a réalisée sur Bali. Secondo, même si son œuvre picturale n’est pas très importante en volume, il a rapidement été reconnu comme un contributeur majeur à la peinture balinaise au point que son œuvre la plus connue fait partie de la collection Sukarno. Enfin, il a publié un livre en 1937 qui fait encore référence, « Island of Bali », un livre sur la culture balinaise qu’on trouve toujours dans toutes les librairies internationales de Bali.

LGdB : Covarrubias est-il un artiste qui compte auprès des collectionneurs intéressés par la peinture produite à Bali ?
P A : Ses rares peintures sont devenues très vite recherchées par les grands collectionneurs sur New York, après la parution de son ouvrage et sa couverture de Vanity Fair. Mais c’est en 1940 qu’il est véritablement consacré comme artiste peintre après la commande des 6 grands muraux pour l’expo de San Francisco. Sa disparition à l’âge de 53 ans en 1957 l’a fait tomber dans l’oubli, peut-être en raison du trop faible nombre de tableaux sur le marché et malgré la biographie que lui consacre Adriana Williams.
En 1998, un début d’intérêt pour les peintres « indo-européens » a relancé la recherche de toutes ses œuvres sur Bali. La parution du livre « Covarrubias à Bali » en 2005 a accéléré la demande chez les grands collectionneurs. Ensuite, la couverture du catalogue du musée Pasifika en 2009 et l’exposition permanente dans trois musées de Bali en font le peintre incontournable à posséder dans une collection sur le thème des artistes étrangers en Indonésie. Pour finir, l’émergence du Mexique comme grande puissance économique, et de sa classe supérieure, contribuent à la recherche de ses œuvres emblématiques. Espérons que cette exposition contribuera à lui rendre une plus large visibilité dans le public des amateurs, égale à l’importance que lui donnent déjà les collectionneurs avisés.

LGdB : Qui sont ses inspirateurs ? Qui a-t-il influencé dans son art ?
P A : Certainement son maitre et ami Diego Rivera, sur le style, mais aussi sur la forme, le muralisme mexicain. Il s’est aussi enrichi au contact de Walter Spies en 1936. L’exposition sera d’ailleurs très fière de présenter des œuvres de ces deux artistes ainsi que des photos inédites.

LGdB : Ces Balinaises longilignes et callipyges, au demeurant fort jolies, qu’on verrait plutôt déambuler le long du Nil, sont finalement plus fantasmées que réelles ? Doit-on voir là le fait que Covarrubias n’était pas un « vrai » ethnographe mais plutôt un amateur passionné ?
P A : Oui, c’est son style, certes un peu caricaturiste ou idéaliste sur certaine compositions mais il a réussi à l’imposer avec un trait reconnaissable immédiatement par tous les amateurs, en particulier ses visages très allongés presque africains et ses formes féminines très généreuses, plus mexicaines ou tahitiennes que balinaises. C’était un touche-à-tout de génie qui a beaucoup voyagé et qui avait des amis dans le monde entier. Rappelons qu’il n’a étudié que le dessin mais qu’il a associé son nom à des livres à caractère ethnologique, qu’il a fait une importante contribution à l’archéologie au Mexique et qu’il a même été directeur de ballet ! C’était un homme de talent, en rien universitaire, mais à la croisée de tous les chemins.

LGdB : A-t-il été difficile de monter l’exposition ? Qui sont les propriétaires des principales œuvres ?
P A : Il a fallu plus de 18 mois pour monter l’expo ; le plus long, c’est de rechercher les pièces et surtout d’obtenir l’accord de leurs propriétaires. Le gouvernement mexicain a facilité la tâche par l’apport de pièces et de documents, mais compliqué les prises de décision sur le choix des œuvres et la muséologie. Les pièces exposées viendront de musées d’état (Mexique et Indonésie) ainsi que de grands collectionneurs indonésiens dont la collection Sukarno.

LGdB : Quel est le montage financier d’une exposition de cette envergure ? Avez-vous reçu une aide du gouvernement indonésien ?
P A : C’est périlleux car il n’y a aucun retour économique classique à attendre mis à part la vente de billets et la vente du catalogue de l’exposition… Il reste cependant l’assistance institutionnelle avec des participations en nature du ministère du Tourisme, de Garuda, d’une compagnie d’assurances et de l’ambassade du Mexique. Il restera un déficit certain à la charge du musée.

LGdB : Dans quelles proportions une expo de ce genre peut-elle faire monter la côte de ce peintre ?
P A : La côte de ce peintre a déjà atteint des records dans les ventes « Amérique latine » à New York. Bien que les acheteurs soient asiatiques, il y a aussi un intérêt grandissant des collectionneurs mexicains et américains pour récupérer cette partie de leur patrimoine culturel.

LGdB : Pour conclure et hors considération mercantile, est-il plutôt apprécié ou plutôt ignoré dans cette République d’Indonésie si nationaliste ? Et à Bali ?
P A : Il a été certainement très longtemps sous-estimé pour son travail sur le Pacifique. Certes la présence d’une de ses 5 plus grandes œuvres dans la collection Sukarno montre la place qu’il a eue à la fin des années cinquante parmi les grands artistes
« indo-européens » ( Walter Spies, Adrien-Jean Le Mayeur, Willem Hoffker, Rudolf Bonnet, Théo Meier… ) Encore une fois, sa disparition prématurée à 53 ans, et le peu d’œuvres importantes disponibles sur le marché l’ont un peu marginalisé comme Locateli ou Sayers. Il est très apprécié par les autorités indonésiennes parce qu’il contribue à présenter internationalement la culture balinaise et à donner à Bali et plus largement à l’Indonésie sa place dans cette grande région Asie-Pacifique.

Museum Pasifika BTDC area, BLOK P Nusa Dua – Bali
Tél. : 0361 774 935, www.museum-pasifika.com

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