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Pénurie d’alcool : L’Indonésie entre morale et raison

«Nous informons notre aimable clientèle que certains alcools ne sont pas disponibles pour le moment. Nous sommes désolés pour le désagrément». C’est en substance le message que certains hôtels 5 étoiles de Jakarta ont commencé à installer sur les tables de leurs différents bars et lounges. A quelques jours de Noël et du Réveillon, la période était pour le moins inappropriée. Les fêtes de fin d’année sont traditionnellement le pic de la saison touristique en Indonésie. La capitale et Bali sont de fait les deux principales victimes de la politique gouvernementale.

Récemment, l’Indonésie a en effet décidé de s’attaquer à l’immense, très organisé et très célèbre commerce illégal d’alcool. Avec une efficacité dont on ne l’imaginait pas capable. Cela a rendu l’approvisionnement en vins et spiritueux très difficile et très cher. Cette efficacité démontre par ailleurs que l’importation illégale, le marché noir d’alcool et la corruption des douanes étaient très largement tolérés jusqu’alors, et que l’Indonésie, quand elle en a la volonté, sait être redoutable dans sa lutte contre la corruption. Le résultat de ces manœuvres fait de la compagnie PT Sarinah, unique importateur autorisé de boissons alcoolisées, à peu de choses près le seul pourvoyeur d’alcool du pays. Mais l’entreprise est elle-même soumise à des quotas, ceux-ci étant plus de quatre fois inférieurs à la demande habituelle. Ketut Arnaya, Président Directeur Général de Sarinah, essaye ainsi de négocier avec le gouvernement indonésien l’augmentation des quotas, mais également la diminution des taxes d’importation. «Une bouteille de spiritueux est taxée entre 300 et 400% de son prix d’origine, explique t-il. C’est le double de ce qui se pratique dans tous les autres pays de la région».
Les conséquences de cette politique sur l’industrie touristique indonésienne, qui rapportait encore près de 5,5 milliards de dollars au pays en 2007, sont évidemment désastreuses. «Plusieurs agences de voyage européennes ont déjà menacé d’annuler leurs prochains séjours si nous ne pouvons pas assurer un approvisionnement suffisant en vin à leurs clients» raconte Yanti Sukamdani, présidente de l’Association Indonésienne des Hôtels et Restaurants. «Garuda Indonesia s’est aussi plaint de passagers annulant leur vol parce qu’ils savent que l’alcool n’est pas disponible» ajoute-t-elle. A Jakarta, plusieurs établissements parmi les plus reconnus et les plus fréquentés appréhendaient sérieusement une rupture de stock pour les festivités de fin d’année. D’autres, à l’image de ce bar du quartier de Kemang très fréquenté par les expatriés, explique que «d’habitude, pour le 31 décembre, on propose une formule buffet plus vin et bière à volonté. Mais cette année nous n’avons pu proposer que la bière à volonté. L’approvisionnement en vin était trop incertain». Dans un autre pub situé à Senayan, le propriétaire hollandais explique que désormais «un client qui souhaite acheter une bouteille de spiritueux doit débourser au moins un million de Rupiahs. Et comme ces bouteilles sont très difficiles à trouver et très chères, je demande à mes amis qui voyagent de m’acheter des bouteilles dans les magasins «duty free» des aéroports internationaux».

Le dilemme de l’Etat indonésien

Devant cette situation rocambolesque, beaucoup questionnent les réelles motivations du gouvernement. La lutte contre la corruption, l’importation illicite et le marché noir ? Certainement, mais dès lors, pourquoi seulement maintenant alors que chacun sait que ce commerce parallèle a prospéré pendant de longues années au vu et su de tous. On ne peut, de la même manière, penser que l’Indonésie veuille sciemment se passer des revenus du tourisme et de la vente d’alcool. Car, comme le rappelle Yanti Sukamdani, «si le gouvernement diminuait les taxes sur l’alcool et augmentait les quotas, il y aurait moins de boissons issues de la contrebande, donc plus de légalité, plus de touristes, plus de consommation et plus de revenus issus des taxes versés à l’Etat». Une partie de la vérité est certainement à chercher dans l’identité supposée des consommateurs. Les touristes évidemment, les hommes d’affaires expatriés vivant à Jakarta et la forte communauté étrangère installée à Bali aussi. Mais le manager d’un hôtel 5 étoiles d’expliquer que dans le bar à vin de son établissement «80% de la clientèle est indonésienne. Ce sont en majorité les locaux qui sont prêts à dépenser de l’argent pour l’alcool et les bons vins».
Là se situe peut-être le cœur du sujet. Dans le pays à majorité musulmane le plus peuplé de la planète, ceci pose problème. Certaines personnalités du gouvernement admettent d’ailleurs qu’ils veulent réduire et décourager la consommation d’alcool, qu’ils craignent que les Indonésiens boivent de plus en plus, et que cela nécessite des règles plus strictes. Les «émissions criminelles» de la télé ont forcé le trait ces derniers mois sur les problèmes liés à la consommation d’alcool dans les villages. Des boissons frelatées et dangereuses il est vrai, car clandestines, prétexte idéal pour les stigmatiser comme on le fait pour les narcotiques. Mais pour beaucoup d’Indonésiens, cela n’a pas de sens. Ici, comme dans une majorité de pays, l’alcool est davantage apprécié en tant qu’agréable compagnon de repas ou de discussion entre amis qu’en véritable moyen de débauche.
L’Indonésie n’est pas un état islamique mais près de 90% de sa population est musulmane. Ce qui pourrait expliquer le manque de clarté des explications officielles au problème de l’alcool. Le débat actuel, en pleine année électorale, oppose finalement la raison économique à certaines des plus profondes valeurs religieuses et sociales du pays. Il est donc à parier qu’il est loin d’être achevé.

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