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PEINE DE MORT, ENFIN DES SIGNES D’ASSOUPLISSEMENT ?

La république d’Indonésie a encore bien du mal à démontrer en ce début de 21ème siècle qu’elle possède une éthique en accord avec les standards internationaux en vigueur et le désir de reconnaissance globale qui la tenaille. Sur la scène politique nationale, l’Archipel se projette en effet souvent en superpuissance de demain, à la fois par sa taille et par son poids économique. Mais un pays qui aspire à une certaine prédominance internationale peut-il en même temps continuer de négliger les droits élémentaires de sa population ? Pour y arriver, l’Indonésie devra alors réviser certains de ses mauvais réflexes, comme ceux concernant les Droits de l’Homme où elle se singularise à intervalles réguliers par une certaine désinvolture. Le passé de violence irrésolue du pays ne plaide pas en faveur de cette mutation. Le déni des horreurs perpétrées non plus. Pourtant, sur le dossier de la peine de mort qui a sérieusement entaché le début du terme présidentiel de Jokowi et renvoyé le pays au rang de sombre dictature d’un autre temps, une éclaircie semble peut-être apparaitre à l’horizon. Explication.

En effet, le parlement devrait voter cette année un amendement sur la peine capitale qui permettra au condamné d’échapper à sa sentence s’il fait preuve de bonne conduite pendant son incarcération. Un panel d’intervenants décidera si le condamné a répondu à ces critères, qui seront définis précisément par le décret d’application de la loi, et ce dernier verra sa peine commuée en prison. Nasir Jamil, un des députés qui travaillent sur cette réforme du code pénal, a expliqué que le comité qui planche sur le dossier s’était déjà mis d’accord sur la clause principale de cette réforme et qui reflète les différents points de vue émis par le gouvernement et les spécialistes juridiques consultés. « Nous leurs offrons une alternative. Cette clause donne aux condamnés à mort l’espoir que leur peine soit commuée en prison à perpétuité ou à 20 ans de réclusion. Pour le moment, ils n’ont aucun espoir », a-t-il dit.

Moins d’exécutions mais toujours autant de condamnations à mort
Est-ce un signe que l’Indonésie est en train d’assouplir sa position sur la peine de mort tout en évitant de perdre la face internationalement ? Le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme Yasonna Laoly est confiant que cette réforme puisse passer cette année. Toutefois, à ce stade, ce n’est pas une bonne nouvelle pour les personnes déjà condamnées puisque la loi ne sera pas rétroactive. 215 personnes sont dans le couloir de la mort ici, dont le Français Serge Atlaoui. Ce projet de réforme pénale intervient après que le président Jokowi a affirmé le mois dernier que le pays était prêt à considérer un changement de position sur ce dossier, ce qui avait été noté avec intérêt par les observateurs étrangers. Il avait rappelé quand même que les Indonésiens n’étaient peut-être pas encore prêts pour cette évolution.

Il est vrai qu’officiellement 85% des Indonésiens sont en faveur du maintien de la peine de mort. Mais il s’agit d’un sondage réalisé en 2015, dans un climat de propagande ciblant les trafiquants de drogues étrangers et orchestré par les médias et l’agence nationale anti-narcotique BNN, une institution financée grassement par les fonds publics, et qui avait été baptisée « Indonesia Darurat Narkoba ». Depuis, il est plausible, du moins peut-on l’espérer, que les mentalités aient sensiblement évolué, d’autant qu’il apparait de plus en plus clairement aux Indonésiens que l’effet dissuasif de la peine capitale n’est pas prouvé, contrairement à ce qu’affirment ses partisans. Si l’an passé, le nombre de condamnés à mort exécutés a chuté, passant de 16 en 2015 à 4, cela n’a pas empêché les tribunaux de prononcer beaucoup de peines capitales. 60 au total, dont 46 pour des faits relatifs à la drogue, le reste pour meurtre.

Une tendance mondiale à la baisse des exécutions capitales
En 2015, avec cette vague d’exécution du début du terme présidentiel de Jokowi, l’Indonésie s’était mise dans une impasse dans certaines de ses relations diplomatiques bilatérales, montrant un visage de férocité qui la discréditait et provoquait des réactions internationales négatives qu’elle a interprétées de façon erronée comme une ingérence étrangère ou une atteinte à sa souveraineté. Si l’an passé, elle a assurément réduit le nombre des exécutions, il est bon de rappeler comment. 14 condamnés à mort devaient être exécutés en juillet dernier, mais dix ont vu leur exécution reportée sine die à la dernière minute, dans une mise en scène médiatique scabreuse dont le pays ne semblait pas mesurer les conséquences qu’elle impliquait pour son image à l’étranger. Sans oublier le terrible déficit de communication induit par les interventions publiques du procureur général Prasetyo qui, paré de son sourire en coin inadéquat devant les caméras étrangères, enchainait déclarations et commentaires avec un détachement du plus grand cynisme.

Avec cette réforme pénale, l’Indonésie se donne-t-elle les moyens de sortir de l’impasse du tout répressif dans laquelle elle s’est elle-même enfermée ? Cette frénésie de peines capitales n’a en aucun cas prouvé son efficacité en termes de dissuasion, le seul argument invoqué par ses partisans ici. D’ailleurs, la tendance mondiale est à la diminution du nombre des exécutions capitales. Un article du Monde le mois dernier en faisait état sur la base des infos produites par Amnesty International. 1023 personnes auraient été exécutées en 2016 dans l’ensemble des pays qui pratiquent cette sentence à l’exception de la Chine. Pékin en exécute au moins autant que le reste du monde mais les données ne sont pas accessibles officiellement. 90% des exécutions ont eu lieu dans seulement 5 pays : Chine, Iran, Arabie saoudite, Irak et Pakistan. Et on assiste à un recul même aux Etats-Unis. Globalement, les exécutions capitales ont reculé de 37% entre 2015 et 2016.

Le président Jokowi, qui avait surpris ses supporteurs occidentaux en relançant les exécutions au début de son mandat, pourrait avec cette révision pénale permettre à son pays de sortir en douceur du cul-de-sac où les composantes conservatrices de son gouvernement l’avaient poussé. La peine de mort ne sera donc pas abolie en Indonésie, conformément au souhait des tenants de la ligne dure, mais la possibilité sera offerte aux condamnés de « se racheter ». Typiquement indonésienne dans sa nature, cette solution permettra au pays de ne pas perdre la face, puisqu’il n’aura pas cédé au lobbying des démocraties européennes et de l’ONU. Et la vieille garde conservatrice, composante majeure de l’échiquier politique, peut ainsi rester droite dans ses bottes avec le sentiment de ne pas avoir fléchi d’un pouce. Reste que la loi devra impérativement passer cette année car en 2018, les prémices de la campagne présidentielle de 2019 se feront déjà sentir et les questions liées au trafic de drogue (perçu comme un mal venant de l’étranger) et à la peine de mort seront à nouveau une commodité politique au centre du débat public. Un débat alimenté par deux constantes incontournables ici : nationalisme et religion.

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