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Papua, rencontre du troisième type

Nichés dans une grande vallée fertile à 1700 mètres d’altitude et entourés par un mur quasi infranchissable de montagnes, excepté par la Pass Valley, les Dani de la vallée de Baliem, aujourd’hui encore vivent pour la plupart une existence dérivée du néolithique. Habitant des villages fortifiés de hautes haies de bois et d’épineux, ils utilisent encore des instruments agricoles de pierre et de bois, comme leurs ancêtres, tels la hache de pierre pour les cérémonies ou le bâton à fouir pour les cultures. Voyager en ce début de 21ème siècle dans cette vallée, c’est retrouver le parfum enivrant des explorateurs des années trente, comme cette expédition Archbold sur les bords du lac Habema (restes dispersés du camp de base), rencontrer un monde parfois irréel qui lentement se mélange aux réalités humaines de la technologie moderne.

Miagaima, village tout au bout de cette vallée proche du fleuve Baliem, à l’ouest du territoire Kurelu, voit les préparatifs d’une fête qui va durer une bonne semaine et qui déjà vont bon train. Hymne à la tradition, aux ancêtres, au travail de la terre, aux femmes. On va y célébrer le mariage de l’une d’elles et le rituel qui s’y rattache est compliqué. Tout dans la tradition Dani passée ou présente est tourné vers la communauté, microcosme intérieur d’un clan qui a ses propres règles et mode de pensée hérités de traditions millénaires. Mais l’Indonésie est bien présente aujourd’hui en Papouasie, la technologie se fraie un chemin à pas de géants, l’alphabétisation progresse jusque sur les pentes des montagnes neigeuses. Il n’y a pas une contrée de cette planète identique à la Papouasie. On y voit encore déambuler sur les chemins poussiéreux ou dans le centre-ville de Wamena, la capitale de district, des hommes et des femmes presque nus, les uns habillés du seul holim (koteka), étui pénien en calebasse, et les autres habillées d’une jupe en raphia ou fibre d’orchidée, seins nus.

Ce matin, une vingtaine de femmes et d’hommes du clan proche de la future mariée vont à pied vers le village de Jiwika, distant de près de 10 kilomètres. Tous sont partis tôt rejoindre les sources salées de Iluerainma afin de préparer le mélange de pousses de bananier et de fibres d’orchidée qu’ils apportent avec eux et qui servira dans quelques jours au banquet du village, avec ses dizaines d’invités, mais aussi pour la confection de la robe de mariée. Ces sources salées se trouvent perchées dans la montagne et le chemin grimpe raide pour arriver au bout d’une heure de marche vers une petite piscine d’eau opaque tout près d’un torrent. Des rochers suinte une eau dont la teneur en sel est très importante. Eau, source de vie, nécessaire pour les tribus locales car elle apporte le complément d’iode à l’organisme. Elle sert donc à saler les aliments mais permet aussi de les rendre plus malléables après les avoir longtemps imprégnés. Toute la matinée à œuvrer, jusqu’aux heures chaudes du jour, le soleil est redoutable à 2500 m d’altitude…

Retour de nuit et après 20 km de marche aller-retour, les préparatifs au village. La foule environnante annonce la grande fête. La future mariée va arriver et s’installer dans la maison communautaire du clan, la hunila qui a la fonction d’être un lieu de rencontre, d’échanges d’idées, de discussion. On y traite de tous les problèmes liés à la vie en communauté, de la cuisson des repas par exemple, comme en ce jour béni où cette maison devient strictement réservée aux femmes. Seuls les enfants en bas âge peuvent pénétrer la hunila aujourd’hui, aucun homme ne s’y risquerait sous peine d’attirer sur la future épouse de mauvais augures et de créer des conflits internes au clan.

Le lendemain, dès le lever du jour, déjà debout et le visage recouvert d’un noken (sac en fibre d’aquilaria), la jeune mariée va rester dans cette position pendant plus de 8 heures, le temps que les anciennes du clan Kurelu ajustent les longues fibres couleur rouge et or autour de ses hanches. Un travail de patience, méticuleux, d’amour même qui rappelle aux vieilles femmes leur jeunesse. Les anciennes chantent, présentent les nouveaux noken que toute jeune femme se doit d’avoir dans son trousseau. La mère de la jeune fille s’isole, pleure de la perte de sa fille qui partira loin dans un autre village. Elle ne la reverra peut-être plus jamais. Il n’y a encore pas très longtemps, 25 ans tout au plus, voyager dans l’ouest de la vallée de Baliem, alors que des guerres claniques explosaient régulièrement de façon spasmodique, représentait un réel danger de se faire tuer ou kidnapper. Il ne faisait pas bon s’aventurer sur une terre inconnue, possédée par d’autres esprits, d’autres lois, d’autres croyances. Aujourd’hui encore, si une jeune fille se marie avec un garçon d’un village distant seulement de 10 km, il est possible que parents et descendance ne se revoient plus jamais…

Courageuse, la jeune promise va rester toute la journée debout, sans bouger, ne montrant aucun signe d’impatience. Le moment est très important pour elle, elle doit être digne et prouver sa valeur de femme. En dehors de la maison, les préparatifs se poursuivent. Les hommes se maquillent entre eux. Ici pas de miroir, l’eau conservée dans une feuille d’igname permet de se regarder en transparence et de peaufiner ce maquillage. Celui-ci sera refait constamment au fil des heures car le soir venu et jusqu’au lendemain matin, danses, chants, beauté seront les plus sûrs garants de se faire remarquer par les jeunes filles et peut-être à son tour de rencontrer l’âme sœur.

Tradition intacte également de cette ère néolithique lorsque l’on surprend les hommes couper le bois avec d’authentiques haches de pierre, allumer le feu, méthode « guerre du feu » avec bambou, corde en rotin et amadou, feu qui servira à cuire les pierres qui tapissent le bpakate, trou de cuisson à l’étuvée. On y dépose ensuite des feuilles de pandanus, ignames et quartiers de cochon qui seront distribués après, suivant l’importance des membres du clan. Les cochons sont exécutés à l’arc, la découpe savante, les oreilles et la queue placées sur une feuille de bananier et offertes au chef de village. Mais aujourd’hui, exceptionnellement parce qu’il y a mariage, ces deux présents sont offerts à la mère de la mariée.

Le silimo, cour du village est maintenant bruyant de toute la foule des invités. Hommes et femmes dansent, chants de guerre et d’amour mélangés et, pour l’occasion, on a même ressorti la momie de l’ancêtre, un ancien chef de guerre renommé. Pas loin de deux siècles la momie, à ce que l’on dit. Je parierais moins mais ne peux rien affirmer. Autrefois, le rituel était immuable, la dépouille des chefs de clan séchée et fumée pour être conservée dans l’Onai (case des hommes) de l’actuel chef de clan. Ici à Miagaima, l’esprit de l’ancien roi est toujours présent, un gage d’immortalité et de la pérennité des coutumes.

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