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Panama Papers, amnistie : L’Indonésie face à ses démons fiscaux

Le parlement indonésien étudie actuellement une proposition de loi d’amnistie fiscale. Au même moment, le gouvernement promet d’enquêter sur les près de 3000 noms d’Indonésiens apparaissant dans les Panama Papers, et commence à rapatrier des fugitifs de longue date condamnés pour fraude. L’Indonésie a besoin d’argent frais pour mener ses réformes à bien.

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Et cela tombe très bien. Car de l’argent, les nombreux riches Indonésiens en ont. Beaucoup. Mais pas souvent en Indonésie. Comme l’a prouvé très récemment l’arrestation en Chine de Samadikun Hartono, fugitif depuis 13 ans et accusé d’avoir détourné 13 millions de dollars d’une banque familiale. Ce qui pose évidemment un gros problème de recettes fiscales à l’administration du président Jokowi, désespérément à la recherche de l’argent nécessaire au développement des infrastructures du pays, celles qui lui permettraient d’accélérer sa modernisation et de multiplier une croissance économique en deçà des espérances.

Quelques chiffres montrent efficacement l’ampleur du phénomène. En 2010, il fut révélé que l’Indonésie est un des 10 pays comptant le plus d’avoirs financiers dans les paradis fiscaux, un chiffre estimé à 331 milliards de dollars à l’époque. Plus important, le mouvement de fonds indonésiens illégaux vers ces paradis fiscaux était estimé à 188 milliards de dollars. En 2014, la part de revenus fiscaux dans le PIB national était de 10,8%, un des taux les moins élevés au monde, bien en deçà des voisins malaisien et thaïlandais (17 et 15,5% respectivement). D’après les données des autorités fiscales, seuls 10 millions d’Indonésiens font l’effort de remplir leur déclaration d’impôt annuelle. Parmi eux, il est estimé que seuls 10% le font de manière honnête et complète. Cela représente 0,4% du total d’une population de 250 millions d’habitants…

Le scandale des Panama Papers a donc un retentissement non négligeable dans l’Archipel. Près de 3000 noms d’Indonésiens ayant créé des sociétés offshores dans des paradis fiscaux apparaissent parmi les 11,5 millions de documents confidentiels issus des données de la société Mossack Fonseca. Parmi eux, certains des principaux hommes d’affaires du pays, des hauts fonctionnaires, la majorité d’entre eux possédant des liens très étroits avec les très hautes sphères politiques. L’existence de ces sociétés offshore appartenant à des Indonésiens n’est pas illégale en soi. Et il est possible que certaines aient été créées pour de pures raisons de business. Cependant certains des 3000 noms sont des habitués des colonnes liées à l’évasion fiscale et à la corruption. Il est donc évident que certaines de ces sociétés ont servi à échapper à l’impôt. Le gouvernement a promis d’enquêter sur ces 3000 noms. C’est cette enquête qui devra permettre de faire la lumière sur les raisons et l’honnêteté de chacun, et leurs conséquences sur les recettes fiscales de l’Indonésie.

872 milliards de dollars en cash à l’étranger
national02Le Centre indonésien d’analyse des transactions financières (PPATK) et le directorat des taxes sont en charge des investigations. Ils ont annoncé procéder actuellement à la comparaison des données obtenues grâce aux Panama Papers avec celles des autorités fiscales des pays du G20, qui elles rapportent que 6000 Indonésiens pourraient avoir stocké pas moins de 872 milliards de dollars en cash à l’étranger. Mais étant donnés les liens et l’influence de certains individus et sociétés nommés, l’enquête risque de ne pas être simple.

Au même moment, dans un timing si parfait qu’il semblerait presque avoir été étudié, le parlement délibère, sur proposition gouvernementale, une loi d’amnistie fiscale. Le gouvernement espère, si celle-ci est votée, que la loi permettra le rapatriement de 150 milliards de dollars, et un supplément de revenu fiscal estimé à plus de 13 milliards de dollars. Outre ces rentrées d’argent frais qui soulageraient les finances du gouvernement indonésien à court terme, un autre bénéficiaire d’une telle amnistie serait le secteur financier local. Celui-ci, sous développé, ne contribue qu’à 4% de la croissance nationale. Peu étonnant quand on sait qu’il ne gère qu’environ 20 milliards de dollars en capital, une goutte d’eau en comparaison des 1,8 billion de dollars gérés à Singapour, la destination financière préférée des riches Indonésiens.

Mais au-delà de ces avantages théoriques, l’amnistie fiscale représente évidemment un problème d’ordre moral. Même s’ils sont peu nombreux, le message délivré aux Indonésiens s’acquittant diligemment de leurs impôts est déplorable. Au-delà de cette injustice, qui tend à démontrer qu’en accordant des avantages aux riches on aide le pays, le concept d’amnistie fiscale n’est pas nouveau. Et il est permis de douter de son efficacité. En 2010, l’Australie a adopté le même principe. Le résultat fut une augmentation des revenus de l’Etat de 200 millions de dollars australiens. Par la suite, le pays a développé sa coopération internationale afin de mettre en place des méthodes de collecte et de partage de données entre pays. Cette coopération internationale a permis à l’Agence australienne des taxes de collecter plus d’1,7 milliard de dollars australiens sur la période 2012-2013, bien plus que la politique d’amnistie.

Le pays a besoin d’un système financier juste et transparent
Par ailleurs, selon Changyong Rhee, directeur pour l’Asie Pacifique au Fonds Monétaire International (FMI), ce dont l’Indonésie a besoin tient davantage de sources de revenus à long terme que d’une amnistie fiscale. « Je pense que l’amnistie peut contribuer à créer une opportunité d’améliorer la transparence, mais pour ce qui est de la mobilisation de revenus, il s’agit d’un évènement à un coup et son impact pourrait ne pas durer davantage ». Le pays a besoin d’un système financier juste et transparent qui permettra la collecte durable des impôts de chacun, d’après Rhee.

Cette collecte durable permettrait au gouvernement de s’assurer des revenus à long terme afin de répondre aux enjeux d’une croissance inclusive à travers des investissements sociaux et d’infrastructures. Pour cela, le gouvernement doit investir dans le développement technologique afin d’améliorer l’efficacité et la transparence de la collecte d’impôts. Même si des efforts semblent être entrepris, c’est une perspective plus difficile à mettre en place. Et certainement moins attirante qu’une amnistie fiscale ou un statu quo pour certaines sphères du pouvoir indonésien.

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