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Pablo Tegli: Les Indonésiennes sont douées pour le tango

La Gazette de Bali : Alors, que fais-tu ici parmi nous à Bali ?

Pablo Tegli : J’ai été invité par Ni Putu Nusraini Anandi, « Ana » pour les intimes, une Indonésienne passionnée de tango qui a sponsorisé plusieurs festivals à Bali. C’est la quatrième fois que je viens ici, la première fois c’était bien sûr pour un festival de tango dans le cadre d’une tournée dans le Sud-est asiatique en 2010. Je suis donc revenu souvent en très peu de temps et toujours sur des invitations. Pour l’instant, je suis basé ici, je donne des cours privés, j’organise des ateliers et puis cela me permet de rayonner alentour, Bangkok, Manille, Singapour, etc.

LGdB : Le tango est-il si populaire à Bali et dans la région ?

P T : Non, il n’y a encore pas beaucoup de gens qui se passionnent pour le tango à Bali. Ce n’est pour l’instant que l’apanage d’un petit groupe de femmes, essentiellement aisées, de la bonne société de Bali, qui se sont mises en tête de développer le tango ici.

LGdB : Et qui sont ces femmes ? Peut-on savoir ?

P T : Oui, bien sûr, il s’agit donc d’Ana, de Ni Nengah Roti alias Ni Made Masih Anthusyas, plus connue sous le nom de Made du célèbre warung qui porte son nom, de Stefani K. de Casa Artista et de Ratih Soe Kosasie*… Les milongas sont souvent organisées par Ana mais pas seulement. On fait quelquefois des démos à Jakarta. Mon rêve maintenant serait de vraiment développer le tango en Indonésie. Et pourquoi pas dans toute la région puisque lorsque d’importants festivals sont organisés à Bali, des gens de tous les pays voisins affluent, comme lors de Tango Expose à Casa Artista…

LGdB : Vous allez souvent à Jakarta, pourquoi ? Est-ce moins développé là-bas ?

P T : Non, le tango serait même plus en vogue à Jakarta mais le système est différent. C’est celui des Dance Instructors. Ce sont en fait des escorts payés pour accompagner ces dames aux milongas. Généralement, ce sont des Philippins.

LGdB : Tu es Argentin mais tu vis en France n’est-ce pas ?

P T : Oui, ma femme Emilie est française, nous nous sommes d’ailleurs rencontrés par le tango, et nous avons deux enfants. Nous vivons à Toulouse, la ville d’origine de Carlos Gardel.

LGdB : Tu pratiques ton art aussi en France bien sûr ?

P T : Oui et dans le monde entier. En France, j’ai travaillé avec Gotan Project, le trio formé de Philippe Cohen Solal, Eduardo Makaroff et Christoph H. Müller. Ce fut un grand succès en 2002, nous avons fait l’Olympia, le Bataclan. En 2006, nous sommes allés en Chine pour un immense concert en plein air. Oui, nous avons tourné partout…

LGdB : Et à Toulouse plus particulièrement, comment ça se passe ?

P T : J’y vis depuis 2003, après avoir habité à Paris. Là-bas, j’ai un contrat pour organiser des spectacles. Je donne des cours aussi. Je donne beaucoup de cours aux profs, j’essaye de leur inculquer l’esprit de recherche. Et puis, étant donné que c’est la ville d’origine de Carlos Gardel, c’est un choix qui s’imposait !

LGdB : Bon, tu es Argentin, soit, mais est-ce que cela te prédestinait au tango ?

P T : Oui et non. Oui parce que là-bas, à Buenos-Aires, on écoute la radio et dès qu’on l’allume, on entend du tango. Non, parce que mes parents n’en avait rien à faire du tango. Ils étaient hippies et préféraient les Beatles. Mon grand-père par contre était un fou de tango, mais pas pour le danser, pour l’écouter. J’avais d’ailleurs une photo de lui avec Carlos Gardel que j’ai perdue depuis. Je donnerais cher pour la retrouver ! Cela m’a donné envie. J’étais fait à l’image du tango depuis l’enfance grâce à lui. Mais j’ai commencé un peu tard, vers 16-17 ans. Après, j’ai passé mon bac, travaillé dans l’hôtellerie. Mon rêve était de voyager et je pensais qu’en travaillant dans ce secteur, j’aurais l’opportunité de voyager. J’ai fini par laisser tomber le tango. Jusqu’au jour où le grand chorégraphe de tango Juan Carlos Copes est passé par l’hôtel où je bossais et j’ai alors repris les cours.

LGdB : Et ce fut le commencement de ta carrière ?

P T : Non, parce qu’à l’époque, j’étudiais la photographie. Je voulais devenir photographe et voyager de par le monde, toujours ce vieux rêve. Alors j’ai vendu mon sax – je faisais aussi de la musique – et je suis allé en Europe. En Italie précisément, où j’ai des racines par mon père. Je travaillais dans les vignes. Puis j’ai rencontré la sculpteuse Fiore de Henriques et je suis devenu son assistant. Elle avait une maison à Londres – parce qu’elle avait fait le buste de la reine – et j’ai pu poursuivre mes études de photo là-bas. Et c’est là que j’ai recommencé à danser, grâce à Natalia et Gabriel, mes profs de l’époque. C’était en 97-98.

LGdB : Et puis…

P T : En 2002, Victoria Vieyra – qui est devenue ma partenaire sur la piste – m’a proposé de travailler sur un projet de vidéo-clip de Gotan Project et ma carrière était lancée. Je me suis donc fait au fil des rencontres, ce qui est enrichissant. Et depuis, grâce au tango, j’ai enfin réalisé mon vieux rêve de voyages dans le monde. Et cela fait quinze que ça dure !

LGdB : Le tango se porte-t-il bien en Argentine ?

P T : Aujourd’hui oui, mais ce n’était pas le cas jusqu’aux années 90. A cette époque, il valait mieux se tourner vers Paris, ou même Berlin. En France par exemple, c’est l’acteur Guy Marchand qui vous a fait découvrir Astor Piazzolla. Les Japonais sont des fous de tango depuis les années 70. Non, en Argentine, il y a eu un mouvement de retour au tango au moment de la crise financière. Les touristes sont revenus parce que la monnaie ne valait plus rien – alors qu’avant c’était une destination chère – et le gouvernement a alors décidé de valoriser le patrimoine du tango pour ces raisons-là, pour le tourisme.

LGdB : Qu’est-ce qui te rend unique ?

P T : Difficile… Je n’aime pas parler de moi. Je dirais que j’essaye de créer de la richesse dans le mouvement. Je suis à la fois danseur et créateur… Et je suis plutôt connu auprès des danseurs et des chorégraphes… Et paradoxalement, alors que je n’y vis plus, je suis plus reconnu à Buenos-Aires !

LGdB : Revenons à Bali, comment ça se passe ici ?

P T : Eh bien, je suis engagé à danser avec toutes ces dames dans des fêtes privées. Je donne aussi des cours à leurs profs. Comparé à la France, où il y a beaucoup de gens qui donnent des cours, souvent en cassant les prix, ici, c’est plus intéressant pour moi. Il y a des jours où je donne jusqu’à cinq heures de cours à différentes personnes avant de faire danser le soir à Warung Made, ou à Casa Artista, ou encore à Sector, à Sanur.

LGdB : Alors, ces Indonésiennes, sont-elles douées pour le tango ?

P T : Oui, elles sont douées pour le tango, c’est indéniable. Elles développent rapidement des compétences. Je m’éclate à danser avec elles, elles sont sensuelles et légères. Au contraire des Françaises – bien évidemment plus cérébrales – elles manquent un peu d’intérêt pour l’histoire, pour la culture du tango. Par contre, elles ont tout bon sur un élément du folklore : la jalousie (rires).

LGdB : Et à part tes aventures dans l’archipel, l’actu de Pablo Tegli, c’est quoi en ce moment ?

P T : Avec Pablo Veron, qui est considéré comme le meilleur danseur de tango au monde, nous avons monté un projet de spectacle avec trois couples et des musiciens pour faire une vidéo qui casse un peu les clichés du tango. On attend de finaliser le budget. Autrement, en novembre, il y a un film qui sort, « Quartier libre », du réalisateur belge Frédéric Fonteyne, avec Sergi Lopez et François Damiens, une histoire de tango dans la prison… Je n’en dis pas plus. « Quartier libre » va être présenté à la Mostra de Venise.

LGdB : Pour conclure, un conseil, une idée pour nos aficionados de Bali ?

P T : Eh bien, pour vous tenir au courant de l’actu du tango, je vous conseille l’excellent blog http://mephisto-blog.fr.

Interview par Eric Buvelot

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