
Les cadeaux-souvenirs qui font déborder les valises des touristes à leur retour de vacances sont incontournables, tant pour les Français que pour les Indonésiens. Une pratique installée de si longue date qu’on ne pense plus à la questionner. Vêtements, bibelots en céramique, bois, plastique, fer forgé ou encore nourriture : tout y passe. Sur l’archipel, ces kado s’appellent Oleh-Oleh et ont même leurs marchés et boutiques dédiées. S’agit-il réellement d’objets typiques ? Où et par qui sont-ils fabriqués? Ces achats permettent-ils de se rapprocher véritablement de la culture locale ? Et l’objectif est-il purement altruiste, pour montrer à nos proches qu’on a pensé à eux ?
Meryam El Yousfi et Basil Burté
Marché : la mascarade ?
« One more ? One more ? 50 K, cheap, very cheap ! ». C’est au son de ces apostrophes qu’est désormais rythmée une balade dans les marchés de cadeaux-souvenirs. Celui d’Ubud, très plébiscité par les touristes, ne fait pas exception. Nous avons suivi différents compatriotes dans leur séance d’achat afin de recueillir les tendances et impressions… version bleu blanc rouge. L’occasion également d’ôter le masque sur cette expérience d’achat, un peu moins typique qu’il n’y paraît.
Florence, 36 ans , mère de 2 enfants. Nous la prenons littéralement la main dans le sac puisqu’elle vient d’en acheter trois. « Il y a quelques mois, à Paris, j’ai acheté ce type de sac rond en osier, très tendance. Toutes les femmes en ont. Il m’avait coûté 90 euros. Alors forcément, quand je vois qu’ici je l’ai pour 200 000 roupies (environ 12 euros)…je ne peux que craquer : j’en ai pris trois ! » Florence a déjà une valise entière d’oleh oleh, pour près de 300 euros (comme du café luwak ou des vêtements). Principalement achetés sur les marchés car « c’est beaucoup moins cher quand on sait négocier ».

Larem et Houda elles sont deux jeunes femmes dans l’air du temps. Quand on leur demande leur type d’achat, elles rient en coeur. « Nous on achète absolument de tout. Aujourd’hui, je suis habillé avec mes achats du marché, des pieds à la tête. Ce sont des vêtements confortables et aérés, comme les sarouel, très adaptés à la météo balinaise », annonce Larem. Houda, c’est la globe-trotteuse aguerrie à l’art de la négociation et dénicheuse des objets branchés. On achète ici parce que c’est une sortie agréable et typique, on est dans une ambiance locale. A Bali, tout est 15 fois moins cher qu’ailleurs ! Regardez ces boîtes de rangement, c’est à craquer. Vous qui habitez ici, vous pensez que ça coûte combien ? ». Larem l’interrompt : « en fait, la valeur d’un objet c’est tout simplement combien je suis prête à mettre dedans ». Les deux amies nous l’assurent, les produits déjà achetés comme des vêtements et bracelets sont d’un bon rapport qualité/prix. « Les oleh-oleh store ? non, ça n’est pas pour nous, c’est beaucoup trop touristique et puis y a trop d’information de partout, ça grouille. Et puis c’est beaucoup plus cher… non ? »

Une affirmation qui se transforme rapidement en interrogation. A juste titre puisque – hormis pour les voyageurs virtuoses de la négociation- les prix affichés dans les magasins Oleh-Oleh sont très souvent moins chers que ceux des marchés touristiques.
Eugénie, journaliste reporter, sillonne le monde sans pour autant pouvoir prendre le temps, à chacun de ses reportages, de s’arrêter au marché. A Ubud, pour profiter d’un moment de repos, elle arbore sa dernière trouvaille qu’elle s’est empressée d’enfiler : une robe, verte et blanche. Un grand sourire s’échappe au moment de prendre la photo et elle s’exclame : “je savais qu’elle ferait mouche cette robe !” A peine le flash éclipsé, elle se fait alpaguer par des commerçants qui lui montrent d’autres robes similaires, voire totalement identiques. “Un jeu” pour cette trentenaire qui s’amuse tant de cette situation- un peu absurde – que de l’incontournable étape de la négociation : “j’aime ce moment, mais je ne rentre jamais dans le rapport de force. Je descends un peu le prix et je paye “.

Entre deux échoppes, un bâtonnet d’encens brûle et puis, rituel immuable, les marchands tapotent les billets ( tout juste donnés par les clients) contre les produits, comme pour que “l’argent appelle l’argent”. Sur les marchés tradition, superstition et capitalisme font souvent bon ménage.
Idoia, mère d’Inès et Baptiste. Une famille de Français vivant en Nouvelle-Calédonie. Des habitués de Bali. Et pourtant, à chaque fois, c’est la même chose « on ne repart jamais les mains vides. On ne se fixe pas de budget, c’est selon les envies ». La petite Inès brandit fièrement trois attrape-rêves tout juste achetés. Un objet d’origine amérindienne, qui a pourtant largement trouvé sa place sur les étals des marchés balinais. Sa mère, elle, vient de trouver une « boîte de rangement », en réalité un boîte à offrande en bambou dont l’usage a été détourné par les vendeurs à des fins touristiques. La créativité des commerçants et l’abondance de choix aura de nouveau tenté ces fidèles visiteurs de Bali.

Thierry et Justine, 300 000 roupies, ni plus, ni moins. Pour ce couple, le budget est serré alors les achats sont “exclusivement fonctionnels”. Pas de magnet ou autres décapsuleurs en forme de pénis (pourtant un bestseller…sic). Pour ces amoureux, utile rime avec : lunettes de soleil, épices et ménagère de table. L’objectif est atteint, et ce, après une demi-journée “fatigante” de pourparlers. “C’est comme ça, on a pas le choix ici !” soupire Justine alors que Thierry, lui, se félicite de devenir “un fin négociateur !”.
Les voyageurs en recherche d’une expérience authentique sur les marchés dits « typiques » ne trouvent pas réellement une réponse à cette quête, mais tous semblent repartir le sac à commission bien rempli et le sourire aux lèvres. Tous ? Sauf quelques irréductibles dont Yanis (pas encore trentenaire) fait partie. « Moi je ne vais rien acheter. J’ai bien regardé les étals et discuté avec différents commerçants. Il y a beaucoup trop de made in China et puis les vendeurs ne facilitent pas la négociation commerciale. J’étais en Malaisie juste avant, c’était bien moins cher. Bon, après j’ai un budget serré. ». Quelques mètres plus loin, on nous assène un « hand made, hand made », le vendeur agitant ses mains comme pour étouffer les soupçons des voyageurs sceptiques.
Alors made in China, pas forcément mais made in Tegalalang certainement !
Tegalalang : le village-usine de vos cadeaux souvenirs

A moins d’une dizaine de minutes au nord d’Ubud, le village de Tegalalang. Impossible de manquer cette bourgade articulée autour d’une rue principale qui s’étale sur plusieurs kilomètres. Ici, on a l’impression de voir double, enfin même de tout voir au centuple. C’est un peu la maison-mère du cadeau souvenir ou l’atelier du Père Noël pour les plus poètes.
Tous les oleh-oleh possibles et imaginables sont déclinés à l’envie, dans toutes les formes et couleurs, alignés dans des centaines d’échoppes-ateliers, en tous points similaires. De la pancarte “home sweet home” au masque en bois, en passant par les bibelots décoratifs et céramiques… pas un seul kado ne manque à l’appel. De quoi donner le tournis.
Voici donc les coulisses. Ici on ne vous interpelle pas vraiment, ou alors pour vous proposer un taxi. Les vendeurs attendent, un brin assoupis, en arrière-boutique. Parfois même, ils ne sont pas là, le voisin d’en face ou un proche se chargent de les contacter par téléphone si un gros poisson se présente.
Un vendeur de meuble raconte un brin goguenard : “Ici on connaît les businessmen, on les repère. Quand c’est un particulier, j’envoie ma fille (rires) parce que ce client-là ne dépensera pas plus de 500 000 rupiah.
Si elle me dit que c’est pour le business, alors je me lève et je parle avec la personne” .
Car le client se rend directement chez le producteur pour passer commande. C’est ici que se fournissent les commerçants des marchés balinais mais aussi les entrepreneurs étrangers. Quelques particuliers font parfois une halte sur leur route, mais le village vit principalement de la vente en gros. Pour la clientèle étrangère, le peloton de tête est le suivant : Etats-Unis (fan des petits sacs ronds en osier), Japon, Europe (Italie pour les meubles, Allemagne). C’est aussi la source d’approvisionnement principale des commerçants du marché d’Ubud. Donc “hand made” peut-être, mais pas forcément par les commerçants qui le clament sur les marchés.
Qui dit coulisses, dit secrets… et difficile d’en apprendre sur les marges pratiquées ici. Les bruits de couloir ou plutôt d’arrière-boutique laissent à penser que la marge varie en fonction de la nationalité de l’acheteur (en plus du critère classique de la taille de sa société et donc du volume de commande).
Les tendances, elles, se font et se défont au gré des commandes passées par des clients, souvent étrangers. On fabrique balinais mais à la sauce italienne, américaine ou australienne pour décorer des demeures de riches clients ou des hôtels. C’est comme ça, par exemple, que s’est imposée la mode des sculptures en bois avec photophores “dégoulinants”, façon horloge fondue par Dali (peintes dans son célèbre tableau “La persistance de la mémoire”).
La mondialisation a ainsi décuplé l’imagination des céramistes, sculpteurs, forgerons et autres artisans locaux, quitte parfois à diluer l’esthétique traditionnelle pour s’assurer davantage de revenus.

Jean Couteau, sociologue : “Ne pas offrir d’Oleh-Oleh, c’est se marginaliser et s’exclure du tissu social”

Jean Couteau est un sociologue français installé de longue date à Bali. Il écrit dans la revue Archipel (avec un prochain article dédié à l’exhumation des morts). Il est aussi chroniqueur pour le journal Kompas. Voici son décryptage de la pratique des Oleh-Oleh…tout compte fait, beaucoup moins généreuse qu’il n’y paraît. Propos recueillis par Meryam El Youfsi
Quelles sont les origines des oleh-oleh ?
Les origines précises de la pratique des oleh-oleh sont floues. Il faut plutôt les voir comme un mélange de culture locale et aussi d’une lecture indonésienne de l’islam dans laquelle le fait de donner est essentiel.
Et puis, la culture du don et contre-don, avec des demandes et obligations précises, est très inscrite dans la culture de l’archipel. On le remarque, par exemple, dans l’organisation des offrandes et cérémonies dans les temples.
A quoi sert cette pratique ?
Par le don de cadeaux, on démontre son statut social. On fait – consciemment ou non – une annonce de prospérité qui s’apparente parfois à une démonstration de pouvoir. Il y a une forme de prestige dans le don que l’on a fait et ensuite cela peut même conduire à une forme de compétition de prestige, dans certains milieux. L’autre aspect essentiel dans cette pratique c’est l’importance pour les Indonésiens de maintenir un lien social, et ce, aussi large que possible. Ici, les mentalités ne sont pas individualisées. En Occident, on tisse des affinités et on constitue son cercle social par centre d’intérêt (politique, artistique, sportif, ..). Sur l’archipel, ce sont principalement des liens familiaux et de voisinage puisqu’il est primordial de maintenir la notion de communauté sur laquelle se tisse la société.
Que se passe-t-il si l’on offre pas d’oleh-oleh ?
Mon épouse qui vient de l’ouest de Sumatra me rappelle toujours qu’il lui est impensable d’arriver sans oleh-oleh chez les gens. Et elle préfère annuler sa visite familiale/amicale plutôt que de ne pas offrir un cadeau qui assure convenablement sa mission de « vitrine » sociale.
Ne pas offrir d’oleh-oleh c’est se marginaliser. Cela reviendrait à une forme d’exclusion si on ne manifestait pas sa sociabilité par le don d’un cadeau. En France, l’autre c’est souvent l’ennemi ou le concurrent. Ici, c’est l’inverse on doit cohabiter avec l’autre.
La valeur matérielle du oleh-oleh est-elle importante ?
Pour les gens en quête de pouvoir ou de statut, la valeur de ces cadeaux est importante. Pour les plus simples, la valeur symbolique se maintient.
Néanmoins, on peut rappeler l’existence et l’influence d’un système très arithmétique mis en place dans les temples pour comptabiliser les offrandes effectuées. Il ne s’agit donc pas d’une démarche spontanée ou de la notion de faire plaisir à un proche mais juste d’assurer une fonction sociale. La valeur matérielle n’est alors qu’un amplificateur.
Quels rapport au voyage cette pratique dévoile-t-elle ?
Longtemps, les Indonésiens n‘avaient pas les moyens de voyager. Donc offrir un souvenir de vacances, c’est montrer que l’on peut aller ailleurs et que l’on a un certain statut. Pour les étrangers qui visitent l’Indonésie et qui achètent des oleh-oleh, et bien les locaux leur octroient un statut, une forme de supériorité par l’argent. En fait, les touristes occidentaux aiment venir en Indonésie parce que même s’ils ont un pouvoir d’achat limité dans leur pays, ici, ils peuvent avoir la vie de pacha. Finalement, sans réellement oser se l’avouer, le touriste aime bien ce statut de supériorité qui lui est attribué par les locaux. Les touristes occidentaux acquièrent des objets lors de leurs vacances à travers le monde : il faut « avoir » son masque africain, un sarong indonésien ou même un drapeau à mandala tibétain. Certains pensent que c’est une ouverture au monde. Mais en fait, très souvent c’est un legs de l’envie occidentale de montrer que l’on domine le monde.
NDLR
Ne manquez pas la prochaine collaboration de Jean Couteau avec l’espace culturel Salihara (www.salihara.org), jusqu’au 17 juillet à Jakarta, dans le cadre de l’exposition “Darkness is white”.
Le saviez-vous ? Des susu pie avec un zest de diplomatie

Les susu pie (tartes au lait) sont devenues des Oleh-Oleh incontournables, achetés à la douzaine, par les touristes indonésiens et étrangers. Mais d’où nous viennent donc ces tartelettes décrites comme « traditionnelles » par les locaux ?
Dans ce voyage dans l’espace et le temps, il nous faut d’abord faire une escale à Hong Kong. Car c’est dans cette ville, dans les années 1940, que les restaurants locaux dits “cha chaan tengs ” les intègrent à leurs cartes pour faire concurrence aux dim sum chinois. Dans les années 1950, la salon de thé Lu Yu Teahouse devient ainsi le roi des mini-tartes au lait.
Mais saviez-vous que ce dessert est saupoudré d’un zest de diplomatie internationale ? En effet, ces gourmandises s’inspirent en fait des « custard tarts » anglaises. Hong Kong – ancienne colonie britannique- est connue pour ses réadaptations et revisites de certains plats de nos cousins d’Outre-Manche.
Et l’histoire ne s’arrête pas là, puisqu’à cela, s’ajoute également une influence de l’ancien comptoir portugais de Macau. Si je vous dis Pastel de Nata, mi tartes-mi flans à la crème…vous faites le rapprochement?
En résumé, les susu pie indonésiennes sont en fait d’inspiration lusitaine pour le fond de tarte et British pour la crème aux oeufs.
M.EY










