Accueil Agenda culturel

Grand chasseur blanc : un roman à Bali qui partage la rédaction

Bali comme révélateur de sa propre vérité

La production littéraire sur Bali n’est pas proportionnelle à la place que l’île occupe dans l’imaginaire occidental et aux fantasmes qu’elle suscite. Au regard de l’enchantement des nouveaux arrivants, on s’attendrait chaque année à une cargaison de livres sur le paradis et la dernière étape de la mythique route des hippies. Mais rien ou si peu. Bali intimide les auteurs, la psyché des polythéistes ne se laisse pas saisir même par des vieux de la vieille qui traînent leurs guêtres ici depuis 20 ans et plus. Régulièrement, depuis le début du journal, il y a presque
9 ans, j’entends quelques-uns de nos auteurs dire qu’ils se sont lancés dans l’écriture d’un livre sur Bali mais je n’ai toujours rien vu sur les étagères de la librairie de mon pote Thierry du Rendezvousdoux à Ubud. Alors, quand quelques valeureux inconscients, chasseurs de surcroît, sortent de la tranchée et partent à l’assaut du succès sur une terre aussi sacrée que Bali, on engage une cartouche et on attend de faire mouche. Dès la première page du « Grand chasseur blanc », sur la dernière ligne, ça commence mal, très mal « Kuta qui est à l’Indonésie ce que Sodome fut à la Terre sainte », aïe, je tire maintenant ou je lui laisse une chance. La chance, c’est qu’il écrit bien ce chasseur dont je n’avais jamais entendu parler avant.
J’avais totalement glissé sur les deux premières parties de « Eat, Pray, Love » d’Elizabeth Gilbert qui a réalisé le succès mondial qu’on sait avec son livre et l’adaptation qui en a été faite par Hollywood. Mais la dernière partie concernant Bali m’avait intéressé, elle avait su capter une partie de cet envers du décor qui échappe si bien à tous ceux qui passent trop peu de temps ici ou qui se tiennent trop éloignés des Balinais. Je rêvais secrètement que Denis Parent irait plus loin que l’auteure américaine dans son appréhension des Balinais mais ce n’est pas le cas. Je me suis rendu à l’évidence : on n’est pas obligé de parler des Balinais parce que l’histoire qu’on écrit se déroule à Bali. Pour autant, cette histoire qu’il raconte au long de ses 450 pages n’aurait pas pu se dérouler ailleurs. Son personnage de cynique parisien du début du roman se transforme petit à petit dans sa retraite perdue dans les rizières derrière le Bintang d’Ubud. Ca serait facile d’utiliser une formule aussi rebattue que « c’est la magie de Bali qui opère » mais dans le cas du livre d’Elizabeth Gilbert comme pour celui de Parent, c’est bien de cela dont il s’agit. Des Occidentaux, en recherche d’eux-mêmes, confrontés à leurs utopies, à leurs rêves, viennent chercher la lumière tout au bout du monde sur l’île de Bali. Certains d’entre nous vivent ici depuis plusieurs décennies, ça serait mentir de dire qu’ils sont plus éclairés que le commun des
mortels ( ?!) mais c’est rafraichissant de savoir qu’on vit dans un endroit où d’autres viennent se questionner et au final, ça pose toujours question de voir des gens se poser ici en quête de leur vérité.
La lecture de certains passages a été jouissive. C’est fou la liberté que donne la fiction littéraire pour parler de la réalité balinaise et indonésienne, on se sent tout à coup bien à l’étroit dans les colonnes d’un journal !

Grand chasseur blanc cherche petit nègre indonesianophone

Bali, c’est « L’île fantastique », l’île aux fantasmes. Et ce n’est pas nouveau, ne dit-on pas que l’équipage du premier navire portugais qui a jeté l’ancre ici n’a pas voulu repartir ? Les écrivains eux, ils y jettent l’encre, viennent puis repartent, et la production littéraire ou cinématographique de ces dernières années ne déroge pas à la règle : Bali, c’est de la matière pour littérateurs. « Grand chasseur blanc » de Denis Parent s’inscrit dans la lignée récente de « L’homme qui voulait être heureux », « Toute la beauté du monde » et « Eat, Pray, Love ». Toutefois, avec lui, nous avons à faire à un auteur d’un autre calibre et la comparaison serait vaine, si ce n’est que ces quatre productions ont Bali en toile de fond. Comme la Gazette de Bali n’a pas vocation à faire de la critique littéraire, ce qui nous intéresse, c’est donc le sujet « Bali », ou « Indonésie » au sens plus large. On remarque que Denis Parent a dû passer un certain temps ici car il semble bien imprégné de l’endroit, pour ne pas dire imbibé comme son héros qui lui ressemble comme un double, et les descriptions qu’il en donne sont pour l’essentiel bien senties même si un peu convenues. Non, ce qui cloche, c’est une série d’erreurs un peu grossières, qui sentent l’amateurisme là où nous, résidents francophones de Bali, aurions aimé plus de rigueur et qui prouve au final que Bali n’est qu’accessoire. A commencer par la langue indonésienne, à qui il ne rend pas hommage. A chaque fois qu’il se sert du pahasa (sic), c’est pour se tromper. Les pages du roman sont parsemées de talima kasi et autres salamat pagi à tel point qu’on se demande si ce n’est pas fait exprès. On est sûr que non quand un des protagonistes s’acharne à trouver un beno pour rentrer chez lui. Cela est d’autant plus inélégant qu’il se moque par ailleurs du piètre français d’une Indonésienne à plusieurs reprises. Ensuite, à Ubud, la forêt des singes est peuplée de gibbons, certes qui se transforment miraculeusement en macaques à la fin de la visite, mais bon… On apprend à notre grande surprise que le Ku De Ta a été créé par des limonadiers français ou que les joueurs de l’équipe de foot de Malaisie sont des Malais (et non pas des Malaisiens alors que ce pays est pluriethnique et qu’il y a sans doute des joueurs chinois ou indiens dans l’équipe). Enfin, on note que les personnages indonésiens du roman sont tous cantonnés à des rôles périphériques et que leur âme n’est jamais sondée comme celles des Blancs. N’en a-t-il pas trouvé la clé ? Et quand Denis Parent s’y risque, comme avec le couple formé par Wayan et Ayu, c’est pour nous dire en substance qu’ils sont musulmans. Si cela reste possible pour Ayu, cela semble tout à fait impossible pour Wayan, n’est-ce pas ? C’est dommage, pour nous, francophones d’Indonésie, on se dit que Denis Parent aurait tout aussi bien pu choisir une autre île que Bali. Ce qui y recherché, c’est l’exotisme, comme révélateur par contraste d’une histoire qui reste bien franco-française, pour ne pas dire parisienne. Au final, n’importe quelle île de Thaïlande, des Philippines, ou des Caraïbes auraient pu faire l’affaire. Tant pis pour Bali alors. Enfin, dernière interrogation : n’ont-ils personne chez Robert Laffont pour faire un travail d’édition et de correction décent ?

LAISSER UNE RÉPONSE

Please enter your comment!
Please enter your name here