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Nouvel an… à la balinaise

Prenez garde : mardi 16 mars, ça va encore être Nyepi ! Une fois de plus, il vous faudra supporter cette gonflante tradition balinaise qui impose le repos absolu pendant toute une journée ! Mais j’ai déjà glosé l’année dernière sur l’outrage qui assujettit l’étranger aussi bien que l’Indonésien, le touriste comme l’expat, l’athée autant que le croyant. Par conséquent, je ne reviendrai plus sur cette atrocité d’avoir à vivre 24 heures sans lumière et sans pouvoir quitter sa maison.

Je vais plutôt parler des autres festivités du Nouvel An balinais. Selon le calendrier Caka (ou Saka), l’année est divisée en douze mois lunaires. Comme pour cadrer avec les mouvements des astres, on rajoute tous les 30 cycles un mois « bissextile », ces fêtes ont lieu en principe à la nouvelle lune du mois de mars de notre calendrier grégorien.
Les réjouissances hindoues commencent trois jours avant le Nouvel An avec la fête de Melasti. Il s’agit de rites purificateurs dédiés à Sanghyang Varuna, le dieu des Eaux, et les Balinais les réduisent parfois à ngebe jiang (mandi en indonésien). Ces baignades sont destinées à conserver l’équilibre entre les forces du Bien et du Mal et accompagnent toutes les cérémonies importantes (Tawur Agung, Odalan Gede), mais c’est seulement au Nouvel An qu’elles ont lieu sur toute l’île.

Les plus importants objets à purifier sont des pratima ou pralingga, des statuettes sacrées qui se trouvent le reste de l’année dans les autels (pelinggih) des temples. Elles représentent les divinités de chaque village qui manifestent ainsi leur présence auprès des humains. Pour les purifier, on les monte d’abord sur des assemblages de bambous appelés singasana ou usungan qui permettent de les porter jusqu’à la mer (rivière, lac ou étang pour les localités de l’intérieur de l’île). De nos jours, à l’heure des routes goudronnées, ces palanquins sont de plus en plus souvent montés sur des roues pour faciliter leur déplacement : on n’arrête pas le progrès !

De longs cortèges accompagnent les pratima pour converger vers la mer. En tant qu’habitants du littoral, vous serez nombreux à maudire les routes bloquées par les interminables files de croyants. Pour vous consoler, je vous signale qu’il y a deux décennies, personne ne voulait s’installer dans la rue Laksmana, car toutes les processions crématoires passaient par cette rue menant à la mer, surnommée « Rue du Cimetière ». Une riveraine m’a raconté qu’à cette époque, elle a pu acheter son emplacement pour une bouchée de pain, dans ce qui est aujourd’hui la « Jalan Oberoi » !

Alors, au lieu de râler, vous feriez mieux de profiter du spectacle qui vous est offert. Les messieurs pourront admirer les sublimes habits de cérémonie des jeunes Balinaises, le déhanchement ondulant de leurs silhouettes gracieuses et la dentelle ajourée des kebaya qui entourent des bustes parfois délicats, parfois rebondis. Tandis que vous, mesdames, vous vous laisserez envoûter par le port altier des jeunes mâles, les verres réfléchissants des lunettes de soleil dissimulant bien mal leurs regards hautains. Ne ratez pas ceux qui jouissent du privilège d’être porteurs d’étendards, d’oriflammes et d’ombrelles : ce sont souvent les gabarits les plus athlétiques !
C’est au plus tard maintenant que vous devriez délaisser l’air climatisé de votre Taruna coincée au bord de la route et vous approcher pour mieux savourer l’ardeur des percussionnistes qui, tout en marchant, frappent vigoureusement sur leurs gongs, tambours et cymbales. Si vous êtes assez courageux pour suivre une de ces processions jusqu’à la plage, vous verrez alors le prêtre asperger les pratima avec un mélange d’eau de mer et d’eau bénite, aux vertus particulièrement purificatrices.

Deux jours après Melasti, c’est Pengerupukan. De ce jour-là, vous n’avez retenu que les parades des ogoh-ogoh à la tombée de la nuit. Tandis que les Balinais se sont escrimés toute la journée à faire partir les forces maléfiques de leurs habitations par le bruit et par le feu. Toute la famille participe à ce tapage en martelant casseroles, bambous et autres bois creux et en criant « megedi uli dini » (va-t-en, pars d’ici). Le moindre recoin est fouillé avec des torches, fabriquées à l’aide de feuilles sèches de cocotier et de sambuk (fibre de coco), pour en dénicher les Bhuta Kala (mauvais esprits) qui aiment s’y cacher. Ensuite, les membres adultes de chaque maisonnée déposent des offrandes (pencaruan) et aspergent les lieux avec du tirta, l’eau bénite. Bien que l’on puisse quasiment être sûr d’avoir expulsé jusqu’au plus récalcitrant des mauvais esprits, certains insistent pour consolider la conjuration par des pétards et du feu d’artifice ; on n’est jamais trop prudent !
Mais je sais que je m’acharne pour rien et ne fais que gâcher l’encre corrosive de ma plume virtuelle en vous racontant tout cela. Comme tous les ans, vous êtes déjà en train de boucler votre sac de voyage pour vous sauver de l’île des Dieux. Vous passerez Nyepi aux Gili, ayant décidé, une fois pour toutes, de laisser silence et méditation aux bonzes des ashrams himalayens. Bande de lâcheurs !

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