Ayant peu de foi en l’espèce humaine, certains avaient déjà mis en vente sur Toko Bagus le frigo, l’armoire, le lit et la bebek. Après avoir observé pendant des semaines un populisme exalté se faire chaque jour un peu plus menaçant, après avoir assisté incrédule à la résistible ascension d’un schtroumpf grognon se rêvant en Napoléon javanais, après avoir vu un juré d’Indonesian Idol se déguiser en criminel de guerre nazi pour en chanter les louanges sur une reprise de Queen, après avoir entendu ce même chanteur justifier la chose en arguant que les uniformes nazi seraient quand même les plus « classes », et après avoir écouté les discours expliquant que la démocratie n’était sans doute pas compatible avec la culture indonésienne, c’est vrai qu’on pouvait commencer à s’inquiéter. Mais cette machine de propagande soutenue par le parti au pouvoir, l’ancien parti unique, les partis religieux, les ormas conservatrices, les grands industriels, les magnas de la presse et plus généralement tous les héritiers direct ou indirect de l’Orde Baru de Suharto, cette machine aussi infernale fut-elle aura été implacablement défaite par la force tranquille de la fameuse majorité silencieuse. Une majorité faite d’Indonésiens bienveillants et emplis de bon sens qui, comme toujours, n’aura pas voulu faire de vagues ou se lancer dans des débats stériles, qui aura regardé les autres d’un œil amusé faire leur show dans des stades de foot ou sur leur chaînes de télé, qui les aura laissés parader à cheval en tenue paramilitaire devant des militants au garde à vous, qui ne se sera pas laissée impressionner par les démonstrations de forces ni tentée par le chant des sirènes nationalistes, et qui finalement aura su préserver sa voix pour le seul moment qui compte dans le processus démocratique, celui de la glisser dans l’urne. Pendant tout le temps de la campagne, le signe de ralliement pour entretenir la flamme au milieu du bordel aura été simplement de faire le signe 2 avec les doigts en disant Jokowiiiii ! Mais on le dit pas trop fort pour ne pas se prendre la tête avec les autres qui sont un peu susceptibles voir colériques. 2 comme le numéro de bulletin de vote attribué au ticket Jokowi-Kalla. Ironie de l’histoire, ce signe peut aussi s’interpréter comme le V de la victoire ou encore le Peace and Love des hippies. Pour aller battre dans les urnes un ancien général des forces spéciales, gendre de l’ancien dictateur et dont les supporters affirment que ceux qui ne voteront pas pour lui doivent s’interroger sur leur virilité, un seul geste : Peace, Jokowiiii !
Jokowi étant rappelons-le ce grand maigrichon qui après s’être fait remarqué à la tête d’une ville de province avait conquis Jakarta en faisant campagne sur ses chemises à carreaux. Maintenant qu’il vient de définitivement enterrer l’ère Suharto avec 2 doigts, ce génie de la politique minimaliste va enfin pouvoir mettre ses tongs au profit de la lutte contre le réchauffement de la planète.
