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Nigel Mason : sur la piste d’un homme-éléphant

Nigel, qui vit à Bali depuis près de trente ans, a transformé le simple restaurant de ses débuts en un empire du tourisme qui comprend notamment une compagnie de rafting et le fameux parc à éléphants de Taro, au dessus d’Ubud. Né et élevé en Angleterre, Nigel a quitté son pays d’origine pour l’Australie en 1959, à l’âge de 15 ans. Pendant quatre ans, il a fait tous les boulots, traversant l’île-continent comme bûcheron, mais il a aussi coupé la canne à sucre, récolté des fruits dans les plantations, chassé le kangourou et plus spécifiquement travaillé sur la mise au norme des rails de la ligne de chemin de fer Sydney-Melbourne. Il a fini par trouver un poste au sein de la compagnie de disques EMI-Australie, pour laquelle il a travaillé plusieurs années au marketing avant de développer, dans un autre genre, le premier terrarium du pays.

Nigel a découvert Bali avec des amis lors d’un voyage décidé sur un coup de tête. Il est aussitôt tombé amoureux de l’île et de l’une de ses résidentes qui est devenue sa femme. Deux semaines après le mariage, Nigel fut mis sur la liste noire de l’immigration et on lui intima de quitter l’île. Il fut ainsi obligé d’entrer et sortir du pays sous de fausses identités pendant près de deux ans et demi pour tout simplement avoir la chance de voir son épouse restée au pays. Bien qu’ayant retardé ses plans, cette mésaventure ne l’empêcha pas de créer Bali Adventure Tours en 1989, une société qui propose aux touristes balades en VTT, trekking et rafting, la première du genre. Immen-sément populaire, cette entreprise a eu très vite de nombreux copieurs qui espéraient ainsi surfer sur la vague. Entretemps, Nigel était déjà devenu une personnalité incontournable de l’île. Avec le succès de son restaurant Yanie, baptisé du nom de sa femme, et celui de Bali Adventure Tours, Nigel occupait le centre de la jet set locale à une époque ou le régime politique et les mœurs du pays incitaient habituellement les étrangers à plus de discrétion.

Le moment de payer cette notoriété au prix fort ne s’est pas fait attendre longtemps. En 1994, Nigel a appris à ses dépens les us et coutumes de Bali en ayant ses entreprises fermées purement et simplement par les autorités. Il eut presque envie d’abandonner, mais, comme on dit, derrière chaque grand homme, il y a une grande femme. Nigel reconnaît que c’est grâce à son épouse que l’envie de persévérer est revenue. « Elle me donna l’inspiration nécessaire à un moment où j’étais prêt à faire mes bagages », affirme-t-il. En 1996, après deux ans de lutte contre l’administration, il a réussi à faire la nique au système et à réouvrir le Bali Adventure Park. C’est l’année suivante qu’il a ouvert le parc des éléphants. Lorsqu’on lui demande pourquoi il a choisi les éléphants, il répond : « Les éléphants, c’est vraiment par hasard. » En fait, Nigel a tout simplement été contacté par quelqu’un qui avait acheté neuf spécimens et qui s’en mordait les doigts, tant les soins étaient difficiles et coûteux. Bien que n’ayant jamais été intéressé par ces animaux auparavant, l’état dans lequel il les a découverts l’a tellement ému que Nigel a décidé de s’impliquer.

N’y connaissant absolument rien en matière de pachydermes et des soins qu’on doit leur prodiguer en captivité, Nigel s’est mis au travail. Il a entrepris des tas de recherches, lu tout ce qu’il a trouvé sur le sujet et l’Elephant Safari Park de Taro était né. Il a commencé par amener fort logiquement ses clients de Bali Adventure Tours. Puis, comme Nigel est un expert du marketing, la popularité du parc des éléphants a grandi rapidement, à tel point que le besoin d’accroître le nombre de bêtes s’est fait sentir et Nigel est parti à Sumatra pour se renseigner sur les possibilités d’acquisition.

En Indonésie, ces animaux sont perçus comme une nuisance. A cause de leur système digestif peu performant, seule une faible portion de la nourriture qu’ils absorbent est digérée, les éléphants sont donc obligés de manger des quantités astronomiques de nourriture, semant le désastre dans les plantations d’huile de palme. Des méthodes d’élimination comme l’empoisonnement sont commu-nément employées pour les tuer. Quand ce ne sont pas des méthodes plus cruel-les, comme ces immenses tranchées creusées autour des plantations dans lesquelles les pachydermes se retrouvent piégés. Blessés, les jambes brisées, ils meurent lentement dans d’atroces souffrances.

Le documentaire australien « Operation Jumbo » montre comment Nigel s’y est pris pour transporter des éléphants de Riau (Sumatra) jusqu’à son parc, à l’issue d’un périple de plus de 3000 kilomètres à travers trois îles. Le film décrit les mille et un problèmes qui ont émaillé cette aventure, le manque d’eau, de nourriture, les problèmes internes de coordination et surtout la santé précaire des dix rescapés. Nigel Mason et son équipe ont néanmoins triomphé de tous les pièges et les bêtes coulent désormais des jours paisibles dans les collines boisées du nord d’Ubud. Le cheptel comprend désormais 27 spécimens, deux nouveau-nés et une des femelles est enceinte. Le parc emploie 150 personnes, on trouve sur place un restaurant, un musée, une boutique, un café et même un hôtel, l’Elephant Safari Park Lodge. Pour 450 dollars la nuit, on peut avoir une chambre avec vue panoramique sur les pachydermes et se délecter de leurs barrissements. On peut même prendre un éléphant-taxi depuis son pas-de-porte…

Comme cela est arrivé avec l’activité de rafting, le parc des éléphants n’a pas tardé à être copié. Des tas de professionnels du tourisme à Bali s’y sont mis. Malheureusement, lorsque le profit est la seule raison d’être, ce sont les animaux qui souffrent. Bien souvent, les touristes repartent terriblement déçus après avoir été abusés par des tours opérateurs ou des chauffeurs de taxi peu scrupuleux qui les conduisent dans des parcs similaires où le bien-être des animaux n’est pas respecté. Mais la réussite et la beauté du parc de Nigel Mason parlent d’elles-mêmes. Le travail qu’il a réalisé à Taro lui a valu de recevoir le titre de conseiller pour Flora and Fauna International. L’Elephant Safari Park a été construit selon des standards internationaux avec en tête le but d’avoir le moins possible d’impacts négatifs sur l’environnement. C’est un exemple pour les autres parcs animaliers, c’est à vrai dire le seul du genre dans le monde entier.

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