Après le long et épuisant vol de Bali au Royaume-Uni, la première chose que je remarque en descendant de l’avion à Heathrow, c’est l’air froid et sec et l’absence d’odeurs fortes qui l’accompagne. Par contraste, à mon retour à Bali, en conduisant de l’aéroport, mon sens olfactif est bombardé d’une grande variété d’odeurs, des fumées de pots d’échappements aux caniveaux croupis, en passant par l’huile à frire et les sate des vendeurs de rue jusqu’aux fragrances de l’encens brûlant sur tous les autels. Tout ceci enveloppé par l’humidité immobile de l’air nocturne. Je suis sous les tropiques à nouveau !
Laissant la ville bruyante derrière et poursuivant mon chemin à travers les rizières, une nouvelle palette d’odeurs se disputent mon attention. Le chien mort sur le côté de la route va vite être nettoyé par les asticots, faisant de son odeur de charogne un désagrément très provisoire. De même, les flammes qui dévorent les corps humains lors des rites de crémation s’éteignent rapidement, ne laissant que des cendres. Et les panaches
de fumée blanche et âcre qui enveloppaient les spectateurs se disperseront rapidement grâce au vent. J’arrive à la maison et remarque le musc piquant de la civette palmiste (Viverra sp.) ou musang en indonésien. Ces mammifères à fourrure rayée ou tachetée sont légèrement plus gros qu’un matou, et leur odeur musquée, dont ils se servent pour marquer leur territoire, est très particulière. L’odeur de celle-ci se combine avec celle, nauséeuse et sucrée, des mangues blettes et fermentées dont elle s’est
nourrie dans mon jardin. La civette, saoule de l’alcool produit par les mangues, est allée s’assoupir en titubant mais un rappel odorant de sa présence persistera jusqu’au matin. J’entre par la porte de derrière, où
plusieurs insectes ailés tournent autour de l’ampoule de la cuisine comme des avions fous. Ils libèrent une forte odeur de pâtes d’amandes. Je prends une tasse à café dans le placard, ça sent tout particulièrement le moisi, une preuve indéniable que ces cafards graisseux l’ont envahi ! Je n’ai pas envie d’attraper la bombe d’insecticide car l’odeur du Baygon me rend intensément
malade. Quelque part, pas très loin, je sens l’odeur distincte d’un gecko (cicak) desséché. Récemment, il y en a un qui a grimpé dans ma télévision et qui s’est électrocuté sur la carte-mère, court-circuitant tout l’électronique ! Quant à celui-ci, il s’est retrouvé piégé dans le chambranle de la porte et s’est fait aplatir. Je décolle son minuscule corps écrasé du bois et le jette dehors. Sous mon évier, un petit uropyge décampe gêné par la lumière. Quand il se sent menacé, ce petit cousin inoffensif du scorpion produit un jet puissant d’une substance qui sent le vinaigre, suffisant pour décourager tout prédateur !
L’écorce des arbres dégage des sèves et des huiles très aromatiques, les fruits qui tombent des arbres pourrissent et se décomposent, libérant des parfums délicats et des remugles sucrées. La fleur géante Rafflesia est la plus connue. Elle sent vraiment comme de la chair en décomposition et assure ainsi sa survie en attirant quantité d’insectes qui vont polliniser ses pétales charnus bruns-rouges. Si je m’arrête dans une cabane décrépie, je
peux dire à l’odeur s’il y a des punaises sous le matelas dégoûtant.
l’air autour de la maison de parfums enivrants tout au long de l’année.
La façon dont nous réagissons aux odeurs est très subjective, certains ne peuvent supporter l’odeur du terasi alors que pour d’autres, c’est un rappel nostalgique de la vie au village et de la cuisine familiale. Des milliards de dollars sont dépensés chaque année pour imprégner nos corps de différents
produits odorants afin de masquer nos odeurs animales d’origine. Peut-être certains préfèrent l’atmosphère stérile et sans odeurs de nos bureaux modernes. Mais n’oublions pas notre héritage animal et, à l’occasion, autorisons-nous avec délectation cette immersion dans ce monde invisible
mais puissant, celui des odeurs !
Courriel à [->[email protected]], tél. 0813 3849 6700, Facebook « Ron Lilley’s Bali Snake Patrol »