Ceux d’entre nous qui vivent en Indonésie depuis longtemps en ont peut-être entendu parler. Le plus souvent par le bouche-à-oreille et de façon plutôt discrète car il s’agit de quelque chose qu’on n’ébruite pas comme ça. Quelque part à Java-Centre, sur une montagne nommée Kemukus, se perpétue un rituel javanais très ancien où des pèlerins, qui viennent chercher leur bonne fortune, se livrent à l’adultère tous les 35 jours. Ils devront répéter l’acte sept fois et avec un partenaire différent à chaque fois pour que leurs vœux soient exaucés par le Tout Puissant. Mais depuis le mois de novembre, le reporter Patrick Abboud, du multimédia australien Special Broadcasting Service, en a fait un documentaire qui est passé à la télé et qu’on peut désormais visionner en ligne. Fini le mystère de ce culte javanais qui remonte au 16ème siècle et place à l’info spectacle ainsi qu’à l’embarras des autorités indonésiennes…
On ne critiquera pas le journaliste. Il n’a fait que son métier. Il est facile d’imaginer sa jubilation d’avoir mis le doigt sur cette « montagne du sexe » – le titre de son docu – ce rite sexuel et adultérin qui se perpétue dans le plus grand pays musulman du monde. Du pain béni pour n’importe qui dans la profession. Qui plus est, sexe et islam, de l’or en barre… Le docu est dans la veine de ce qu’on voit aujourd’hui habituellement : tout en surface, les faits sensationnels avant tout, le reporter se mouille une fois ou deux en caméra cachée mais il n’oublie pas de montrer aussi son faciès pour sa notoriété personnelle et le montage rythme le tout en fonction des coupures pub. Attention de ne pas perdre l’attention du potentiel zappeur ! On peut le visionner sur le site de SBS ou sur YouTube. Tapez « Sex Mountain ».
300 000 roupies la passe
Depuis, tous les 35 jours, le site est envahi de pèlerins. Aujourd’hui, c’est 5000 roupies l’entrée. On trouve des karaokés, des chambres « borgnes » à louer à l’heure et des… prostituées. Oui, il y a deux fois plus d’hommes que de femmes qui se rendent à Kemukus, ce qui a favorisé le développement des professionnelles. D’ailleurs, Patrick Abboud loue les services de l’une d’entre elles dans un warung. C’est 300 000 roupies la passe. En caméra cachée, on rentre avec eux dans une cahutte qui sert aux galipettes extra-maritales. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, la péripatéticienne est nue devant l’objectif. Patrick Abboud lui explique qu’il veut juste l’interviewer. Elle répond aux questions à poil : non, aucun de ses clients n’utilise de préservatif. Sept, elle en est déjà à son septième client cette nuit-là… Le spectateur, c’est sûr, en oublie de zapper…
Puis, la grande question : le rite sexuel lié au prince Samodro, un des propagateurs de l’islam dans l’Archipel, ne serait-il qu’un business ? Un grand choix d’infrastructures s’est développé sur place, avec l’accord du gouvernement local qui en tire aussi les bénéfices. D’ailleurs, il parait que certains des karaokés lui appartiennent directement. Les services de santé passent à chaque fois pour offrir un contrôle médical gratuit. Le médecin interviewé affirme avec détachement que le commerce sexuel de Kemukus participe largement à la propagation des maladies sexuelles dans la région, tout particulièrement le VIH. Difficile d’imaginer tout cela, de l’extérieur, le mont Kemukus ressemble en effet à n’importe quel « obyek wisata » du pays.
Nous n’avons jamais dit que le sexe était obligatoire
On reste néanmoins sur notre faim dans ce docu de 20 mn chrono qui se répand maintenant dans le monde entier grâce à l’Internet et on se demande bien quel était le propos du journaliste australien si ce n’est de faire du sensationnel à consommer vite fait. Certes, il dénonce vaguement l’hypocrisie des autorités sur le sujet. Le concierge du site explique d’ailleurs sans sourciller : « Les pèlerins doivent venir avec le cœur pur et le corps propre. Nous n’avons jamais dit que le sexe était obligatoire. C’est ce qu’ils veulent. » Bref, il n’en fallait pas plus pour embarrasser l’Indonésie avec ce secret impudemment dévoilé par une chaîne de télé aussie. D’ailleurs, le gouverneur de Java-Centre Ganjar Pranowo est tout de suite monté au créneau et a annoncé qu’il était interdit de se livrer à des actes sexuels sur le site de la tombe du prince Samodra.
« Le monde entier est au courant. N’est-ce pas une honte ? », a-t-il affirmé dans le Jakarta Post, ajoutant que « l’image de la nation s’en trouvait souillée. » Ces indignations de circonstance, bien indonésiennes, nous rappelle surtout qu’ici tout est possible, à condition bien sûr de rester discret. D’ailleurs, il y a fort à parier que le culte sexuel de Kemukus a encore de beaux jours devant lui. Une fois les projecteurs des médias éteints et le reportage de SBS perdu dans les tréfonds des moteurs de recherche, le site funéraire du prince Samodra sera à nouveau le théâtre de ces activités haram. Non, la seule chose qui pourra un jour venir à bout d’une telle croyance -coucher sept fois (sans capote) avec un partenaire différent pour attirer la bonne fortune – c’est un meilleur système d’éducation.