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Monggo: les indonésiens découvrent le goût du vrai chocolat

La Gazette de Bali : Thierry Detournay, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Thierry Detournay : Je suis belge et âgé de 46 ans, marié et père d’une petite fille de 5 ans, mon épouse est indonésienne et nous vivons tous les trois à Yogyakarta.

LGdB : Est-ce qu’être belge prédispose à devenir chocolatier ?

T D : Plus besoin de décrire la réputation des chocolats belges, leur renommée est mondiale. J’habitais Bruxelles quand j’étais petit et je me rappellerai toujours des effluves de chocolat qui envahissaient mon quartier. Elles provenaient des bâtiments Côte d’Or, cette grosse usine de chocolat en plein centre de la ville. L’endroit était pour moi, comme pour beaucoup d’enfants, totalement fascinant. Aucun Bruxellois ne pouvait ignorer sa présence. Selon la direction du vent, telle ou telle partie de la ville embaumait le cacao. Un jour, mon école a organisé une visite de notre classe à Côte d’Or et le rêve devenait enfin réalité. La forte odeur âcre de chocolat fondu dans l’usine donnait presque la nausée. C’était magique de voir sortir la pâte de chocolat de tuyauteries gigantesques et de pouvoir y goûter à volonté.
Bien sûr, à la maison, il y avait toujours du chocolat Côte d’Or dans les armoires. Je me faisais régulièrement sermonner, le terme est faible, pour n’avoir laissé que quelques petits morceaux de tablette au praliné à mon père. Il était, lui aussi, totalement accro au cacao même s’il n’a jamais voulu l’admettre. Alors, je ne sais pas si être belge prédispose à devenir chocolatier mais, pour ma part, je suis certainement tombé sur l’éléphant quand j’étais petit (pour ceux qui ne le sauraient pas le sigle de Côte d’Or est un éléphant d’Afrique).

LGdB : Pourquoi ne pouvait-on pas manger de chocolat en tablettes « made in Indonesia » digne de ce nom avant Monggo ?

T D : Au terme d’un voyage d’une année en Asie du Sud-est, j’ai décidé de prolonger l’aventure en m’installant à Yogyakarta début 2001. Pas de réel projet si ce n’est que de découvrir la vie dans une ville indonésienne et d’apprendre la langue locale. Après quelques semaines d’immersion, les premiers manques commencent à se faire sentir. Un bon chocolat ! Mais après avoir goûté aux différentes marques locales trop sucrées et gavées de graisses végétales, je suis totalement frustré et vis littéralement une crise de manque. Je décide donc de mettre la main à la pâte et je réalise mes premières truffes en chocolat avec les maigres ingrédients disponibles. Le résultat ravit les papilles de tous mes amis indonésiens et j’atténue enfin un peu mon manque. Mon aventure chocolatière vient de démarrer !
Après quelques années d’apprentissage dans ma cuisine et plusieurs tentatives ratées de petits magasins, je trouve enfin des partenaires qui m’aident à rendre ce projet concret. En 2005, notre petite entreprise de cinq personnes commence à produire les 1ères pralines et barres en chocolat. Pas de graisses végétales, rien que du bon beurre de cacao et pas trop de sucre. Du vrai chocolat ! Et je voulais à cette époque, comme je le veux toujours, que tous les Indonésiens découvrent le goût du vrai chocolat avec les ingrédients en provenance de leur pays. C’est notamment pourquoi nous avons créé un produit de très bonne qualité à un prix abordable.

LGdB : Pourquoi Monggo et pourquoi Yogyakarta plutôt que Jakarta ou Bali ?

T D : La naissance de Monggo ne pouvait se faire qu’à Yogyakarta. Avant de m’y installer, j’ai parcouru une grande partie de l’Indonésie et la seule ville où je me sens bien c’était et c’est toujours Yogyakarta. Un des berceaux de la culture javanaise, une ville animée par de jeunes artistes, la campagne avec les rizières à un jet de pierre, l’océan avec une côte bretonne, un impressionnant volcan dominant la cité, des gens très accueillants et un coût de la vie très raisonnable. Rien de ce que je cherchais ne se trouvait dans la pollution et le trafic de Jakarta et je n’avais absolument aucune envie de côtoyer chaque jour mes semblables tout en passant pour un simple touriste dans le cirque de Bali
(les puristes me haïront, tant pis). Je cherchais du vrai, de la différence, quelque chose d’un peu hors du temps, de la simplicité et j’ai trouvé tout ça à Yogyakarta. A cette époque, j’étais un aventurier mais je n’étais pas encore un businessman. Yogyakarta m’a permis de démarrer une entreprise dans la plus grande simplicité, les 1ères ventes dans la rue, à la sortie de l’église, un 1er magasin et une 1ère barre de chocolat Monggo avec un emballage très simple en papier recyclé. Il fallait que ce produit ait une identité forte et évoque la ville de Yogya, sa simplicité, son naturel, sa culture. C’est pourquoi nous avons choisi cet emballage brunâtre, élégant et discret (trop discret me diront certains). Il ne manquait alors que le nom. Au cours d’un brainstorming où nous avions décidé de donner un nom javanais au produit, l’un d’entre-nous lâche le mot « Monggo ». C’était fait, aucun autre mot javanais ne pouvait être plus parfait. Monggo qui signifie « s’il vous plait », « je vous en prie » est un mot extrêmement courant dans les rues de Yogya. Si vous passez devant un Javanais, « Monggo » est le mot qui va sortir de sa bouche tout en souriant et en faisant un signe du pouce placé à l’horizontal. Monggo, en plus d’être facile à retenir, rime parfaitement avec cacao ou choco. Monggo plein de caractère tout en étant discret et poli.

LGdB : Qu’est-ce qui est le plus difficile pour faire un bon chocolat ?

T D: Faire du chocolat est un processus extrêmement long et plus le chocolat est fin, plus le processus est long. La fabrication de chocolat nécessite beaucoup de différents équipements. Depuis la cueillette des cabosses jusqu’au moulage d’une barre de chocolat au pur beurre de cacao, il faut compter environ 2 à 3 semaines d’opérations continues. Toutes ces étapes demandent des connaissances techniques et un très bon savoir-faire. La confection rajoute encore une étape à la difficulté car la conception de produits en chocolat s’agrémente d’autres matières : noix, fruits secs, praliné, pâtes de fruit, etc. Vous pouvez découvrir ou redécouvrir toutes les étapes de la fabrication du chocolat sur notre site web : [www. chocolatemonggo.com->www. chocolatemonggo.com]

LGdB : Pourquoi avoir choisi de ne produire que du chocolat en tablettes plutôt que des chocolats au détail, ce que vous Belges, appelez des pralines ?

T D : A mes débuts comme chocolatier, je faisais principalement des pralines mais à cette époque, à Yogya, la plupart des gens n’avaient aucune idée de quoi il s’agissait. Un petit chocolat fourré qui coûtait aussi cher qu’une assiette de riz avec des légumes (2500 IDR en 2002, c’est ce qui se pratiquait dans les warung de Yogya). Face à l’adversité, j’ai donc dû virer vers la barre et la tablette en chocolat. Dans les conditions tropicales de l’Indonésie, réaliser une praline à la ganache et la conserver en parfait état tient de l’exploit. L’humidité rend très vite la surface du chocolat terne. Les barres emballées dans de l’aluminium sont mieux protégées et beaucoup plus facile à transporter. Je continue à faire des pralines de temps en temps pour certains événements. J’espère qu’un jour je m’y remettrai complètement rien que pour le plaisir de partir à la recherche de nouvelles saveur à combiner avec du chocolat.

LGdB : Votre réussite a-t-elle inspiré la concurrence ?

T D : Je ne sais pas si j’ai réussi mais mon initiative en a déjà inspiré plus d’un en Indonésie. Déjà au tout début, mon 1er magasin qui n’était pas une grande réussite, je dois bien le reconnaître, mais qui avait néanmoins obtenu quelques succès, avait créé une première effervescence à Yogya. Plusieurs magasins et étals avaient vu le jour suite à cela mais ça n’a été que de très courte durée. Lorsque nous avons lancé les chocolats Monggo et que cela a été un succès grandissant, plusieurs concurrents ont développé leurs produits autour de l’idée Monggo. Un de mes anciens fournisseurs a senti l’opportunité et a produit des chocolats souvenirs de Java mais il a eu la délicatesse de le faire dans une autre province de l’île. Plus récemment, une initiative moins délicate cette fois, un chocolat avec un emballage presque identique au mien et portant également un nom javanais. Des initiatives d’un genre similaire semblent se multiplier. Malheureusement tous ces nouveaux « chocolatiers » dérogent très facilement aux principes du bon goût et de la qualité des produits. Mon bonheur à moi, c’est de partager avec le plus grand nombre possible le plaisir de déguster un bon chocolat. Je me rappelle encore toujours de l’expression de délice de ces visages indonésiens lorsqu’ils goûtèrent une de mes truffes en chocolat pour la première fois. Je n’ai pas encore rencontré de concurrents inspirés par ces mêmes motivations de départ…

LGdB : Comment avez-vous eu l’idée de faire du chocolat au piment ?

T D : J’avais déjà goûté à des chocolats aux piments dans d’autres pays mais ils m’avaient laissé peu enthousiaste. Ils avaient le nom chocolat au piment sans en avoir le goût (ou alors, c’est parce que c’est moi qui ai déjà trop mangé de sambal). En Indonésie, où les gens mangent les piments au dessert, il fallait que je fasse quelque chose. J’ai donc créé un chocolat noir aux piments croquants qui ne laisse aucune papille gustative indifférente.

LGdB : Connaissez-vous la nationalité de vos client ?

T DTrès difficile à déterminer. A Yogya, la majorité de mes clients sont Indonésiens, plus ou moins 90%. A Bali, la balance penche plutôt du côté des expats. A Jakarta, les chiffres se rapprochent de ceux de Yogya. Mais je n’ai pas de données précises pour affirmer totalement ce que je dis.

GdB : Pensez-vous vraiment contribuer à faire découvrir aux Indonésiens le chocolat ?

T D : Je suis entièrement convaincu de ça. Beaucoup d’entre eux me disent qu’ils n’avaient jamais goûté « un chocolat aussi chocolaté avant Monggo. » Dans ce pays, le chocolat ne fait pas partie de la culture, les gens considèrent le chocolat comme une sucrerie pour les enfants. Et ils ont raison puisque les chocolats locaux sont la plupart très sucrés. Mais les choses changent et Monggo fait partie de ce changement. Ces dernières années beaucoup d’adultes indonésiens m’achètent mon chocolat noir 69% de cacao parce qu’ils savent que c’est bon pour leur santé. Une chose quasi inexistante auparavant.

LGdB : Le chocolat Monggo envahira-t-il un jour le plat pays ?

T D : Vendre Monggo en Belgique ? Ce ne serait plus une réussite mais une consécration ! Non, ceci dit, plutôt que d’essayer de taquiner les papilles blasées de mes concitoyens, je préfère aller partager mon bonheur dans des pays où la qualité du chocolat reste encore médiocre. Nul n’est prophète dans son pays !

Sur l’Internet à [www.chocolatemonggo.com->www.chocolatemonggo.com]

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