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Miss Monde et le concept flou de la “culture orientale”

« Il n’y aura pas de manche avec bikini dans cette édition. Et tout ce que feront les candidates de Miss World sera conforme avec la culture orientale de l’Indonésie. Il n’y aura rien qui avilit la femme », a affirmé Budi Rustanto, un des membres du jury de Miss World 2013 qui devait initialement se tenir à Bali et Sentul (près de Jakarta) mais qui finalement s’est déroulé entièrement à Bali à cause de l’opposition des islamistes (Notons qu’à l’heure où nous mettons sous presse, nous ne savons pas comment s’est terminée la compétition). Une fois encore, l’Indonésie se retrouve à devoir résoudre cette impossible équation entre occidentalisation et islamisation, un dualisme qui a marqué toute l’histoire de cette nation de 68 ans et qui a retrouvé toute sa vigueur depuis l’avènement de la démocratie et le retour des islamistes dans le débat public.

Et comme l’Indonésie, laïque sur le papier, est néanmoins majoritairement musulmane, débattre des sujets qui fâchent les extrémistes comme ce concours de beauté n’est pas tâche facile. D’une part parce qu’ils se fâchent facilement par définition mais aussi parce que la majorité silencieuse ici n’a jamais aussi bien mérité son nom. Il ne viendrait donc à l’idée de personne de s’élever ouvertement contre les radicaux sur les questions en rapport avec l’islam. C’est pourquoi, afin d’éviter toute confrontation sur ces sujets délicats, on utilise ici le terme politiquement correct de « culture orientale » (budaya timur) pour désigner l’ensemble des valeurs supposées appartenir à l’Archipel en tant que pays oriental. Les extrémistes eux ne s’embarrassent pas de ce détour puisqu’ils basent leurs exigences sur leur seule croyance. Pour eux, l’Indonésie est avant tout musulmane et doit se conformer à ces valeurs. Ils parlent donc d’islam.

Les autres sont obligés d’avoir recours au concept plus large de « budaya timur » pour ne pas se retrouver piégés dans une interprétation systématique du coran. Bien sûr, comme l’islam, ce concept s’oppose aussi à celui de culture occidentale, forcément libérale et permissive. Mais il y aurait, au-delà même de l’islam, l’idée d’un ensemble de valeurs provenant des pays orientaux qui ferait qu’on soit traditionnellement conservateur sur des sujets liés à la sexualité ou à la condition de la femme par exemple. Il y aurait toutefois la possibilité d’évoluer comme c’est le cas avec le dossier Miss World. Les islamistes affirment eux tout net que le concours de beauté est « pornographique et immoral » et qu’il contredit les préceptes du coran. Les autres affirment, comme Budi Rustanto, qu’il est malgré tout en phase avec la « culture orientale de l’Indonésie puisqu’il n’avilit pas la femme ». Pourquoi ? Parce qu’on a remplacé le bikini par un sarong indonésien.

De ce rapport à la femme, forcément pécheresse et tentatrice, l’islam a les réponses toutes faites de la mutilation sexuelle et de la dissimulation de l’objet du désir (tutup aurat). Le concours des miss aux formes révélées n’est donc pas une option. La « culture orientale indonésienne » elle, s’interroge. Elle aimerait trouver une réponse ailleurs. Elle s’interroge certes sur la façon de pouvoir organiser Miss World en Indonésie, mais elle s’interroge aussi sur l’importance qu’elle doit accorder aux normes religieuses, elle s’interroge enfin sur son rapport à l’islam, sans le dire explicitement pour ne pas déclencher la fureur des radicaux. Car cette idée de terminologie géographique pour désigner des valeurs morales et culturelles n’a pas beaucoup de sens en soi. Après tout, Japon, Thaïlande, Philippines pour ne citer qu’eux, sont des pays orientaux avec une permissivité sur la sexualité souvent bien plus importante que certains pays occidentaux. Quelle différence avec l’Indonésie ? Leur religion bien sûr. Le concept de « budaya timur » sert donc à débattre de l’islam sans le désigner expressément. Exemple : quand les associations musulmanes s’insurgent contre un programme d’éducation sexuelle à l’école ou la distribution gratuite de préservatifs, on ne dit pas que le pays n’est pas encore prêt à cause de l’islam, non, on invoque sa « culture orientale ».

D’ailleurs, tout le monde se retrouve empêtré tôt ou tard dans ce concept flou par nécessité. Comme le gouverneur de Bali Made Mangku Pastika qui a courageusement soutenu le concours de beauté sur son île. Il s’est évidemment félicité de l’impact positif pour Bali d’un tel événement international (par ailleurs juste avant l’APEC !), du boum touristique que cela n’allait pas manquer de créer et des bienfaits économiques pour le peuple de Bali. Et puis, il a dit : « Les participantes et les organisateurs de Miss World ont accepté de se conformer à nos exigences en relation avec l’interdiction du bikini, donc il n’y a aucune raison de continuer à s’opposer à ce concours de beauté de classe mondiale. » Reprend-il à son compte, lui le Balinais, la demande nationale de supprimer le tour en bikini ? Il ajoute encore, en appelant cette fois clairement à la « budaya Bali »  : « Les participantes se comporteront en accord avec la tradition et la culture balinaise. » Et nous de conclure avec malice : si tel était vraiment le cas, l’édition 2013 de Miss World aurait eu une manche seins nus !

Zizis et zézettes en questionnaire à Aceh

Toujours en rapport avec cette relation bizarroïde qu’on entretient ici avec la sexualité, cette info qui vient de la province islamique d’Aceh où on a demandé à des élèves du secondaire, à travers un formulaire très officiel distribué par les professeurs, d’indiquer la taille et la forme de leur sexe. Cette enquête pour le moins surprenante a été menée dans six collèges de Sabang, explique une dépêche de Reuters. Le formulaire contenait des « images réalistes » d’organes sexuels que les collégiens devaient identifier. Ils devaient aussi encadrer l’image la plus proche de leur propre anatomie et répondre à des questions sur leurs rêves sexuels, la menstruation, l’éjaculation nocturne, ou la taille de la poitrine.

Inutile de dire que dans cette partie de l’Indonésie où on applique la charia, cette petite enquête pour le moins saugrenue auprès d’élèves entre 11 et 15 ans a déclenché un tollé général. Le responsable de l’Agence pour l’Education de cette municipalité de 30 000 habitants a affirmé que ce questionnaire avait déjà été distribué l’an dernier mais sans « images réalistes » des organes sexuels et n’avait donc pas suscité d’émoi particulier. Les questions personnelles sur les organes génitaux étaient également une nouveauté de cette année, à l’initiative des responsables locaux de la santé. Ibnu Hamad, un porte-parole du ministère de l’Education, a affirmé que le gouvernement était désolé de cette initiative, affirmant à l’AFP : « Cela n’était absolument pas nécessaire car il n’y a aucune raison de demander aux collégiens la taille de leurs organes génitaux. »

Dans un bel élan de coordination gouvernementale typiquement indonésienne, le ministère de la Santé s’est lui déclaré en accord total avec cette enquête par la voix de sa directrice du département santé. « L’obligation de mesurer fait partie de l’amélioration du programme national de santé dans les écoles depuis 2010 », a déclaré Jane Supandi. Ce programme doit servir à l’éducation des étudiants sur la reproduction. « Le gouvernement espère qu’à travers la compilation de ces informations sur la taille et la forme des organes génitaux des élèves, cela aidera à détecter des anomalies à un stade précoce », a-t-elle ajouté. Et comme le ministère dispose de très peu de travailleurs sociaux pour examiner les élèves, on a donc demandé aux intéressés de se décrire et de se mesurer eux-mêmes…

Indiana Jones and the Minister of the Lost Face

L’acteur américain Harrison Ford a passé quelques jours en Indonésie pour le tournage d’un documentaire sur la déforestation intitulé « Years of Living Dangerously ». Le héros de la série Indiana Jones a été reçu par plusieurs officiels indonésiens, dont le président SBY et le ministre de la Forêt Zulkifli Hasan. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cela s’est très mal passé avec ce dernier à tel point que le gouvernement a menacé de le déporter, renouant ainsi avec les bonnes vieilles habitudes du passé. Andi Arief, un conseiller de la présidence, a expliqué que l’acteur s’était rendu coupable d’« harcèlement envers les institutions de l’Etat » et d’« attaquer le ministre avec des questions. »

Au centre de la discorde, le parc national de Tesso Nilo à Sumatra, où la déforestation illégale bat son plein à cause du laisser-aller du ministère selon WWF. Sur les conseils de l’association écolo, qui travaille sur le terrain, Harrison Ford aurait donc posé au ministre des questions directes, « à l’occidental » dira-t-on, alors que ce dernier est bien évidemment plus habitué au dialogue poli et lénifiant dû à sa position. « Je comprends que l’Américain est venu ici juste pour voir Tesso Nilo et espérait que les contrevenants soient pris le même jour, a poursuivi Andi Arief. Il ne pouvait donc contrôler ses émotions. » Zulkifli Hasan aurait pour sa part été laissé en « état de choc » par l’interview musclée de l’homme au fouet.

Le député Firman Subagyo, membre d’une commission qui surveille les affaires forestières, a sauté sur l’occasion pour demander que WWF soit renvoyée du parc de Tesso Nilo et remplacée par une organisation indonésienne qui comprendra mieux le caractère et la culture des communautés locales. « L’acteur aurait dû être plus poli et pas direct » quand il a interviewé le ministre, a-t-il ajouté pour sa part au sujet de l’incident. Notons une fois de plus les limites de ces fameuses « valeurs asiatiques » quand il s’agit de communiquer avec le reste du monde où la langue de bois « à l’indonésienne » ne peut avoir cours. Une faculté qui fait toujours cruellement défaut au pays malgré 15 ans d’exercice de la démocratie et sa position actuelle sur la scène internationale. Pour notre part, nous attendons de voir le docu avec impatience.

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